Charles de Gaulle et le gaullisme,
Jean-Pierre Chevènement  et le chevènementisme,
des républicains acteurs fondamentaux de la dégradation de l'enseignement.



Le "républicanisme scolaire", composante fondamentale et quasiment hégémonique de l'antipédagogisme [Voir Note 1],  s'appuie en France sur deux héritages politiques présentés comme antipédagogistes, l'un de gauche bien représenté par le courant chevènementiste - descendant historique plus ou moins direct du stalinisme -  et  l'autre basé sur le gaullisme [Voir Note 2].


Or il n'y a aucun héritage "antipédagogiste", dans ces deux courants, bien au contraire car ils ont été tous les deux en leur temps des acteurs successifs et complémentaires de la dégradation de l'école.


En voici quelques éléments de preuve :

A) Le cas de de Gaulle et du gaullisme : Alain Peyrefitte, alors ministre de l'éducation,  présente au conseil des ministres du 28 février 1968, soit avant mai 1968, un texte en vingt-sept points sur la « rénovation pédagogique ». Lors de ce conseil le général de Gaulle défend explicitement « l’allégement des programmes », et soutient tout aussi explicitement les positions de son ministre - Pour cette rénovation pédagogique, je vous appuierai - pour un texte  qui contient quasiment tous les grands thèmes du « pédagogisme », explicité quelquefois sous des formes que le pire des pédagogistes n'oserait plus employer en 2010.

On peut aussi noter que la tendance à l'allégement n'est pas une nouveauté post 68 mais une tendance fodamentale de la part du gaullisme comme le montre ce qui se passe à partir de 1966 au moment ou le ministére met la proposition d'allegement des programmes comme condition de la pousuite de la commission Lichnerowicz

À l’automne 1966, le Ministre de l’époque, M Christian Fouchet, avait demandé à André Lichnerowicz de réunir une commission pour proposer des allégements de programmes immédiatement applicables, confusion, encore une fois entre vitesse et précipitation. C’était envisager la réforme nécessaire par le plus mauvais bout. Mais les détours de la grande politique offrent bien des surprises. Les allégements demandés ayant été proposés, A. Lichnerowicz obtint du Ministre de poursuivre la réflexion avec une commission élargie. Cette commission, que je nommerai CL pour abréger, comprenait quelques professeurs de Secondaire avec des mathématiciens et des physiciens de l’Enseignement supérieur ainsi que des Inspecteurs Généraux.
Gilbert Walusinski, L’instructive histoire d’un échec : les mathématiques modernes (1955 – 1972), Bulletin de l’APMEP n°353, avril 1986.

On ne doit donc pas s'étonner du fait que le BO n° 5 du 29 janvier 1970 se place aussi, pour le primaire, dans cette perspective d'allègement.
On peut  remarquer que le  courant antipédagogiste ne commencera qu'avec beaucoup de retard - une trentaine d'années !! -  à découvrir que le pouvoir est favorable à l'allègement qu'à partir d'un texte fameux comme le "Non au lycée light" de Joseph Urbas paru dans le Monde du 27 octobre 1998 dans lequel celui-ci dit fort justement

CE LYCÉE que Lionel Jospin, Claude Allègre et Philippe Meirieu appellent de leurs voeux, espace de convivialité et - accessoirement - d'enseignement, je l'ai déjà vécu. Comme élève. Lycéen moyen d'un établissement moyen aux Etats-Unis dans les années 70, j'ai déjà entendu tous les slogans répandus à l'heure actuelle en France par les apôtres des " sciences de l'éducation " : " travailler en équipe ", " mettre l'élève au centre de l'école ", " alléger les programmes ", " adapter les connaissances au monde contemporain ".

Certes mais les "Lionel Jospin, Claude Allègre et Philippe Meirieu" ne sont que les petits enfants du gaullisme qui a bien été le premier à vouloir " alléger les programmes " ou " adapter les connaissances au monde contemporain ".

Vous trouverez
    - dans Le général de Gaulle est le premier "pédagogiste" : Les vingt-sept points de la "rénovation pédagogique " du groupe de travail d'Alain Peyrefitte [Note 3] une présentation de ces vingt-sept points, présentation suivie des quelques remarques
    - ici l'intégralité des vingt-sept points, qui étaient jusqu'à présent inédits sur Internet et non référencés dans le débat pédagogique
    - ici le compte rendu par Alain Peyrefitte du conseil des ministres du 28 février 1968, tout aussi peu connu.

B) Le cas Chevènement : Il est sûr que ceux qui s'appuient sur les pires cotés de l'école de Jules Ferry - son double nationalisme continental et colonial par exemple -  considèrent que Jean-Pierre Chevènement a été un fier combattant de l’école républicaine puisqu’il a rétabli la marseillaise. C’est leur droit le plus absolu absolu de se placer sur ce terrain. Le seul reproche que l'on peut leur faire est de se présenter comme des défenseurs de l'instruction alors que  leur souci  essentiel est d'ordre politique. 

Mais si le critère d’appréciation  n’est pas celui-là et s'il vise principalement les contenus d’enseignement et les programmes pour l’arithmétique et le français et en particulier pour le primaire et les débuts de l’enseignement primaire, l'on peut constater, à la lecture des programmes 1985 du primaire signés Chevènement que vous trouverez ici, que celui-ci n’enraye pas la dégénérescence de l’école comme le veut la légende entretenue par les républicains de droite ou de gauche mais tout au contraire non seulement l’accompagne mais l'aggrave notablement comme le montre le montre le point IV infra : on peut même dire si l'on considére l'ensemble des programmes de maths primaire / secondaire que les programmes Chevènement sont le véritable coup de grâce à l'enseignement des mathématiques car ils sont les pires programmes de mathématiques  depuis 1945.

Pour plus de précisions lire : Jean-Pierre Chevènement, Ministre de l’Education nationale ... et donc, même pas ministre de l'Instruction publique
I) Jean-Pierre Chevènement …  siffle la fin de la récré. - 18/01/2011
II) Jean-Pierre Chevènement bis, … beaucoup plus fin que les chevènementistes. - 26/01/2011
III) Jean-Pierre Chevènement ter ...  la suppression des IUFM. - 05/03/2011
IV)  Retour sur les programmes Chevènement pour le primaire et le secondaire : le coup de grâce à l'enseignement des mathématiqes

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Jean-Pierre Chevènement a donc tout à fait le droit  de se réclamer du gaullisme et l'on peut de plus lui savoir gré d'en avoir fait fait une application créatrice. De Gaulle est bien le premier chef d'État français
démocrate à défendre l'allègement  des programmes  pour s'opposer à une "conception  encyclopédiste  de l'école primaire !!!" (Point N°1 des vingt sept points de la commission Peyrefitte), ce qui a été ensuite  parfaitement réussi grâce à l'appui de la gauche. Mais Jean-Pierre Chevènement a su, une vingtaine d'années après, être inventif et parachever l'action du général en supprimant tout  ce qui permet d'apprendre le cœur de l'enseignement des mathématiques, c'est-à-dire la démonstration aussi bien dans sa forme géométrique que dans sa forme "algébrique". Et si la démonstration mathématique n'est pas toute la rationalité "scolaire", elle en est une partie fondamentale. Sa suppression est bien un élément essentiel de la "proscription de toute forme de pensée cohérente" titre de la pétition contre les programmes du primaire de 2002 que Jean-pierre Chevènement avait explicitement refusé, et donc pas par hasard,  de signer.

Si je parle  supra de "premier chef d'État français démocrate" c'est parce que le premier chef d'état français à s'être officiellement opposé à " l'encyclopédisme à l'école primaire !!! " est habituellement classé comme non démocrate : il s'agit du Maréchal Pétain qui dit explicitement dans son discours le plus important sur l'école, discours intitulé, contre l'idée d'instruction publique, "L'Education Nationale" :

" L'école primaire continuera comme par le passé, cela va sans dire, à enseigner le français, les éléments des mathématiques, de l'histoire, de la géographie, mais selon des programmes simplifiés, dépouillés du caractère encyclopédique et théorique qui les détournait de leur objet véritable ".
L'éducation nationale

Allégement, lutte contre l'encyclopédisme et contre l'aspect "théorique" de l'enseignement primaire, c'est bien également le programme Joutard-Thélot qui a présidé à la rédaction des programmes de 2002.
Ce qui prouve non pas que Joutard, Thélot, Jean-Pierre Chevènement, de Gaulle sont des fascistes mais qu'il y a cependant une certaine continuité dans la politique de l'état dans le domaine de l'enseignement au moins depuis que, en 1932, l'on a débaptisé l'Instruction publique pour la rebaptiser Education Nationale en suivant l'exemple du premier état qui a eu cette démarche, l'Italie de Mussolini [Note 4 ].

Bonne lecture.


Cabanac, le 08/03/2011
Michel Delord
[a) Modifié le 28 mars 2011 : ajout de la conclusion et de la note 3
b) pour ceux qui sont intéressés par le débat sur la validité des témoignages d'Alain Peyrefitte,
débat paru
sur le blog Education de Luc Cédelle, lire ici sa reprise ]


Remarques :
[Note 1] Antipédagogisme : j'utilise ici, pour des raisons de commodité, le mot antipédagogisme malgré son imprécision. Vous trouverez
ICI plus de détails sur les dangers de son emploi "conceptuel".

[Note 2] Gaullisme et stalinisme français : Il n'est pas étonnant que ces deux courants, le stalinisme et le gaullisme soient finalement assez proches

- puisqu'ils ont pratiqué une alliance de guerre, alliance beaucoup plus prégnante  que les alliances simplement électorales
- puisque non seulement ils partagent la même problématique dont ils sont seulement les deux extrêmes mais aussi parce qu'ils ont volontairement essayé - ce qui était tout à fait leur droit-  d'en faire la problématique exclusive  de la société française. A la forme forme pratique de cette idée  fort bien exprimée par André Malraux lorsqu'il disait "Entre les communistes et nous, il n'y a rien !" correspond sa forme théorique donnée, par exemple,  par Marc Lazar, qui dans cette citation ne joue pas trop les Furet : "La relation entre de Gaulle et le PCF structura le champ magnétique de la vie politique française" (Marc Lazar, Le communisme, une passion française, 2002, Perrin Editeur).
    Notons cependant ce qui est un lien fondamental entre de Gaulle et le PCF : si de Gaulle a pu avoir un vaste soutien populaire, c'est essentiellement parce que le PCF lui a décerné pendant la guerre un certificat attestant son progressisme, certificat contresigné par Joseph Staline. De Gaulle ne faisait d'ailleurs que prendre la suite  de Pierre Laval dont, en 1935, Joseph Staline avait "compris et approuvé la politique de défense nationale de la France". Sans ce soutien du PCF et de Staline, il est à peu près sûr que le peuple français n'aurait eu
au mieux, rien à faire  de ce militaire maurassien connu comme lié  à la "maison Pétain". La droite française, gaullisme compris, n'en a pas ensuite su gré au PCF ni théoriquement ni pratiquement - par exemple pour les effectifs des employés de mairie dans les ex banlieues rouges -, ce qui est normal puisque l'on jette le PCF aussi bien qu'un kleenex ou qu'un "rempart contre l'islamisme" lorsqu'ils ont bien servi...

[Note 3] [Ajoutée le 27 mars 2011] Je voudrais rapporter ici un témoignage personnel. Lors d'un colloque organisé par Lire-Ecrire il y a quelques années, je me suis trouvé à la même table, mais assez éloigné, que Jean Foyer, l'ancien garde des sceaux du général de Gaulle. La conversation pendant le repas avait été "assez à droite... :-) " centrant toutes ses accusations  contre la gauche et sa politique scolaire. J'avais fait quelques réflexions certes discrètes mais montrant que je ne partageais pas cette problématique qui donnait un rôle moteur dans la dégradation à la seule gauche. A la fin du repas, Jean Foyer me prend à part et me dit : "Vous savez, vous avez raison, c'est un peu excessif  de ne critiquer que la gauche sur la politique scolaire. En tant que gaullistes, je peux vous dire que nous en avons fait aussi de belles et même avant 68 ". Moi : "Vous pouvez me donner quelques exemples ? ". Mais quelqu'un s'approche et coupe le conversation et Jean Foyer me dit : " Nous en on reparlerons tout à l'heure". Et il n'y a jamais eu de "tout à l'heure". Mais je pense que si Jean Foyer m'a fait cette réflexion, c'est qu'il sentait que je pouvais appeler ce type de remarques tandis que la grande majorité des présents, au contraire, souhaitaient entendre le contraire sur la position du gaullisme.

[Note 4 ] [Ajoutée le 27 mars 2011] Sans entrer dans les détails , il est possible de consulter sur ce sujet des textes qui ont maintenant quelques années et en particulier
- Michel Delord,  Huile de ricin et Coca-Cola : aux sources troubles de la pédagogie de projet , juillet 2001.
- Michel Delord, Partie D "Education versus Instruction" (Page 14 ssq) et Annexe "Documents historiques sur l'opposition Education/ Instruction" (Page 29ssq) de mes interventions dans le "Grand Débat sur l'école "de fin 2003/début 2004.