Le général de Gaulle est le premier "pédagogiste"
Les vingt-sept points de la "rénovation pédagogique "
du groupe de travail d'Alain Peyrefitte

(Octobre 1967 - Février 1968)



Le texte en vingt-sept points sur la « rénovation pédagogique » - dont vous trouverez infra quelques extraits des plus croustillants et sur cette page la version intégrale telle qu'elle apparait dans le C'était de Gaulle d'Alain Peyrefitte - est présenté par ce dernier, alors ministre de l'éducation,  au conseil des ministres du 28 février 1968, soit avant mai 1968. On peut consulter également ICI le compte rendu de ce conseil des ministres fait par le même Alain Peyrefitte.

Lors de ce conseil le général de Gaulle défend explicitement « l’allégement des programmes », soutient tout aussi explicitement les positions de son ministre - Pour cette rénovation pédagogique, je vous appuierai - pour un texte  qui contient quasiment tous les grands thèmes du « pédagogisme », explicité quelquefois sous des formes que le pire des pédagogistes n'oserait plus employer en 2010.

En voici  une liste dont le moins que l'on puisse en dire est qu'elle n'est pas exhaustive :

- Défense explicite de l’éducation contre l’instruction et « critique de l’encyclopédisme » (Point 1) ;
- Disparition du cours magistral « à tous les niveaux » (Point 4);
- Disparition des devoirs à la maison pour le primaire et le secondaire (Point 4) ;
- Minoration du rôle de la grammaire  et de l’étude de la littérature dans l’enseignement du français (Point 6) ;
- Diminution très nette de l’importance des lettres classiques (Point 6) ;
- Techno-gâtisme : Seul le film éducatif peut entraîner une véritable révolution pédagogique, en mettant l'école à l'heure de la «civilisation audiovisuelle » (Point 7) ;
- Invention démagogique des PE : « Pour revaloriser l’enseignement [ il faut] … appeler « professeurs» - du premier degré - les instituteurs à partir du moment où ils auront été recyclés en vue de la rénovation pédagogique » (Point 15) ;
- Création des IUFM (Point 16) ;
- Suppression de l’agrégation comme concours de recrutement de l’enseignement secondaire (Point 17) ;
- Rapprochement "indispensable" des durées de service des enseignants du modèle allemand/anglais/américain, c'est-à-dire 25 / 30 h par semaine (Point 20)
- Caporalisation de l’enseignement : Augmentation des pouvoirs de nomination, de notation et de discipline des recteurs, des inspecteurs d'académie et des chefs d'établissement de tous les degrés (doyens, directeurs d'établissement de l'enseignement supérieur, proviseurs, principaux et directeurs de collèges, directeurs d'écoles primaires) ( Point 21).
 
Un minimum de remarques s’impose  :

I- C’est une absolue contre-vérité de présenter de Gaulle et le gaullisme comme antipédagogistes ; non seulement ils participent pleinement à la dégradation obscurantiste de l’enseignement avec la réforme Fouchet mais en sont les premiers promoteurs historiques d'état, n’hésitant pas à conjuguer l’idolâtrie techniciste (rôle du cinéma, par exemple),  le caporalisme et la vision managériale - que l'on désignait à l'époque assez justement de technocratique - qui pense le fonctionnement de l'école comme celui d'une entreprise. Passons de plus sur la supposée volonté d'indépendance par rapport aux USA qui  ... prend le système scolaire américain comme modèle.
Par la même occasion sombre corps et biens la théorie défendue par une foultitude d'auteurs et notamment par Marc le Bris et Jean-Paul Brighelli et dont le gaullisme est censé être le premier exemple historique : les ministres de l'éducation nationale - et le président de la République - sont conscients de la dégradation de l'enseignement mais ils sont prisonniers des syndicats et des haut fonctionnaires


Il n'est pas inutile à ce propos  de noter que c'est contre cette tendance-là, considérer que le système éducatif doit fonctionner comme un entreprise - que Jean Leray [1], un des plus grands mathématiciens du XXème siècle et un des rares qui a su s'opposer aux mathématiques modernes dès 1971, écrivait en 1974 :

Il est dangereux d'appliquer à la vie intellectuelle les critères valables dans la vie économique : en simplifiant et uniformisant les structures, on détruit la féconde émulation des institutions ; en planifiant, en ignorant l'importance, pour la recherche, des fortes personnalités, en jugeant les chercheurs par équipes, on traite l'activité intellectuelle comme doit l'être l'activité industrielle : en prétendant jauger le rendement d'un chercheur de réputation mondiale par la statistique des doctorats qu'il décerne et celle des citations qui sont faites de ses travaux, on se targue de juger mécaniquement l'activité intellectuelle.
M. Jean Leray, Membre de l'Académie des Sciences, Rapport sur la Sauvegarde des connaissances scientifiques, C. R. Acad. Se. Paris, t. 278 (18/02/1974 Vie Académique.

Notons en passant que si l'on avait suivi la recommandation du point 27 et la vision utilitariste et technocratique des vingt-sept points pour l'enseignement supérieur et, par exemple , "nul ne doit rester chercheur plus de 4 à 5 années, sauf s'il a effectué pen­dant ce délai des découvertes particulièrement prometteuses",  Laurent Lafforgue - pour prendre cet exemple - n'aurait certainement pas été Médaille Fields.

II- C’est une autre absolue contre-vérité de présenter la base de la dégradation  de l’école
- comme « provenant de 68 » et des mouvements gauchistes puisque, au moment où de Gaulle soutient les propositions d’Alain Peyrefitte, « les gauchistes » n’existent pas ou plus exactement sont très peu nombreux et n'ont aucune influence notable.
- comme provenant d'une "alliance entre le libéralisme et  les libertaires " : l'OECE - ancêtre de l'OCDE-, l'état et le gaullisme sont partie prenante d'un projet que le PCF soutiendra également ( allégement des programmes du primaire des maths modernes et - sans entrer dans des les détails - approbation de ces réformes par Jean-Pierre Kahane qui n'a jamais caché sa qualité de membre du Comité central du PCF). 


III -  Un autre aspect intéressant est de montrer la quasi-absolue convergence du gaullisme et du mouvement de la réforme pédagogique, très souvent de gauche. Les descendants actuels des défenseurs de ces reformes reprochent aux antipédagogistes des liens avec la droite et avec le néo-libéralisme, ce qui est vrai en partie : mais ils feraient bien de se montrer prudents car leurs ainés n'hésitaient
    - ni à collaborer avec le gaullisme alors que le général de Gaulle défendait des positions que Marine le Pen aussi bien que Riposte laïque ne repousseraient probablement pas  : les fameux "Si nous faisions l'intégration, si tous les Arabes et Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! " et " Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par deux puis par cinq, pendant que la population française restera presque stationnaire? Il y aurait deux cents, quatre cents, six cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l'Élysée ? " , citations que vous trouverez, dans leurs contextes, ici.
    - ni a collaborer tout aussi étroitement avec l'OCDE : Rappelons simplement que le premier manuel de maths modernes, celui de Papy portait sur sa couverture  Conforme aux programmes de l'OECE  ( Cf. Michel Delord, 2002 Du bon usage de l'OCDE ) tandis que le rapport de l'OCDE de 1974 sur l'enseignement montrait la convergence des réformateurs de gauche avec la conception de l'école conçue comme une entreprise.

IV - Pourquoi personne ne s'appuie sur les textes d'Alain Peyrefitte sur l'école ? La raison essentielle en est bien sûr que personne n'a intérêt à les exhiber puisqu'ils mettent en cause aussi bien la problématique des républicains que celles de leurs opposants. A cet égard , il est assez remarquable de relire l'interview de Jacques Narbonne, conseiller du général de Gaulle pour l'éducation, interview  intitulée De Gaulle et l'éducation : comment en sommes-nous arrivé là ? faite par Isabelle Voltaire et Claude Rochet en 2002 pour la revue Panoramiques. Dans cette interview parue deux ans après la publication du dernier du C'était de Gaulle d'Alain Peyrefitte qui met complètement en cause la version de Jacques Narbonne, les intervieweurs  ne posent aucune question gênante. Serait-ce parce qu'ils ne connaissent pas le texte d'Alain Peyrefitte, qu'ils le connaissent mais n'en parlent pas ou tout simplement que, comme ils ont envie de l'image d'un de Gaulle antipédagogiste, ils n'ont pas du tout l'idée d'aller chercher des positions de de Gaulle qui contredisent leur vision. Ils auraient au moins pu demander à  Jacques Narbonne pourquoi, dans son livre de 1994  De Gaulle et l'éducation : une rencontre manquée, il ne mentionne ni les vingt-sept points ni le conseil des ministres du 28 février 1968.

Cabanac le 06/03/2011
Michel Delord
[1] Pour plus de renseignements sur Jean Leray, lire Guy Meyer, Jean Leray et la recherche de la vérité .

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Quelques extraits des "Vingt-sept points"
du groupe de travail d'Alain Peyrefitt
e
(Octobre 1967 - Février 1968)

  Rapport intégral ICI

Point 1 - Priorité à l'éducation sur l'instruction

Substituer à un système d'enseignement qui vise l'acquisition illusoire d'un bagage encyclopédique par l'entraînement exclusif de l'intellect et de la mémoire, un système assurant l'équilibre d'une éducation non seulement intellectuelle mais morale et civique, la formation du caractère, l'éducation de la volonté, le sens de l'équipe, l'apprentissage de la liberté, la découverte de soi, l'adaptation de la société, la participation au monde, le sens du réel, le goût des responsabilités.

Point 2 - Priorité à l'orientation

… L'orientation sera facilitée par l'établissement d'un tronc commun en 6e et 5e sans latin et avec 4 matières de base communes à tous les élèves de la 6e à la 3e (expression française, langue vivante, technologie, mathématiques).

Point 3 - Priorité à la formation professionnelle

Les études doivent préparer à la vie professionnelle, qui sera la grande affaire de chaque enfant devenu adulte.

Point 4 - Rénovation de la pédagogie

Le cours magistral doit disparaître presque complètement à tous les niveaux (remplacé par le film éducatif).

Disparition des « devoirs à la maison », à remplacer par des interrogations écrites et orales donnant aux élèves l'occasion de s'extérioriser, d'améliorer leur capacité d'expression, et de s'évaluer eux-mêmes (auto-correction, auto-appréciation).

Point 6 - Contenu des programmes

Expression française : l'enseignement du français ne sera conçu ni comme l'étude technique de la grammaire, ni comme l'enseignement de la littérature, mais principalement comme l'art de s'exprimer avec aisance, avec précision, avec nuance, avec correction, oralement autant que par écrit (...).

Le latin et le grec: (...) le latin devra être supprimé en 6e et en 5e. Il ne devra commencer qu'en 4e, en faisant l'objet d'un choix concurrentiel avec une seconde langue vivante. Le grec ne devra être commencé qu'en 2de, en concurrence avec une troisième langue vivante pour les non-latinistes, ou une seconde langue vivante pour les latinistes.

Point 7 – Développement de l'audiovisuel

Seul le film éducatif peut entraîner une véritable révolution pédagogique, en mettant l'école à l'heure de la «civilisation audiovisuelle ». Il paraît en mesure de provoquer des transformations aussi profondes dans l'enseignement que l'introduction du livre en a provoqué à partir du XVIe siècle.

Le film économise le temps du professeur hors de la classe. Le professeur n'a plus de cours magistral à préparer. Il n'a plus qu'à exploiter le film.

Point 9 - Remodelage des classes

Fixer la classe à 25 élèves en moyenne en gageant cet effort par la réduction du nombre des heures, le rassemblement de toutes les classes d'un même niveau pour les projections audiovisuelles et la réduction de l'heure professorale à 30 minutes d'exercice en cas de projection d'un film, et, sinon, à 40 minutes jusqu'à la 4e et à 45 minutes au-delà (système anglais ou allemand).

Point 15 - Revalorisation de la fonction enseignante

a- Redonner par des initiatives spectaculaires du prestige à un métier déprécié (par exemple, appeler « professeurs» — du premier degré — les instituteurs à partir du moment où ils auront été recyclés en vue de la rénovation pédagogique).

Point 16 - Formation des maîtres de l'enseignement primaire

a- Donner une importance accrue à l'enseignement de la psychopédagogie et de la pédagogie pratique.
b- Substituer aux écoles normales primaires départementales (assurant 3 années de préparation au baccalauréat et seulement une année de préparation professionnelle), des instituts universitaires de pédagogie, situés au chef-lieu d'académie près de l'université, ouverts par concours ou sur dossier à tous les bacheliers, et comportant deux années de préparation professionnelle et d'enseignement de la pédagogie.

Point 17 - Formation des maîtres de l'enseignement secondaire

Suppression de l'agrégation comme concours de recrutement de l'enseignement secondaire.

Point 20 - Relèvement des horaires (et allongement de l'année de travail) des maîtres des différents degrés

Il est indispensable que la durée des horaires de service et le nombre des semaines de travail scolaire et universitaire se rapprochent des normes allemandes, anglaises et américaines (25 à 30 heures dans le secondaire et 6 à 12 heures hebdomadaires dans le supérieur, au lieu de 12 à 21 heures dans le secondaire et de 2 à 3 heures dans le supérieur en France).


Point 21 - Statut du corps enseignant et fonctions d'autorité

- Il n'est pas possible de laisser se perpétuer une absence de statut, qui fait en pratique de la fonction enseignante une fonction sans obligations ni sanctions, où la carrière est faite par les syndicats.

- Augmentation des pouvoirs de nomination, de notation et de discipline des recteurs, des inspecteurs d'académie et des chefs d'établissement de tous les degrés (doyens, directeurs d'établissement de l'enseignement supérieur, proviseurs, principaux et directeurs de collèges, directeurs d'écoles primaires).

Point 27 - Désenclaver la recherche

... sauf dans certains secteurs de sciences expérimentales, nul ne doit rester chercheur plus de 4 à 5 années, sauf s'il a effectué pen­dant ce délai des découvertes particulièrement prometteuses.