Les Sciences de l'éducation et Marx
( Octobre-novembre 1998)
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http://michel.delord.free.fr/bibli1998/seducmarx2009.pdf

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Partie I  ( 10/10/98)

    L'objet des sciences de l'Education
    Evitons la polémique
    Conclusion

Partie II  ( 08/11/98)

    FINANCE : Souteneurs, receleurs et dealers contribuent aussi à la richesse d'un pays


Partie I  ( 10/10/98)

L'objet des sciences de l'Education
Evitons la polémique
References Marx, Engels, Lenine
Conclusion:
Annexes
Théories sur la plus Value Tome 1 p 452/455 
Théories sur la plus-value   p 188/190

Partie II  ( 08/11/98)

FINANCE : Souteneurs, receleurs et dealers contribuent aussi à la richesse d'un pays



Partie I  ( 10/10/98)

L'objet des sciences de l'Education

 Tout d’abord , l’école en soi n’existe pas car il n’y a que peu de rapport entre l’école du moyen âge et l'école actuelle à part si on la réduit au “processus d’apprentissage” considéré de manière tout aussi abstraite car lui aussi évolue de manière historique. Cette manière de voir tend à réduire la question sociale du rôle de l’école à celle du rapport inter-individuel entre “l’apprenant” et l’enseignant , quitte ensuite à réintroduire la question sociale pour faire de gauche ou même marxiste ( on a en général a peu prés la même manoeuvre idéologique dans tous les domaines : elle consiste à partir de l’individu pour redonner ensuite une teinte de classe  comme si les classes sociales étaient la somme de leurs individus et les nuages la somme de leurs gouttelettes). Une fois cette étape accomplie, la question centrale - “l’objet” des “sciences de l'éducation" depuis qu’il est à la mode de faire de l'épistémologie: voir l’article de JM Levy Leblond :la Chauve souris et la Chouette- devient celle de la pédagogie : en ayant posé d’abord cette abstraction qu’est l’individu, elle a en en fait posé l’individu réel qui est derrière, cad l’élève dans l'école bourgeoise avec toutes ses limites , et comme l’individu n’existe qu’en liaison avec l’ensemble de la société, elle a donc posé comme objet l'école bourgeoise. Il est donc naturel qu’elle trouve des solutions  compatibles avec l’ordre existant puisqu’elle en a intégré toutes les caractéristiques en posant le problème. La question réelle de la vacuité rigolote des discours des “scientifiques de l’éducation” et la volonté  de garder leurs sinécures à tout prix est donc secondaire: en ne choquant pas telle ou telle personnalité un moment au pouvoir, en se moulant dans le champ des réformes - suivre le mot d'ordre “apprendre à apprendre” au moment ou il est en vogue par exemple- , surtout  en ne touchant pas aux questions de fond - les notes, le programme , l’utilité d’un enseignement des “sciences économiques” ..... et en théorisant la nécessité de ne pas le faire, ils respectent la loi qui est justement faite pour assurer globalement leurs promotions. Nous oublions volontairement que, si l’on veut faire sérieux et donc obtenir une rente et des crédits , il vaut mieux actuellement passer pour un scientifique. D’ou la pullulation de nouvelles sciences.....

 Ceci dit, si l’objet des sciences de l'éducation est l'école bourgeoise et plus précisément impérialiste, cela interdit-il que ces scientifiques fassent des “découvertes”: Non, ils peuvent en faire et il est normal dans la logique du système qu’ils en soient  rémunérés.
MAIS : de quels découvertes s’agit-il?
Au moyen âge, il y a eu un grand débat sur le sexe des anges dans lequel de grandes vérités ont été découvertes sur ce que l’on pourrait appeler les “sciences de l’angélisme" , objet de recherche qui n’est pas plus délirant que celui des sciences de l’éducation - la masse espérait en Dieu et maintenant la masse espère qu’elle va être massivement promue par l'école: à l’ancien jeu, il suffisait d’être pauvre pour être élu et l’on n’avait même pas besoin des bourses qui sont distribuées de manière parcimonieuse- et qui entretenait avec l'idéologie religieuse dominante de l'époque des liens aussi étroits que que la psychologie cognitive avec l'idéologie dominante de l'école même démocratique, laïque, unique et obligatoire. Mais, dira-t-on, il s’agit de recherches scientifiques alors qu’il s’agissait de recherche religieuse? On y reviendra et prenons un exemple scientifique et moderne: l’automobile qui en ces jours de “Mondial Automobile” parisien est bien le lieu d’une immense application des "dernières découvertes de la science et de la technologie”. Imaginons une “Science Automobilistique” qui met actuellement au point la technique de guidage automatique des voitures dont la télé cette semaine a bien voulu nous abreuver en montrant cette petite voiture qui se déplace automatiquement sans qu’on la conduise. Il s’agit bien là de découverte scientifique et de technologie ( et donc pas de religion à priori) mêlant la dynamique, la thermodynamique, l'électronique , l’informatique......, cad des vraies sciences dures et, qui plus est, liées de manière interdisciplinaire , cad que cette Science réalise complètement le  rêve des pédagogues actuels les plus extrémistes dans l’interdisciplinarité (  l’interdisciplinarité étant  la socialisation de la connaissance sous la domination du marché, cad la collaboration des spécialistes) . Oui mais toutes ces découvertes sont entièrement déterminées par la “nécessité de l’automobile” comme les découvertes des Sciences de l'Éducation sont entièrement déterminées par la “nécessité de l'École". Or, la nécessité de l’automobile ne réside que très secondairement dans son utilisation individuelle qui est d’aller d’un endroit à l’autre ( exactement dans la mesure ou il faut cependant que l’achat corresponde à un besoin social “naturel”, créé ou imposé an sens strict d’imposable comme l’est justement la vignette automobile) : il réside plutôt dans un complexe d'intérêts convergents ou divergents évoluants dans le temps - le normalien supérieure ancien locataire de l’Elysée qui avait dit que la ville doit s’adapter à la voiture semble avoir moins la cote -dans lesquels on peut citer pèle mêle:

1) avoir un mode de déplacement rendant indispensable la dépendance par rapport à la source dominante d’approvisionnement du pétrole sise au Proche Orient ( voir la fermeture des mines de charbon européennes)
2) les intérêts des états bien contents de prélever leurs dîmes qu’ils peuvent prétendre reverser aussi sur le service public qui assurera la transformation consubstantielle des pauvres en riches par l’adoubement des diplômes
3) les intérêts du capitalisme écologique qui réalise ses marges sur la vente des pots catalytiques : il  serait intéressant de savoir si “le concept” écologie a créé le besoin du pot catalytique ou si la lutte contre la baisse tendancielle du taux de profit du secteur automobile a justifié le soutien aux écologistes qui , en tant que voyageurs de commerce multicartes  du capital vert, peuvent aussi se présenter comme concessionnaires de voitures non physiquement polluantes . La seconde hypothèse semble plus probable dans la mesure ou, hier soir , M. Peugeot et M. Renault se sont taillés un costume de beauf moderne école et opposé aux "excès du marché”: ils ont d’abord fait remarquer qu’en tant que constructeurs ( cad gérants d'économie réelle et non virtuelle: mais ils fonctionnent eux aussi sur la crédit qui est au mieux l’exploitation d‘un travail futur cad assez virtuel) qui programment leurs investissements à trente ans au Brésil, ils étaient gênés par les spéculateurs qui ne voient pas à long terme et ils se sont ensuite plaints du fait que les voitures plus vieilles et plus polluantes soient moins taxées .
4) etc...

 Dans ce sens, on en sait beaucoup plus sur l’automobile en étudiant les conflits du Proche-Orient et les contradictions engendrées par la rente foncière qui , en augmentant démesurément la taille des villes, rendent nécessaires son utilisation  qu’en observant l’objet technique appelé automobile et même en ajoutant tout l’appareillage statistique incluant toutes les corrélations possibles.

 La "nécessité de l'École" , objet des sciences de l’éducation , est particulièrement aveugle également au rôle de l’école : elle apporte certes des connaissances ; la science automobilistique apporte aussi des connaissances utiles comme la mise au point des porte cannettes de Coca-Cola qui empêchent que ce   liquide précieux - vu le rapport entre son prix et ce qu’il contient -se renverse dans notre automobile. Mais elle apporte surtout des connaissances qui, dans un monde non mercantile, auront l’utilité des démonstrations sur le sexe des anges et des connaissances basées sur “  la multitude de fonctions parasites qu’il [le capitalisme] engendre et rend plus ou moins indispensables”( Marx Le Capital Livre 1 Tome 2 p 201).

 Poser réellement “le problème de l’école”, c’est donc avant tout critiquer l'école réelle et les besoins qu’elle satisfait. Lorsque l’on aura critiqué tous les besoins qui sont des besoins  délétères et au mieux inutiles  crées par la nécessité des la production généralisée des marchandise, il se peut que l'idéologie bourgeoise ne reconnaisse pas son école et prétende que “l’on veut supprimer l'école" : elle aurait globalement raison car il ne resterait pas grand-chose de l'école qu’elle aime: en effet à quoi sert pour une production non marchande la nécessité de mettre des notes, d’enseigner chaque matière dans un jargon spécialisé, d’organiser l'émulation scolaire entre élèves,  d’enseigner des matières qui justifient elle-mêmes la production des marchandises comme l’histoire et les sciences économiques et de donner et de valoriser des diplômes et des honneurs qui reconnaissent l’infamie d'être le meilleur pour produire de la plus-value ou de réaliser le meilleur retour sur investissement? Cette liste n’est pas exhaustive car ce texte ne vise pas à créer un catalogue de revendications mais est un tout bête essai de réflexion.
La majorité des revendications énoncées ci-dessus ( et d’autres ainsi que ce que l’on peut lire en creux dans ce texte) ont été appliquées , dans les années 20, en URSS, pays qui pourtant ne s’était pas débarrassé du capitalisme et de la production marchande: elles ont abouti à la plus rapide lutte contre l'analphabétisme que le monde ait connu. Elles ont été aussi des revendications avancées par des fractions syndicales certes minoritaires mais non négligeables historiquement de nombreux pays européen.

Ces revendications sont dans le droit fil de ce que  le citoyen Marx déclarait en 1869 au Conseil General de l’AIT:

La proposition du citoyen Milner [ qui souhaitait inclure un enseignement “progressiste” de l’économie] ne se prête pas à une discussion qui porte sur la question scolaire. C'est dans la lutte quotidienne pour la vie que les jeunes gens devraient recevoir cette éducation de la part des adultes. L'orateur n'accepte pas Warren comme parole d'évangile. Au demeurant, c'est là une question qui ne fera que très difficilement l'unanimité. On peut ajouter qu'une telle formation ne peut être transmise par l'école ; elle intéresse bien plutôt les adultes.
Dans les écoles élémentaires, et plus encore dans les écoles supérieures, il ne faut pas autoriser de disciplines qui admettent une interprétation de parti ou de classe. Il ne faut enseigner dans les écoles que les matières telles que la grammaire, les sciences naturelles. Les règles grammaticales ne changent pas, que ce soit un conservateur clérical ou un libre penseur qui les enseigne. Des matières qui admettent une diversité de conclusion ne doivent pas être enseignées dans les écoles ; les adultes peuvent s'en occuper sous la direction d'une institutrice telle que Mlle Law qui fait des conférences sur la religion".

 La réponse moderne est que la démocratie est la neutralité et qu’il n’existe donc plus de sciences de parti: donc l’histoire démocratique est neutre, l'économie de marché aussi. On peut donc les enseigner et Marx est un imbécile. L'histoire récente est assez rigolote: elle fait que le ministre Allegre veut supprimer non pas les sciences économiques dans l’enseignement mais même simplement l’agrégation de cette noble matière et n’y arrive pas tandis que M. Bourdieu , homme très à gauche s’il en est, signe une pétition pour défendre le nombre de postes à cette même agrégation.

Evitons la polémique

 Et pour éviter la polémique et les digressions, nous avons volontairement oublié de citer ce qui suit et qui vient de la même séance de l’AIT:

Les proudhoniens affirment que l’enseignement gratuit est un non-sens, puisque l'État doit payer [ à l’époque, il n’y avait pas le démocratique impôt sur le revenu]. Il est évident que l’un ou l’autre doit payer, mais il ne faut pas que ce soient ceux qui sont le moins en l’état de la faire. L’enseignement supérieur ne doit pas être gratuit.”

La réponse moderne est que, depuis plus d’un demi-siécle, les “marxistes de renom” ne parlent plus de cette simple recommandation. Cela leur évite un débat houleux: être contre signifie ne plus rentabiliser leurs boutiques dont l’enseigne prétend qu’ils défendent Marx : ils laissent donc entièrement la critique de l’enseignement -supérieur à “l’inférieur” - à la haine originaire des banlieues  dont, cependant, ils regrettent quelquefois que la police soit trop violente avec les casseurs dont on n’a pas prouvé, pour contrer la position de Marx, qu’il soit constitué d’une majorité de boursiers de l’enseignement non-inférieurs et en particulier d’élèves de la Rue d’Ulm.
 
MAIS: jusqu’aux années 30, de rares tendances syndicales ont soutenu le point de vue de Marx en  considérant que la ”promotion sociale par l'école" était une couillonade démocratique car leur morale était basée sur le “refus de parvenir”( J Boyer- Ecole et Morale- ITE Octobre 1926) et la fierté d’appartenir à leur classe “qui entretient toute la société”. La participation des classes inférieures  des sociétés avancées des métropoles au festin colonial est une bonne explication de la base matérielle de ce phénomène, passage intégral des positions des classes inférieures d’une société bourgeoise sur celles de la classe dominante qui n'empêche pas les grèves mêmes “dures” mais qui se bornent à la réforme de l'école et l’augmentation des crédits au lieu de viser l’abolition du salariat.Les clés se trouvent chez Lénine et Marx (avec des renvois explicites de l’un à l’autre):

References Marx, Engels, Lenine

1) Lénine en 1907
Le congrès socialiste international de Stuggart (extrait)

Ensuite, on a vu se manifester ici un trait négatif du mouvement ouvrier européen, susceptible de porter pas mal de préjudices à la cause du prolétariat, et qui mérite pour cette raison une attention soutenue. Marx a signalé à maintes reprises un aphorisme de Sismondi, d'une portée considérable: les prolétaires du monde antique vivaient aux dépens de la société; la société contemporaine vit aux dépens des prolétaires.

La classe des non-possédants mais non laborieuse est incapable de renverser les exploiteurs. Seule la classe prolétarienne, qui entretient toute la société, est en mesure d'accomplir la révolution sociale. Eh bien, la politique coloniale menée sur une grande échelle, a fait que le prolétaire d'Europe se trouve partiellement dans une situation où ce n'est pas son travail qui entretient toute la société, mais celui des indigènes réduits à l'esclavage ou peu s'en faut. Par exemple, la bourgeoisie anglaise retire des dizaines et centaines de millions d'habitants de l'Inde et des autres colonies plus de revenus que des ouvriers anglais. Dans ces conditions, il se forme dans certains pays la base matérielle, économique, de l'inoculation du chauvinisme colonial au prolétariat de tel ou tel pays. Ce n'est là, sans doute, qu'un phénomène passager; néanmoins, il importe de prendre nettement conscience du mal, d’en comprendre les causes, afin de pouvoir serrer les rangs du prolétariat de tous les pays en vue de la lutte contre un tel opportunisme. Et cette lutte aboutira inévitablement à la victoire, car les nations «privilégiées » sont de moins en moins nombreuses parmi les nations capitalistes.

Rédigé à la fin d'août et au début de septembre 1907.
Paru le 20 octobre 1907 dans le journal « Prolétari » n° 17
Tome 13, pp. 59-61 (éd. russe)
La référence de Lénine est “Le Capital  TI  Livre III p 36”

2) Marx, pour sa part souligne déjà le rapport entre la nullité de la classe ouvrière anglaise ( voir la fin pour la France) et l'impérialisme: en 1872 , Marx expliquait au congrès de La Haye que “tous les prétendus chefs des travailleurs anglais sont plus ou moins vendu à la bourgeoisie et au gouvernement”, opinion sur laquelle il revient plusieurs fois dans sa correspondance :

Engels à Bernstein, 17 juin 1879 :

Depuis un certain nombre d'années, le mouvement ouvrier anglais s'agite sans trouver de solution dans le cercle étroit de grèves pour obtenir une augmentation de salaires et une diminution des heures de travail, et ce non pas comme moyen de lutter contre la misère ou comme moyen de propagande et d'organisation, mais comme but ultime. Qui plus est, les syndicats excluent même par principe, dans leurs statuts, toute action politique et, de ce fait, s'interdisent de participer à toute activité générale de la classe ouvrière en tant que classe.
Sur le plan politique, les ouvriers se divisent en conservateurs et en radicaux libéraux, en partisans du ministère Disraeli (Beaconsfield) et en partisans du ministère Gladstone. On ne peut donc parler ici de véritable mouvement ouvrier, puisque les grèves qui se déroulent ici, qu'elles soient victorieuses ou non, ne font pas avancer le mouvement d'un seul pas. A mon avis, elles ne peuvent être que nuisibles les grèves qui, dans cette situation, ont assez souvent été suscitées intentionnellement par les capitalistes au cours des dernières années de mauvaises affaires, afin d'avoir un prétexte pour fermer leurs usines, ou les grèves qui ne font pas avancer d'un pouce en direction de luttes ayant une portée universelle et historique, bref de grèves qui se font dans la “liberté » telle qu'elle existe ici. On ne peut se dissimuler qu'il n'existe pas ici en ce moment de véritable mouvement ouvrier, au sens où on l'entend sur le continent. C'est pourquoi j'estime que vous ne perdez pas grand-chose si vous n'obtenez pas en ce moment de comptes rendus sur les agissements des syndicats anglais.”
 

Engels à A. Bebel, 30 août 1883: 

A moins d'un événement inattendu, il n'y aura pas ici de véritable mouvement ouvrier général tant que les ouvriers n'éprouveront pas eux-mêmes que le monopole mondial de l'Angleterre est en pièces . La base économique de la nullité politique des ouvriers anglais était - et est encore -leur participation à la domination du marché mondial. Bien que ne formant que la queue de la bourgeoisie dans l'exploitation économique de ce monopole, ils n'en participent pas moins aux avantages de celle-ci, si bien qu'ils sont tout naturellement aussi la queue politique du  grand Parti libéral » qui, au reste, leur fait la cour pour des questions de détail, en reconnaissant les syndicats et les grèves comme des facteurs légitimes, en renonçant à lutter pour la durée illimitée de la journée de travail et en concédant le bulletin de vote à la masse des ouvriers jouissant d'une situation avantageuse. Mais tu seras témoin d'événements surprenants lorsque l'Amérique et la concurrence unie des autres Etats industriels auront percé une large brèche dans ce monopole (et on en est assez près dans la sidérurgie, mais beaucoup moins dans l'industrie cotonnière).”

Engels à Kautsky, le 12 septembre 1882 : “Vous me demandez ce que les ouvriers anglais pensent de la question coloniale . Eh bien, exactement la même chose que ce qu'ils pensent de la politique en général, soit exactement ce qu'en pensent les bourgeois - il n'existe pas ici de parti ouvrier, mais uniquement des conservateurs et des radicaux libéraux. et les ouvriers mangent allégrement leur part du monopole anglais sur le marché mondial et les colonies.

Enfin , pour que les champions du monde français ne pensent pas qu’ils n’ont pas été à l’avant-garde eux aussi :
Engels à Marx, le 8 décembre 1882 :« A propos de la délégation syndicale - lorsqu'au congrès des possibilistes, les Français ont entonné la Marseillaise en leur honneur, l'honorable Shipton et consorts crurent qu'il fallait leur rendre la pareille, et ils entonnèrent d'une seule voix le God save the Queen”. »

Conclusion:

 Si, presque un siècle et demi après leurs rédactions, les revendications de Marx réapparaissaient sur l'écume du mouvement social, il est sur que les seuls “scientifiques de l'éducation" qui ne les combattraient pas - s’il y en a - seront ceux qui auront compris que leur spécialité est une science du bon fonctionnement du capitalisme parasitaire. Ce qui me permet de citer en conclusion un extrait des théories de la plus-value qui décrivaient déjà assez bien les principes de fonctionnement d’une société basée sur le marché.

Annexes :

Théories sur la plus Value Tome 1 p 452/455
Digression
(sur le travail productif)

 Un philosophe produit des idées, un poète des poèmes, un pasteur des sermons, un professeur des traités, etc. Un criminel produit des crimes. Si on considère de plus près le rapport de cette dernière branche de production avec l'ensemble de la société, on reviendra de bien des préjugés. Le criminel ne produit pas seulement des crimes, il produit aussi le droit criminel et, par suite, également le professeur qui fait des cours sur le droit criminel et, en outre, l'inévitable traité dans lequel ce même professeur jette sur le marché général, ses conférences comme "marchandises ". Cela entraîne une augmentation de la richesse nationale. Sans compter la jouissance privée que le manuscrit du traité procure à son auteur, comme nous le [dit] un témoin compétent, le professeur Roscher .
 

 Le criminel produit en outre toute la police et toute la justice criminelle, les sbires, juges, bourreaux, jurés, etc.; et chacune de ces différentes branches professionnelles, qui constituent autant de catégories de la division sociale du travail, développe différentes facultés de l'esprit humain, créant de nouveaux besoins et de nouvelles manières de les satisfaire. La torture, à elle seule, a suscité les inventions mécaniques les plus ingénieuses et elle a occupé une masse d'artisans honorables à la production de ses instrumenta.

Le criminel produit une impression, en partie morale, en partie tragique, c'est selon, et fournit ainsi un “service s aux sentiments moraux et esthétiques du publie qu'il met en mouvement. Il ne se borne pas à produire des traités sur le droit criminel, des codes pénaux et, partant, les auteurs de ces codes, il produit aussi de l'art, de la littérature, des romans et même des tragédies, comme le prouvent non seulement Die Schuld [La Faute] de Mullner2 et Die Râuber [Les Brigands] de Schiller, mais aussi OEdipe et Richard III. Le criminel rompt la monotonie et la sécurité quotidiennes de la vie bourgeoise. Il la préserve par là de, la stagnation et suscite cette tension et cette agitation inquiète sans lesquelles l'aiguillon de la concurrence lui-même s'émousserait. Il fournit ainsi un aiguillon pour les forces productives. Le crime élimine du marché du travail une partie de la population en surnombre et, ce faisant, il diminue la concurrence entre les travailleurs et empêche, jusqu'à un certain point, le salaire du travail de tomber au-dessous du minimum, tandis que la lutte contre le crime absorbe une autre partie de cette même population. Ainsi le criminel intervient comme l'une de ces “compensations” naturelles qui établissent un niveau correct et ouvrent toute une perspective de branches professionnelles “utiles”.

 On peut prouver jusque dans le détail l'influence qu'exerce le criminel sur le développement des forces productives. Les serrures auraient-elles jamais atteint leur perfection actuelle s'il n'y avait pas de voleurs! Dam la fabrication des billets de banque serait-on parvenu au fini atteint de nos jours s'il n'y avait pas 11183 de faux-monnayeurs? Le microscope aurait-il réussi à pénétrer dans la sphère commerciale courante (voyez Babbage) sans la fraude dans le commerce? La chimie pratique ne doit-elle pas autant à la falsification des marchandises et aux efforts pour la découvrir qu'à un honnête zèle dans la production? Le crime, par les moyens toujours nouveaux qu'il a d'attaquer la propriété, fait naître des moyens toujours nouveaux de la défendre et, du coup, son effet sur l'invention des machines est tout aussi productif que les strikes [grèves]. Et si on quitte la sphère du crime privé: sans crimes nationaux, est-ce que le marché mondial serait jamais né? Et les nations elles-mêmes? Et, depuis l'époque d'Adam, l'arbre du péché n'est-il pas en même temps l'arbre de la connaissance? Dans la Fable of the Bee [Fable des abeilles] (1705), Mandeville avait déjà démontré la productivité de toutes les professions, etc. possibles et, en général, la tendance de toute cette argumentation:
 

“Ce que nous appelons, dans ce monde, le mal, aussi bien moral que naturel, c'est le grand principe qui fait de nous des créatures sociales, la base solide, la, vie et le soutien de tous les métiers et de toutes les occupations sans exception; c'est ainsi que nous devons chercher la véritable origine de tous les arts et de toutes les sciences; et du moment où le mal cesserait, la société devrait nécessairement se dégrader, sinon périr complètement. ”

Seulement Mandeville avait, bien sûr, infiniment plus d'audace et d'honnêteté que les apologistes philistins de la société bourgeoise".

Note: Bernard de Mandeville (1670-1733): médecin, auteur satirique et économiste anglais. Dans La Sainte Famille (1844), Marx le cite comme auteur caractéristique de la tendance socialiste du matérialisme: Il prouve que, dans la société d'aujourd'hui, les vices sont inévitables et utiles.  (La Sainte Famille, Editions sociales, Paris 1972, p. 158.)

    

Théories sur la plus-value   p 188/190
 

[4. Comment l'économie politique bourgeoise vulgaire définit le travail productif]

Voici les circonstances qui ont surtout suscité la polémique contre la distinction que fait A. Smith entre le travail productif et improductif: cette polémique cependant se limite principalement aux dii minorum gentium [dieux mineurs], (Storch reste le plus important d'entre eux); on ne la trouve pas chez un seul économiste important, personne de qui on pourrait dire qu'il a découvert quoi que ce soit en économie politique: en revanche, elle est le cheval de bataille des second-rate fellows [individus de second ordre], et particulièrement des pédants compilateurs et auteurs de manuels, des amateurs férus de beau style et des vulgarisateurs.
La grande masse des travailleurs dits “supérieurs” -fonctionnaires de l'État, militaires, virtuoses, médecins, prêtres, juges, avocats, etc. -tous ces gens qui, non seulement ne sont pas producteurs mais sont essentiellement destructeurs, et qui savent toutefois s'approprier une grande partie de la richesse “matérielle ”, soit en vendant leurs marchandises “immatérielles”, soit en les imposant de vive force, n'étaient guère flattés de se voir relégués, au point de vue économique, dans la même classe que les buffoons [saltimbanques] et menial servants [domestiques] et de n'apparaître que comme des consommateurs parmi d'autres, parasites des véritables producteurs (ou plutôt des agents de la production). C'était là une étrange désacralisation des fonctions qui précisément étaient entourées jusqu'alors d'une auréole et jouissaient d'une vénération superstitieuse. L'économie politique, à sa période classique, tout comme la bourgeoisie à l'époque où elle est une parvenue, se montre sévère et critique vis-à-vis de l'appareil d'Etat, etc. Par la suite elle comprend et apprend par expérience -ce qui se révèle aussi dans la pratique -que de sa propre organisation surgit la nécessité de la combinaison sociale de tout“ ces classes, pour une part totalement improductives, dont elle a hérité.

 
 Dans la mesure où ces "travailleurs improductifs" ne créent  pas des biens de consommation et où l'achat en est donc entièrement déterminé par la façon dont l'agent de la production  veut dépenser son salaire ou son profit -disons plutôt dans la mesure où ils sont ou se rendent indispensables parce qu'existent des maux physiques (c'est le cas des médecins), ou des faiblesses de l'esprit (c'est le cas des prêtres) ou encore en raison du conflit opposant les intérêts privés aux intérêts nationaux (c'est le cas des personnels de l'État, de tous les lawyers [juristes], des policiers, des soldats), ils apparaissent à A.Smith comme au capitaliste industriel ainsi qu'à la classe ouvrière comme des faux frais de production* qu'il convient donc, autant que faire se peut, de réduire au strict minimum et d'obtenir aux moindres frais. Sous une forme qui lui est propre la société bourgeoise reproduit tout ce qu'elle avait combattu dans la forme féodale ou absolutiste. Ce sera donc une des principales tâches des sycophantes de cette société, surtout ceux des classes supérieures, que de procéder, sur le plan de la théorie, à la restauration de la fraction purement et simplement parasitaire de ces “travailleurs improductifs”, ou bien encore d'établir le bien-fondé des prétentions exagérées de la fraction de ceux-ci qui est indispensable. C'était en fait proclamer les liens de dépendance unissant les classes d'idéologues, etc., aux capitalistes.
Mais deuxièmement: tantôt l'un, tantôt l'autre de ces économistes démontrait qu'une partie des agents de la production (il s'agit de la production matérielle) était “improductive”, ce qu'a fait par exemple pour le propriétaire foncier la catégorie d'économistes qui représente le capital industriel (Ricardo). D'autres (par exemple Carey) ont considéré le commerçant* proprement dit comme un travailleur improductif. D'autres enfin allèrent jusqu'à déclarer que le capitaliste lui-même était improductif ou voulaient du moins réduire ses droits sur la richesse matérielle au salaire, c'est-à-dire à la rémunération d'un "travailleur productif". Nombreux étaient les travailleurs intellectuels qui semblaient partager ce scepticisme. Il était donc temps d'adopter un compromis et de reconnaître qu'étaient productives toutes les catégories que n'englobait pas directement celle des agents de la production matérielle. Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné et, comme dans la "fable of the bees"  [fable des abeilles], il fallait démontrer que même du point de vue économique, du point de vue "productif", le monde bourgeois avec tous ces “travailleurs improductifs” constitue le meilleur des mondes; d'autant plus que les “travailleurs improductifs ” se livraient de leur côté à des considérations critiques sur la productivité des classes “fruges comumere nati” [nées pour consommer les produits de la terre Horace: Epitre8, Livre 1, Epître 2, 27] -ou même sur les agents de la production, comme les propriétaires fonciers, qui ne font rien du tout, etc. Ceux qui ne faisaient rien aussi bien que leurs parasites devaient trouver leur place dans le meilleur des systèmes universels.

Troisièmement: Dans la mesure où se développait la domination du capital et où effectivement dépendaient de lui, de plus en plus, même les sphères de production sans liens directs avec la création de la richesse matérielle -les sciences positives (sciences de la nature) notamment furent mises à son service comme moyens de la production matérielle -, les sycophantes underlings [subalternes] de l'économie politique se croyaient obligés de glorifier et de justifier toute sphère d'activité, en montrant qu'elle était “en relation” avec la production de la richesse matérielle qu'elle en était le moyen -et faisaient à tout un chacun l'honneur de le classer “travailleur productif ” au “premier ” sens du terme, c'est-à-dire labourer [travailleur] qui est au service du capital et d'une manière ou d'une autre contribue à son enrichissement, etc.
Mieux vaut encore sur ce point des hommes comme Malthus qui défendent directement la nécessité et l'utilité des “travailleurs improductifs ” et des parasites purs et simples.

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Partie II  ( 08/11/98)
 

 L'Actualité est passagére et changeante mais elle apporte quelquefois la vision de la pointe de récifs qui forment le sous-sol social:
Le Courrier International (17-23/9/98) cite un article paru dans le quotidien économique et financier italien "Il Sole/24 Ore" :

FINANCE : Souteneurs, receleurs et dealers contribuent aussi à la richesse d'un pays

 "Conformément aux volontés de Bruxelles, l'institut de la statistique italien a décidé d'intégrer l'argent du crime dans la comptabilité nationale. Reste à définir la méthode de calcul.
 "L'Union Européenne a décidé qu'à partir de l'an 2.000, les activités illégales entreront officiellement dans les comptabilités nationales. Par illégales, on entend les activités interdites par la loi (la pro-duction de drogues, par exemple), et celles qui peuvent être légales en elles-mêmes mais qui ne le sont plus quand elles sont exercées en dehors du cadre prévu par la loi (comme l'exercice d'une profession par des personnes non habilitées)". L'Institut de la statistique italien annonce que "ces deux types d'activités devront figurer dans la comptabilité nationale, au poste production, à condition de générer des biens et des services pour lesquels il existe une véritable demande du marché ". Autre critère retenu "ne seront prises en compte que les transactions où il existe un accord entre vendeur et acheteur (outre la drogue, on pense à la marchandise volée et à la prostitution), tandis que les autres (extorsions, vols, cambriolages) en seront exclues. "
 

 On passe de l'étape vertueuse qui nie l'existence de ce qui est interdit à l'étape de la vertu comptable étatique qui, pour en toucher les dividendes, veut le recenser. Tout en l'interdisant, vertu oblige, car l'interdiction elle-même est une source de profit extra. Marx écrit "Mieux vaut encore sur ce point des hommes comme Malthus qui défendent directement la nécessité et l'utilité des "travailleurs improductifs " et des parasites purs et simples." Ce n'est certainemant pas l'avis que croit avoir Bernard CASSEN ( Un Autre Monde est possible": Les "dix commandements" citoyens: p 10-11) qui veut "reconstruire le champ de l'économie à partir d'un lexique qui lui donne du sens en ne réduisant pas la personne humaine à une valeur comptable": la solution est de "faire apparaitre dans une rubrique négative ce qui détruit les humains et la nature (accidents, pollution,etc.); à l'inverse faire apparaitre positivement les non-dépenses dues à la prévention". Au sens propre il est assez difficile, à part pour Dieu, un magicien ou un financier qui prouve tous les jours que "l'argent rapporte", de faire apparaitre, positivement qui plus est, des choses qui n'existent pas. Si cette idée dépasse donc le fait que d'appeler table un chien l'empêche de mordre et  que renommer les choses les change , à quel fait correspondra-t-elle?  Un excellent travail de préparation pour l'Union Européeenne qui pourra taxer le crime pour le reverser (Peut-etre? Car ne vaut-il pas mieux investir dans ce qui rapporte?) à la vertu dont l'augmentation en volume dépendra ainsi légalement du dévellopement du crime. Sans criminels, pas de citoyens. Heureusement, cette joyeuse perspective sera progressiste car c'est "un chantier urgent pour les économistes non englués dans le libéralisme". L'invite du point 1 " Se donner de nouveaux outils d'analyse" était:"Impossible de penser un monde nouveau avec les mots et les catégories de l'ancien". Mais tant que le marché demeure, seuls les mots et les catégories changent car le marché échange réllement le bien contre le mal par l'intermédiaire de l'argent dont on sait qu'il n'a pas d'odeur.
 

" Gold? yellow, glittering, precious Gold?
Thus much of this, will make black, white; foul, fair;
Wrong, right; base, noble; old, young; coward, valiant"
    Shakespeare "Timons d'Athenes"

 Il y a un rapport profond avec les sciences de l'Education qui vise une école adaptée au monde et à ses changements : cette directive de l'Union européenne ouvre un champ de recherche fécond pour la formation à de nouveaux et excitants métiers.