Les Sciences de l'éducation et Marx ( Oct-nov 1998)
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Partie I  ( 10/10/98)

L'objet des sciences de l'Education
Evitons la polémique
Conclusion

Partie II  ( 08/11/98)

FINANCE : Souteneurs, receleurs et dealers contribuent aussi à la richesse d'un pays




Partie I  ( 10/10/98)

L'objet des sciences de l'Education

 Tout d’abord , l’école en soi n’existe pas car il n’y a que peu de rapport entre l’école du moyen âge et l'école actuelle à part si on la réduit au “processus d’apprentissage” considéré de manière tout aussi abstraite car lui aussi évolue de manière historique. Cette manière de voir tend à réduire la question sociale du rôle de l’école à celle du rapport inter-individuel entre “l’apprenant” et l’enseignant , quitte ensuite à réintroduire la question sociale pour faire de gauche ou même marxiste ( on a en général a peu prés la même manoeuvre idéologique dans tous les domaines : elle consiste à partir de l’individu pour redonner ensuite une teinte de classe  comme si les classes sociales étaient la somme de leurs individus et les nuages la somme de leurs gouttelettes). Une fois cette étape accomplie, la question centrale - “l’objet” des “sciences de l'éducation" depuis qu’il est à la mode de faire de l'épistémologie: voir l’article de JM Levy Leblond :la Chauve souris et la Chouette- devient celle de la pédagogie : en ayant posé d’abord cette abstraction qu’est l’individu, elle a en en fait posé l’individu réel qui est derrière, cad l’élève dans l'école bourgeoise avec toutes ses limites , et comme l’individu n’existe qu’en liaison avec l’ensemble de la société, elle a donc posé comme objet l'école bourgeoise. Il est donc naturel qu’elle trouve des solutions  compatibles avec l’ordre existant puisqu’elle en a intégré toutes les caractéristiques en posant le problème. La question réelle de la vacuité rigolote des discours des “scientifiques de l’éducation” et la volonté  de garder leurs sinécures à tout prix est donc secondaire: en ne choquant pas telle ou telle personnalité un moment au pouvoir, en se moulant dans le champ des réformes - suivre le mot d'ordre “apprendre à apprendre” au moment ou il est en vogue par exemple- , surtout  en ne touchant pas aux questions de fond - les notes, le programme , l’utilité d’un enseignement des “sciences économiques” ..... et en théorisant la nécessité de ne pas le faire, ils respectent la loi qui est justement faite pour assurer globalement leurs promotions. Nous oublions volontairement que, si l’on veut faire sérieux et donc obtenir une rente et des crédits , il vaut mieux actuellement passer pour un scientifique. D’ou la pullulation de nouvelles sciences.....

 Ceci dit, si l’objet des sciences de l'éducation est l'école bourgeoise et plus précisément impérialiste, cela interdit-il que ces scientifiques fassent des “découvertes”: Non, ils peuvent en faire et il est normal dans la logique du système qu’ils en soient  rémunérés.
MAIS : de quels découvertes s’agit-il?
Au moyen âge, il y a eu un grand débat sur le sexe des anges dans lequel de grandes vérités ont été découvertes sur ce que l’on pourrait appeler les “sciences de l’angélisme" , objet de recherche qui n’est pas plus délirant que celui des sciences de l’éducation - la masse espérait en Dieu et maintenant la masse espère qu’elle va être massivement promue par l'école: à l’ancien jeu, il suffisait d’être pauvre pour être élu et l’on n’avait même pas besoin des bourses qui sont distribuées de manière parcimonieuse- et qui entretenait avec l'idéologie religieuse dominante de l'époque des liens aussi étroits que que la psychologie cognitive avec l'idéologie dominante de l'école même démocratique, laïque, unique et obligatoire. Mais, dira-t-on, il s’agit de recherches scientifiques alors qu’il s’agissait de recherche religieuse? On y reviendra et prenons un exemple scientifique et moderne: l’automobile qui en ces jours de “Mondial Automobile” parisien est bien le lieu d’une immense application des "dernières découvertes de la science et de la technologie”. Imaginons une “Science Automobilistique” qui met actuellement au point la technique de guidage automatique des voitures dont la télé cette semaine a bien voulu nous abreuver en montrant cette petite voiture qui se déplace automatiquement sans qu’on la conduise. Il s’agit bien là de découverte scientifique et de technologie ( et donc pas de religion à priori) mêlant la dynamique, la thermodynamique, l'électronique , l’informatique......, cad des vraies sciences dures et, qui plus est, liées de manière interdisciplinaire , cad que cette Science réalise complètement le  rêve des pédagogues actuels les plus extrémistes dans l’interdisciplinarité (  l’interdisciplinarité étant  la socialisation de la connaissance sous la domination du marché, cad la collaboration des spécialistes) . Oui mais toutes ces découvertes sont entièrement déterminées par la “nécessité de l’automobile” comme les découvertes des Sciences de l'Éducation sont entièrement déterminées par la “nécessité de l'École". Or, la nécessité de l’automobile ne réside que très secondairement dans son utilisation individuelle qui est d’aller d’un endroit à l’autre ( exactement dans la mesure ou il faut cependant que l’achat corresponde à un besoin social “naturel”, créé ou imposé an sens strict d’imposable comme l’est justement la vignette automobile) : il réside plutôt dans un complexe d'intérêts convergents ou divergents évoluants dans le temps - le normalien supérieure ancien locataire de l’Elysée qui avait dit que la ville doit s’adapter à la voiture semble avoir moins la cote -dans lesquels on peut citer pèle mêle:

1) avoir un mode de déplacement rendant indispensable la dépendance par rapport à la source dominante d’approvisionnement du pétrole sise au Proche Orient ( voir la fermeture des mines de charbon européennes)
2) les intérêts des états bien contents de prélever leurs dîmes qu’ils peuvent prétendre reverser aussi sur le service public qui assurera la transformation consubstantielle des pauvres en riches par l’adoubement des diplômes
3) les intérêts du capitalisme écologique qui réalise ses marges sur la vente des pots catalytiques : il  serait intéressant de savoir si “le concept” écologie a créé le besoin du pot catalytique ou si la lutte contre la baisse tendancielle du taux de profit du secteur automobile a justifié le soutien aux écologistes qui , en tant que voyageurs de commerce multicartes  du capital vert, peuvent aussi se présenter comme concessionnaires de voitures non physiquement polluantes . La seconde hypothèse semble plus probable dans la mesure ou, hier soir , M. Peugeot et M. Renault se sont taillés un costume de beauf moderne école et opposé aux "excès du marché”: ils ont d’abord fait remarquer qu’en tant que constructeurs ( cad gérants d'économie réelle et non virtuelle: mais ils fonctionnent eux aussi sur la crédit qui est au mieux l’exploitation d‘un travail futur cad assez virtuel) qui programment leurs investissements à trente ans au Brésil, ils étaient gênés par les spéculateurs qui ne voient pas à long terme et ils se sont ensuite plaints du fait que les voitures plus vieilles et plus polluantes soient moins taxées .
4) etc...

 Dans ce sens, on en sait beaucoup plus sur l’automobile en étudiant les conflits du Proche-Orient et les contradictions engendrées par la rente foncière qui , en augmentant démesurément la taille des villes, rendent nécessaires son utilisation  qu’en observant l’objet technique appelé automobile et même en ajoutant tout l’appareillage statistique incluant toutes les corrélations possibles.

 La "nécessité de l'École" , objet des sciences de l’éducation , est particulièrement aveugle également au rôle de l’école : elle apporte certes des connaissances ; la science automobilistique apporte aussi des connaissances utiles comme la mise au point des porte cannettes de Coca-Cola qui empêchent que ce   liquide précieux - vu le rapport entre son prix et ce qu’il contient -se renverse dans notre automobile. Mais elle apporte surtout des connaissances qui, dans un monde non mercantile, auront l’utilité des démonstrations sur le sexe des anges et des connaissances basées sur “  la multitude de fonctions parasites qu’il [le capitalisme] engendre et rend plus ou moins indispensables”( Marx Le Capital Livre 1 Tome 2 p 201).

 Poser réellement “le problème de l’école”, c’est donc avant tout critiquer l'école réelle et les besoins qu’elle satisfait. Lorsque l’on aura critiqué tous les besoins qui sont des besoins  délétères et au mieux inutiles  crées par la nécessité des la production généralisée des marchandises, il se peut que l'idéologie bourgeoise ne reconnaisse pas son école et prétende que “l’on veut supprimer l'école" : elle aurait globalement raison car il ne resterait pas grand-chose de l'école qu’elle aime: en effet à quoi sert pour une production non marchande la nécessité de mettre des notes, d’enseigner chaque matière dans un jargon spécialisé, d’organiser l'émulation scolaire entre élèves,  d’enseigner des matières qui justifient elle-mêmes la production des marchandises comme l’histoire et les sciences économiques et de donner et de valoriser des diplômes et des honneurs qui reconnaissent l’infamie d'être le meilleur pour produire de la plus-value ou de réaliser le meilleur retour sur investissement? Cette liste n’est pas exhaustive car ce texte ne vise pas à créer un catalogue de revendications mais est un tout bête essai de réflexion.
La majorité des revendications énoncées ci-dessus ( et d’autres ainsi que ce que l’on peut lire en creux dans ce texte) ont été appliquées , dans les années 20, en URSS, pays qui pourtant ne s’était pas débarrassé du capitalisme et de la production marchande: elles ont abouti à la plus rapide lutte contre l'analphabétisme que le monde ait connu. Elles ont été aussi des revendications avancées par des fractions syndicales certes minoritaires mais non négligeables historiquement de nombreux pays européen.

Ces revendications sont dans le droit fil de ce que  le citoyen Marx déclarait en 1869 au Conseil General de l’AIT:

La proposition du citoyen Milner [ qui souhaitait inclure un enseignement “progressiste” de l’économie] ne se prête pas à une discussion qui porte sur la question scolaire. C'est dans la lutte quotidienne pour la vie que les jeunes gens devraient recevoir cette éducation de la part des adultes. L'orateur n'accepte pas Warren comme parole d'évangile. Au demeurant, c'est là une question qui ne fera que très difficilement l'unanimité. On peut ajouter qu'une telle formation ne peut être transmise par l'école ; elle intéresse bien plutôt les adultes.
Dans les écoles élémentaires, et plus encore dans les écoles supérieures, il ne faut pas autoriser de disciplines qui admettent une interprétation de parti ou de classe. Il ne faut enseigner dans les écoles que les matières telles que la grammaire, les sciences naturelles. Les règles grammaticales ne changent pas, que ce soit un conservateur clérical ou un libre penseur qui les enseigne. Des matières qui admettent une diversité de conclusion ne doivent pas être enseignées dans les écoles ; les adultes peuvent s'en occuper sous la direction d'une institutrice telle que Mlle Law qui fait des conférences sur la religion".

 La réponse moderne est que la démocratie est la neutralité et qu’il n’existe donc plus de sciences de parti: donc l’histoire démocratique est neutre, l'économie de marché aussi. On peut donc les enseigner et Marx est un imbécile. L'histoire récente est assez rigolote: elle fait que le ministre Allegre veut supprimer non pas les sciences économiques dans l’enseignement mais même simplement l’agrégation de cette noble matière et n’y arrive pas tandis que M. Bourdieu , homme très à gauche s’il en est, signe une pétition pour défendre le nombre de postes à cette même agrégation.

Evitons la polémique

 Et pour éviter la polémique et les digressions, nous avons volontairement oublié de citer ce qui suit et qui vient de la même séance de l’AIT:

Les proudhoniens affirment que l’enseignement gratuit est un non-sens, puisque l'État doit payer [ à l’époque, il n’y avait pas le démocratique impôt sur le revenu]. Il est évident que l’un ou l’autre doit payer, mais il ne faut pas que ce soient ceux qui sont le moins en l’état de la faire. L’enseignement supérieur ne doit pas être gratuit.”

La réponse moderne est que, depuis plus d’un demi-siécle, les “marxistes de renom” ne parlent plus de cette simple recommandation. Cela leur évite un débat houleux: être contre signifie ne plus rentabiliser leurs boutiques dont l’enseigne prétend qu’ils défendent Marx : ils laissent donc entièrement la critique de l’enseignement -supérieur à “l’inférieur” - à la haine originaire des banlieues  dont, cependant, ils regrettent quelquefois que la police soit trop violente avec les casseurs dont on n’a pas prouvé, pour contrer la position de Marx, qu’il soit constitué d’une majorité de boursiers de l’enseignement non-inférieurs et en particulier d’élèves de la Rue d’Ulm.
 
MAIS: jusqu’aux années 30, de rares tendances syndicales ont soutenu le point de vue de Marx en  considérant que la ”promotion sociale par l'école" était une couillonade démocratique car leur morale était basée sur le “refus de parvenir”( J Boyer- Ecole et Morale- ITE Octobre 1926) et la fierté d’appartenir à leur classe “qui entretient toute la société”. La participation des classes inférieures  des sociétés avancées des métropoles au festin colonial est une bonne explication de la base matérielle de ce phénomène, passage intégral des positions des classes inférieures d’une société bourgeoise sur celles de la classe dominante qui n'empêche pas les grèves mêmes “dures” mais qui se bornent à la réforme de l'école et l’augmentation des crédits au lieu de viser l’abolition du salariat.Les clés se trouvent chez Lénine et Marx (avec des renvois explicites de l’un à l’autre):

Conclusion:

 Si, presque un siècle et demi après leurs rédactions, les revendications de Marx réapparaissaient sur l'écume du mouvement social, il est sur que les seuls “scientifiques de l'éducation" qui ne les combattraient pas - s’il y en a - seront ceux qui auront compris que leur spécialité est une science du bon fonctionnement du capitalisme parasitaire. Ce qui me permet de citer en conclusion un extrait des théories de la plus-value qui décrivaient déjà assez bien les principes de fonctionnement d’une société basée sur le marché.


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  Partie II  ( 08/11/98)
 

 L'Actualité est passagére et changeante mais elle apporte quelquefois la vision de la pointe de récifs qui forment le sous-sol social:
Le Courrier International (17-23/9/98) cite un article paru dans le quotidien économique et financier italien "Il Sole/24 Ore" :

FINANCE : Souteneurs, receleurs et dealers contribuent aussi à la richesse d'un pays

 "Conformément aux volontés de Bruxelles, l'institut de la statistique italien a décidé d'intégrer l'argent du crime dans la comptabilité nationale. Reste à définir la méthode de calcul.
 "L'Union Européenne a décidé qu'à partir de l'an 2.000, les activités illégales entreront officiellement dans les comptabilités nationales. Par illégales, on entend les activités interdites par la loi (la pro-duction de drogues, par exemple), et celles qui peuvent être légales en elles-mêmes mais qui ne le sont plus quand elles sont exercées en dehors du cadre prévu par la loi (comme l'exercice d'une profession par des personnes non habilitées)". L'Institut de la statistique italien annonce que "ces deux types d'activités devront figurer dans la comptabilité nationale, au poste production, à condition de générer des biens et des services pour lesquels il existe une véritable demande du marché ". Autre critère retenu "ne seront prises en compte que les transactions où il existe un accord entre vendeur et acheteur (outre la drogue, on pense à la marchandise volée et à la prostitution), tandis que les autres (extorsions, vols, cambriolages) en seront exclues. "
 

 On passe de l'étape vertueuse qui nie l'existence de ce qui est interdit à l'étape de la vertu comptable étatique qui, pour en toucher les dividendes, veut le recenser. Tout en l'interdisant, vertu oblige, car l'interdiction elle-même est une source de profit extra. Marx écrit "Mieux vaut encore sur ce point des hommes comme Malthus qui défendent directement la nécessité et l'utilité des "travailleurs improductifs " et des parasites purs et simples." Ce n'est certainemant pas l'avis que croit avoir Bernard CASSEN ( Un Autre Monde est possible": Les "dix commandements" citoyens: p 10-11) qui veut "reconstruire le champ de l'économie à partir d'un lexique qui lui donne du sens en ne réduisant pas la personne humaine à une valeur comptable": la solution est de "faire apparaitre dans une rubrique négative ce qui détruit les humains et la nature (accidents, pollution,etc.); à l'inverse faire apparaitre positivement les non-dépenses dues à la prévention". Au sens propre il est assez difficile, à part pour Dieu, un magicien ou un financier qui prouve tous les jours que "l'argent rapporte", de faire apparaitre, positivement qui plus est, des choses qui n'existent pas. Si cette idée dépasse donc le fait que d'appeler table un chien l'empêche de mordre et  que renommer les choses les change , à quel fait correspondra-t-elle?  Un excellent travail de préparation pour l'Union Européeenne qui pourra taxer le crime pour le reverser (Peut-etre? Car ne vaut-il pas mieux investir dans ce qui rapporte?) à la vertu dont l'augmentation en volume dépendra ainsi légalement du dévellopement du crime. Sans criminels, pas de citoyens. Heureusement, cette joyeuse perspective sera progressiste car c'est "un chantier urgent pour les économistes non englués dans le libéralisme". L'invite du point 1 " Se donner de nouveaux outils d'analyse" était:"Impossible de penser un monde nouveau avec les mots et les catégories de l'ancien". Mais tant que le marché demeure, seuls les mots et les catégories changent car le marché échange réllement le bien contre le mal par l'intermédiaire de l'argent dont on sait qu'il n'a pas d'odeur.
 

" Gold? yellow, glittering, precious Gold?
Thus much of this, will make black, white; foul, fair;
Wrong, right; base, noble; old, young; coward, valiant"
    Shakespeare "Timons d'Athenes"

 Il y a un rapport profond avec les sciences de l'Education qui vise une école adaptée au monde et à ses changements: cette directive de l'Union européenne ouvre un champ de recherche fécond pour la formation à de nouveaux et excitants métiers.