Refondons l’école
Introduction
Refondons I - « Comment pouvoir bien tenir son crayon ? » (ou la question du mobilier scolaire) -20/09/2012
Refondons I bis - « Police, polissons et instruction » (ou Instruction / Contrôle social) - 06/10/2012 ici en pdf
Refondons II
Refondons III
J'ai **quelques droits** :-) sur le concept de « Refondation de l'école » puisque j'ai fait partie des signataires-fondateurs de la pétition de 2006 intitulée justement « Appel pour la refondation de l'école »
La position défendue
dans cet appel, même si on n'en partage pas l'orientation, avait
l'avantage de la consistance. Elle employait le mot « refondation »
qui voulait signifier une rupture avec l'état existant et cet emploi
était cohérent avec notre diagnostic de dégradation continue du
niveau de connaissance des élèves sortant du primaire depuis un
trentaine d'années.
Par contre la position
dominante - aussi bien à gauche qu'à droite - et en particulier
celle du gouvernement actuel est, si l'on considère que
l’instruction est la fonction centrale de l'école primaire,
particulièrement incohérente puisqu'il y a encore quatre ou cinq
ans, ne parlait que de « niveau qui monte » en critiquant
durement les positions appelées par dérision « déclinistes » ou rétronovatrices.
Mais alors, s'il n'y a pas de déclin, pourquoi faut-il « refonder » ?
On pourrait dire que le gouvernement actuel a repris cette formulation par démagogie puisqu'une partie de l'opinion publique a une certaine sympathie pour le diagnostic « déclinatoire ». Mais il y a une autre explication à cette apparente incohérence - non incompatible avec la part démagogique - : les défenseurs de la « nouvelle refondation de l'école » considèrent que la fonction essentielle de l'école n'est pas l'instruction mais l'éducation : peu importe que les élèves ne sachent pas faire une division - où fassent dix fautes par ligne - c'est dépassé!! - pourvu qu'ils aient eu des leçons de morales et que l'on considère que le front principal à l'école est celui de la lutte contre les violences scolaires, sujets beaucoup plus faciles à traiter médiatiquement que la nécessité de savoir faire une division à la main[ Pour info et pour savoir pourquoi il faut savoir faire une division à la main ].
Je n'ai pas été invité à la concertation et la contribution que j'ai envoyée n'a pas été publiée.
Et voici donc le début
d'un série de chroniques intitulées « Refondons l'école » .
REFONDONS - I
Puisque, selon les titres du site « Refondons l’école de la République », « Les élèves sont au cœur de la refondation » et « La priorité est donnée à l’école primaire », il peut être judicieux de voir, situation fondamentale au sens physqiue, comment sont assis les élèves du primaire lorsqu’ils apprennent à écrire. On peut chercher ce qui peut, de ce point de vue, être refondé, en s’intéressant tout autant aux tables scolaires du familistère de Guise dessinées par l’utopiste Godin - celui des poêles et des cuisinières - , qu’à celles proposées en 1898 par « Les fils d’Émile Deyrolle » ou à celles proposées actuellement par Camif-Collectivités.
C’est la question que j’aborde dans une première chronique - Refondons I - consacrée à la Refondation de l’Ecole, sous le titre « Comment pouvoir bien tenir son crayon ? » question pratique qui sert ensuite de base à une « Petite leçon de morale financière ... à l’intention des défenseurs de la leçon de morale à l’école », ce qui ne devrait pas déplaire à l’ensemble de l’éventail politique qui semble subjugué par la nécessité de la morale à l’école.
Comment tenir le crayon ?On ne peut que constater que
si « La refondation de l’Ecole de la République » est du même
acabit dans les autres domaines qu’elle l’est dans celui du mobilier scolaire,
elle aura bien la caractéristique de toutes les réformes depuis les années
soixante, c'est-à-dire reprendre de l’école de Jules Ferry ce qu’elle avait de
pire (éduquer en enseignant une morale d’Etat, qu’elle soit
nationaliste, européaniste, productiviste ou écologiste) et en rejeter les
aspects les plus positifs et notamment la famille des thèses pédagogiques
défendues par exemple par Charles-Ange
Laisant ou F. Buisson et qui ont été la base des thèses défendues par Célestin
Freinet, mais qui ont été pratiquement rejetées par le mouvement Freinet
au moins depuis qu’il a approuvé les « maths modernes ».
La question qui reste à
débattre est de savoir si le résultat de la « Refondation de
l’école » telle qu’elle se présente sera un simple replâtrage ou une
dégradation accentuée de son rôle instructif, corrélative, et ce n’est
pas contradictoire, avec une
accentuation de son rôle éducatif.
C’est ce que j’aborderai
dans la suite de cette chronique.
Mathieu Kessler a écrit le 19 septembre 2012 sur le blog de Luc Cédelle :
Il considère donc qu’il s’agit « d’une bonne décision qui confère à la lutte contre la violence sérieux et visibilité ». Je ne ferai aucune remarque sur la valorisation de la catégorie politique des « universitaires pragmatiques ». Je n’en ferai pas plus sur le fait que, à mon sens, on ne peut valoriser un homme d’expérience
que si l’on valorise le système dans lequel il a eu cette expérience.
Ainsi, me semble-t-il, personne n’aurait l’idée de traiter
principalement le bon docteur Servier Jacques
d’homme d’expérience bien que personne ne puisse nier qu’il en ait une,
et étendue, dans sa (ses) spécialité(s). Et je suis donc tout à fait d’accord pour dire que Eric Debarbieux a de l’expérience.
Ceci dit, je me contenterai de m’intéresser à la lutte contre la
violence scolaire de la manière la plus neutre possible. Bien que je ne
partage pas cet avis, il est bien connu maintenant, c'est-à-dire depuis
quasiment un siècle, que beaucoup considèrent comme un très grand
progrès le passage explicite du centre de gravité de la conception de
l’école de l’instruction vers l’éducation. Or il est bien évident que,
si la lutte contre la violence scolaire a une place naturelle
dans l’éducation, elle n’en a aucune dans l’instruction. Et donc que la
conception éducative (qui plus est nationale et d’Etat) est un nid bien
chaud pour le développement d’une éducation centrée sur la lutte contre
la violence scolaire considérée à la fois comme polissage moral des
esprits et poliçage plus physique des diverses formes de chienlit. On
peut donc dire, en ce sens, que Eric Debarbieux se place bien dans la tradition républicaine
qui, après avoir fait globalement semblant de se centrer sur une
instruction publique, a accepté en 1932, sans aucune opposition et
c’est ce qui est le plus grave, de rebaptiser l’école du nom
d’Education nationale.
J’avais déjà abordé indirectement cette question de la fonction de contrôle social et politique par l’école il y a maintenant deux ans. A la question de Luc Cédelle
j’avais répondu :
Je voudrais
aujourd’hui rajouter une autre louche en mentionnant un courant
d’interprétation du rôle de l’école dont on parle peu et qui pourtant
posait, et de manière explicite, la question du rapport entre
l’instruction primaire et les nécessités du contrôle social par
l’école.
Pour cela, il faut revenir en arrière au début du XIXème siècle et au
moment du succès de l’école mutuelle, école qui permettait d’avancer
beaucoup plus vite dans le cursus et d’enseigner la lecture et
l’écriture en deux ans alors que cela prenait ailleurs quatre ou cinq
ans. Performance qui ne pouvait que réjouir les partisans de
l’instruction mais qui représentait un handicap majeur pour de nombreux
partisans de l’éducation qui à cette époque se déclaraient, comme
Lamennais, explicitement opposés à l’instruction : elle met trop vite les enfants hors de l’école, position qui prend toute sa valeur lorsque l’on sait -Voir Anne Querrien citée infra-
que l’obligation scolaire fut inventée d’abord pour les pauvres. C’est
ce qu’explique le Conseil général du Calvados en 1822 pour refuser des
crédits aux écoles mutuelles :
Et cette méthode
existait, c’était celle de l’école des frères, qui outre ses procédés
pédagogiques, passait une certaine partie du temps scolaire à éduquer
et à enseigner la religion et la morale, qui ne pouvait être pour elle
que la morale chrétienne. Jules Ferry se revendiquera d’ailleurs de
cette morale qui avait rendu bien des services aux classes dominantes
précédentes et lui reprochera essentiellement de ne plus être efficace,
ce qui nécessite la création d’une nouvelle morale, laïcisée :
Arrivé là, le texte précédent relativisant quelque peu la valeur de la Lettre aux instituteurs de Ferry présentée souvent de nos jours sans aucune critique
, ne doit-on pas se demander si la véritable analyse du rôle politique
de l’école de Jules Ferry n’est pas celle donnée dans l’article 2 du
programme adoptée par le XIVème congrès de la CGT en 1919 à l’époque où
elle comptait un million et demi d’adhérents : « [Le
congrès] déclare périmé le système d'organisation de l'enseignement de
la III République, système qui n'a su que substituer au dogme de
l'Eglise, celui de l 'Etat », position à mille lieux de
l’actuelle « défense de l’école publique ». Et si cette position
anti-étatique majoritaire dans le mouvement syndical au moment d’une de
ses apogées présente une certaine part de vérité, pourquoi les
historiens qui interviennent dans les débats publics d’une certaine
importance ne la mentionnent-ils même pas, ne serait-ce que pour la
combattre ?
On pourra certes reprocher à ces quelques notes de diaboliser les
partisans de l’éducation et de l’enseignement de la morale qu’ils
soient laïques ou religieux. Et ce reproche pourrait être justifié si
ces partisans montraient une certaine désinvolture
par rapport à l’importance de l’acquisition des savoirs élémentaires -
qui ont peu à voir avec le socle commun - , que ce soit en niant
l’importance de ces savoirs ou en les laissant, en connaissance de
cause et pour des raisons plus ou moins sophistiquées, à l’abandon.
Qu’en est-il ? C’est ce que nous verrons ultérieurement.
D’ici là, voici un texte que j’ai déjà cité notamment lors du Grand Débat de 2004 mais qui est toujours bon à méditer. Je le reproduis à partir de l’Histoire de l'enseignement en France 1800-1967 d’Antoine Prost.
REFONDONS - II (A paraître)
REFONDONS - III (A paraître)