Il m’a semblé qu’il y avait, outre de véritables oppositions, des
malentendus tenant au fait que certains débatteurs
mésinterprétaient les positions de leurs contradicteurs.
Je n’aurai pas
l’outrecuidance de prétendre définir la position d’un des deux (?)
camps mais je me contenterai - et c’est déjà difficile - de préciser
autant que possible ma position pour en faciliter la critique.
Il s’agit également, en
défendant des positions extrêmement précises, de combattre la tendance
sectaire qui consiste à transformer toute divergence d’opinion avec
l’ennemi en antagonisme et à réduire à un œcuménisme malpropre
les bases d’accord de la secte.
Voici donc quelques
propositions annoncées dogmatiquement, sans démonstrations ni preuves,
pour ne pas casser le fil logique du texte. Bien sûr, je développerai
ensuite sur les raisons qui me poussent à avancer ce type de position.
Cette page contiendra donc
*ICI* les différentes
versions des "Six propositions sur la didactique"
*ICI* la suite des
compléments et commentaires sur le sujet
Six
propositions sur la didactique
Version 1.0 du 30 mai 2011
A)
1- Même si, bien sûr,
d’autres facteurs interviennent, penser un enseignement, c’est
d’abord se mettre d’accord sur le contenu de ce qui doit être
enseigné et dans quel ordre, c'est-à-dire sur un ensemble de
propositions qui comprend obligatoirement des programmes et les
progressions correspondantes.
2- En ce sens, il ne peut y
avoir de « bilan d’expérimentation » portant, par exemple, sur
une année et une matière et encore moins sur un ensemble plus réduit.
Un tel « bilan » ne peut **commencer**
à avoir un sens que si il porte **au
minimum** sur un cycle (primaire, collège, lycée) en
incluant l’importance des cycles précédents.
3- Les propositions suivantes
portent essentiellement sur l’enseignement primaire.
4- Il ne peut y avoir de
didactique indépendante du contenu à enseigner.
B)
En France, la double décennie 60/70 est marquée par une modification
fondamentale des programmes, des progressions et de la problématique de
leurs élaborations en mathématiques et en français alors qu’il
n’y avait pas eu de modifications notoires et fondamentales dans ces
domaines depuis la « création de l’école de Jules Ferry », c'est-à-dire
en gros pendant un « petit siècle ».
C)
Les nouveaux programmes de « mathématiques modernes » seront
expérimentés dans les conditions assez favorables (enseignants
partisans des réformes et ayant la formation disciplinaire nécessaire)
et malgré ces conditions favorables, ils ne répondront pas aux
objectifs qu’ils prétendaient viser et aboutiront même par exemple à
une baisse de compétences en calcul en fin de primaire, baisse
reconnue par le expérimentateurs.
D)
1- Le contenu des programmes
et des progressions proposé dans la réforme des maths modernes est
inenseignable à la fois parce qu’il inverse les progressions en faisant
passer le « contenu axiomatique » avant le « contenu élémentaire
» et parce qu’en tant qu’allègement du curriculum présenté
officiellement comme tel (BO de janvier 70), ils correspondent à des
allégements sur des points fondamentaux qui rendent ce qui est non
allégé plus difficile à comprendre.
2- Ces programmes sont
défectueux
- en
eux-mêmes comme « conception
constructive, axiomatique, structurelle des mathématiques » (Manifeste de Chambéry de l’APMEP, janvier
1968)
- mais
aussi - et partiellement en conséquence - par les rapports qu’ils
entretiennent avec la « vieille arithmétique » en tant que «
mathématique appliquée » et en particulier avec la physique élémentaire
: la présentation revendiquée par les réformateurs des mathématiques à
enseigner comme « mathématiques pures » est la cause première et
l’autre face de la construction d’une supposée physique élémentaire
démathématisée, thèse fondamentale de la « Main à la pâte » organisme
qui ne se contente pas de se réclamer de « l’expérimentation en
physique » mais a également soutenu sans sourciller tous les programmes
défectueux proposés par l’éducation nationale et en particulier
ceux de 2002.
3– La réforme des maths
modernes se caractérise par l’inversion de progression qui a consisté à
commencer l’enseignement non par la « vieille arithmétique » - qui
inclut également la géométrie - mais par des conceptions dérivées
directement de l’axiomatique, c'est-à-dire par des contenus qui n’ont
justement par leurs places au début de l’enseignement.
Les maths modernes
défendaient l’importance fondamentales des notions de progression et de
prérequis mais en y incluant un contenu inadéquat. Les opposants à la
réforme, sauf exceptions globalement incapables de critiquer les
contenus des programmes de maths modernes, s’attaquèrent à la
notion même de progression et de prérequis dont ils diminuèrent
l’importance ( Voir Jacques
Nimier, Histoire de la didactique des mathématiques ). Le
véritable héritage de la critique de la réforme des maths modernes fut
donc l’institutionnalisation de la méfiance envers l’importance de la
notion de programmes et de progressions qui ne pouvait
qu’entraîner à plus ou moins long terme la disparition de ce qui
fait la caractéristique des mathématiques : la démonstration.
a)Le phénomène décrit supra
pour les mathématiques s’est produit parallèlement en français. On peut
le décrire en gros en remplaçant « vielle arithmétique » par «
grammaire scolaire » et « axiomatique » par « linguistique ».
b) Dire qu’il ne faut pas
commencer le curriculum
-en mathématiques par
l’axiomatique et par les autres notions introduites à l’époque des
maths modernes
-en français par des notions
venant de la linguistique
i) est certes un progrès
intellectuel notoire pour tous les républicains qui ont placé la
coupure au moment de la loi de 89 en nous faisant de plus croire - et
pire en croyant eux-mêmes - que Jean-Pierre Chevènement avait stoppé la
dégradation de l’enseignement
ii) ne résout en rien la
question qui est la question de fond : reconstruire des
programmes et des progressions complètes qui disent explicitement, en
le justifiant, à quels niveaux et comment doivent être introduits les «
nouveaux savoirs » mis en avant par les reformes des années 70.
4-Les contenus d’un programme
défectueux ou inenseignable peuvent tout à fait être enseignés et
appris par les élèves et l’on peut en contrôler la « bonne maîtrise »
par des évaluations qui peuvent donc donner des résultats positifs.
Mais l’imposition de ce type de programmes ne peut, au mieux, - ce qui
peut être et a été un objectif partiellement ou totalement consciemment
souhaité - que
a)
encourager chez les élèves une intelligence formelle et un esprit
suiviste
b) renforcer ce
qui est de toutes les façons la tendance fondamentale depuis deux
siècles à la dégradation de l’enseignement, c'est-à-dire une
combinaison d’utilitarisme et de réduction des contenus enseignés à des
mécanismes appris mécaniquement.
5-Pour différentes raisons,
l’appareil administratif et pédagogique n’a jamais fait de critique des
points essentiels négatifs de la problématique de ces programmes et des
programmes eux-mêmes. Il a au contraire évité le problèmes des contenus
en déplaçant dès le milieu des années 70 le diagnostic de l’échec vers
le domaine de l’application des programmes en considérant que l’échec
venait d’une mauvaise adaptation au profil de l’élève ou au contexte
local, ce qui donnait des bases théoriques à la mise en avant d’une
pédagogie de projet, dédouanait les instances dirigeantes et en
particulier les responsables de l’écriture des programmes en
faisant reporter toute la responsabilité de l’échec sur le corps
enseignant.
E)
1- La didactique existe
effectivement depuis longtemps mais une nouvelle didactique des
mathématiques naît logiquement de l’émergence de nouveaux contenus
enseignés : elle peut se caractériser comme la mise en place d’une
méthode qui traduit la tentative d’enseigner ce qui est inenseignable.
2- Pour ce, elle invente
effectivement de nouvelles conceptions parmi lesquelles figurent au
premier plan la transposition didactique et le contrat didactique.
3- La nouvelle didactique se
développe d’abord en mathématique et la compréhension de son
application aux autres matières suppose la compréhension de son domaine
d’apparition initial.
4- Il n’est donc pas anormal
que le débat sur la « nouvelle didactique » née dans les années 70 se
concentre d’abord sur la didactique des mathématiques et en particulier
sur les notion de tranposition didactique et de contrat didactique.
F)
La persistance des conceptions nées à l’époque des maths modernes et
allant, pour le dire très vite, « de l’abstrait au concret » fait
qu’est présenté comme positif ce que l’on peut appeler "l'enseignement
conceptuel" au sens où l'on tente d'enseigner directement le "concept",
problématique qui s'est maintenant étendue à toutes les matières et qui
est très bien décrite par Pierre Kahn qui d’ailleurs n’en fait
aucune critique:
"Les disciplines de l'école
primaire sont - signe de l'unification de ce qu'on appelle aujourd'hui
le « système éducatif » - désignées, dès la maternelle, de la même
manière que dans le secondaire. De même qu'on ne fait plus au primaire
du dessin ou de la gymnastique, mais des arts plastiques et de
l'éducation physique et sportive, on ne fait plus non plus des sciences
naturelles, encore moins de l'histoire naturelle, mais de la biologie.
L'unification de l'école a fait voler en éclats le paradigme
pédagogique d'une progression du simple au complexe. En vue de leur
scolarité future anticipée, on fait entrer d'emblée les élèves dans la
complexité des savoirs qu'ils doivent maîtriser dès leur plus jeune âge
pour pouvoir les monnayer le mieux possible ensuite, à l'adolescence.
Exit le modèle de la leçon de
choses conçue comme leçon d'observation. Dès l'école primaire, on n'apprend plus des «
choses », mais des concepts (souligné dans l'original - MD) :
non plus le système digestif, mais la digestion ; non plus les
fonctions principales de la vie, mais la construction du concept de
vivant. Quant aux classifications descriptives des trois règnes de la
nature, qui faisaient le corps du cours de sciences du Cours
élémentaire au Cours supérieur, elles perdent à la fois leur légitimité
pédagogique et leur légitimité épistémologique."
Pierre
Kahn, De l'enseignement des sciences à l'école primaire; l'influence du
positivisme, Hatier,1999.
On apprendra donc la notion
de couleur avant de savoir ce que sont le rouge, le vert, le bleu…
Cabanac, le 30 mai 2011
Michel Delord
*
*
*
Remarque : Il n’aurait
peut-être pas été inutile de faire précéder ces thèses d’une
appréciation méthodologique de fond portant sur la nécessité d’aborder
les questions de manière historique et relativisant les dangers
supposés de l’historicisme. Elle aurait pu être rédigée ainsi en
reprenant ce que j’avais avancé lors de l’AG du GRIP de novembre 2009.
« Une question fondamentale : le
rôle des restes, venant des années 70, de l’opposition mécaniste entre
diachronie et synchronie au nom de la lutte contre l’historicisme. Ces
thèses caractéristiques du « Structuralisme » d’Althusser ont encore un
poids absolument énorme : la lutte contre l’historicisme a fini par
produire une méconnaissance historique totale qui ne permet plus de
voir l’intérêt d’une perspective historique et qui, restant
obligatoirement dans l’immédiat, va produire un ‘praticisme’ étroit
cherchant le résultat immédiat ; ce ‘praticisme’ repousse toute étude
historique qui va même jusqu’à être considérée comme du pinaillage. «
La lutte contre l’historicisme » a bon dos puisqu’elle permet, en ne
s’occupant que du présent (synchronisme), en refusant toute perspective
historique, tout traitement historique des questions, de masquer son
passé et de cacher ses responsabilités : utile à l’origine pour effacer
les zigzags de la politique du PCF, cette bonne vieille thèse a bien
servi à tout le monde et en particulier à ceux qui changent sans arrêt
de position. »
*
*
*
*
Compléments
et commentaires
Dans la mesure où
-j’ai avancé l’idée du rôle
central de la didactique des mathématiques dans le développement de la
didactique,
-nul n’est mieux à même de
présenter son objet d’étude qu’un spécialiste du domaine,
vous trouverez la
reproduction d’un article de 1992 de celle qui est considérée comme une
des meilleures spécialistes de la didactique des mathématiques :
Michèle Artigue.
Michèle
Artigue, Mathématiques : les leçons d'une crise, Sciences et Vie
Hors Série, N° 180 de Septembre 92, pages 46 – 59
Bonne lecture
MD
«
Proposition C) Les nouveaux programmes de « mathématiques modernes »
seront expérimentés dans les conditions assez favorables (enseignants
partisans des réformes et ayant la formation disciplinaire nécessaire)
et malgré ces conditions favorables, ils ne répondront pas aux
objectifs qu’ils prétendaient viser et aboutiront même par exemple à
une baisse de compétences en calcul en fin de primaire, baisse
reconnue par le expérimentateurs. »
Je ne prendrai pas mes
arguments dans le « camp républicain » mais chez Louis Legrand .
MD
Partie 2 : Quelles sont les
performances obtenues par les élèves face aux connaissances et
capacités supposées enseignées ?
Nous sommes, sur ce point, un
peu moins dépourvus que sur le précédent. Plusieurs études achevées ou
en cours permettent déjà une vue globale intéressante sur le degré de
maîtrise atteint par les élèves. Il convient toutefois de souligner que
ces évaluations des performances des élèves ne sont que des constats
macroscopiques faute de disposer des instruments adéquats à la
description objective du comportement des maîtres. C'est seulement
quand nous pourrons lier les activités d'enseignement des maîtres et
les performances des élèves qu'il sera possible de décider quand et
comment le programme nouveau et ses objectifs peuvent ou ne peuvent pas
être atteints. Pour l'instant nous sommes condamnés à des observations
globales qui, cependant, ne manquent pas d'intérêt.
L'étude menée par Peinard et
Levasseur *, dans le cadre d'un contrat INRDP-INOP, apporte quelque
lumière sur l'efficacité réelle de la mathématique nouvelle à l'école
élémentaire. Cette étude a été conduite sur des élèves de classes
expérimentales ayant reçu un enseignement de mathématique nouvelle par
des maîtres volontaires et motivés plus de cinq ans avant la réforme
officielle. C'est dire que les résultats constatés risquent d'être plus
significatifs qu'ils le seront plus tard sur les élèves enseignés par
des maîtres tout venant. Or les constatations faites ne semblent pas
correspondre aux espoirs formulés par les innovateurs. Nous résumons
ci-dessous les principaux résultats de ces études nuancées auxquelles
le lecteur voudra bien se reporter pour plus de précisions.
- Un enseignement des
mathématiques modernes peut avoir un effet sur l'accès à la pensée
formelle dans le cadre de l'enseignement élémentaire. Mais cette avance
constatée s'efface un ou deux ans après. Les élèves ayant reçu un
enseignement traditionnel se retrouvent à onze-douze ans à égalité avec
les élèves expérimentaux.
- Il n'est pas possible de
constater un effet compensatoire de l'enseignement d'une mathématique
nouvelle sur les élèves socialement défavorisés.
- L'enseignement de la
mathématique nouvelle peut avoir un effet de déblocage sur certains
malmenés scolaires.
- L'enseignement rénové
conduit à de moindres performances dans les mécanismes de calcul au
sortir du CM2.
D'autres études permettent
également de se faire une idée de la manière dont le contenu
mathématique des programmes des premiers cycles est maîtrisé.
Clémence Chelly, Jacqueline
Benhadj et une équipe de professeurs des CES expérimentaux sont
parvenues à analyser le programme des classes de sixième et cinquième
et à coordonner les résultats chiffrés obtenus dans les 17 CES
expérimentaux aux épreuves instaurées en application de cette analyse.
Il en résulte que ce programme, que l'on s'accorde à dire « facile »,
n'est pas maîtrisé également, et de loin, par tous les élèves de
sixième et cinquième. On constate que certaines notions dépassent très
largement les possibilités de l'élève moyen et que, si l'on retient
comme programme commun à tous les élèves les contenus correspondant à
des items réussis par 75 % au moins des élèves, seules subsistent des
activités mécaniques formelles de type combinatoire à l'exclusion de
tout raisonnement un peu complexe. Ces résultats confirment les travaux
déjà cités de Horneman selon lesquels l'accès à la pensée opératoire
formelle n'est atteint que par 6 % des élèves de sixième et 28 % des
élèves de cinquième.
En ce qui concerne le
programme de quatrième et de troisième les études conduites par les
mêmes équipes montrent que 15 % seulement des élèves parviennent à en
maîtriser tous les aspects (études paraître). Ce fait est confirmé
indirectement par Chevrote et Gras qui constatent « en milieu rural une
plus forte propension pédagogique à répéter les exercices où dominent
les mécanismes (équations, fractions, degré de fonctions polynomiales,
etc..) dans l'intention d'améliorer l'assimilation de ces notions »9.
Cette constatation est à rapprocher des résultats obtenus dans les CES
expérimentaux : la ruralité s'accompagne d'une baisse de niveau
socioculturel des élèves et d'une plus grande représentation des
maîtres les moins formés mathématiquement. La conjonction de ces
facteurs conduit à mettre l'accent sur « ce qui peut réussir» avec ces
élèves, c'est-à-dire un dressage à des mécanismes. Mais l'essentiel du
programme, le raisonnement déductif, la créativité, ne sont pas
accessibles, dans le cadre du nouveau programme proposé, plus de 15 à
20 % des élèves.
D'autres études sont en cours
au niveau de la classe de seconde dont les premiers résultats
confirment ces analyses.
En bref, si l'on peut résumer
ces différents résultats, il apparaît nettement
1)
que les problèmes de maturation intellectuelle, mis en relief depuis
longtemps dans le cadre d'un enseignement de la mathématique classique,
ne sont aucunement résolus ni même minorés par les nouveaux contenus;
2)
que ces nouveaux programmes, principalement au niveau des classes de
quatrième et troisième, sont inassimilables par la grande masse des
élèves.
Or, cette constatation est
extrêmement grave lorsqu'on se souvient que l'enseignement antérieur,
mettant l'accent sur les mécanismes de calcul, était celui qui donnait
le plus satisfaction. Les études de Reuchlin et Bacher avaient montré
que la sélection au niveau du CM2 s'opérait sur les résultats en
français et non sur les résultats en calcul. Désormais les
mathématiques mettent en relief les insuffisances de maturité
intellectuelle et deviennent un instrument impitoyable de sélection
tout en laissant complètement démunis les élèves qui n'ont pas réussi à
dominer cet enseignement.
Louis Legrand , Pour une politique
démocratique de l'éducation, Presses Universitaires de France, 1977.
Première partie : Quinze ans
d'innovation pédagogiques ou le compte des illusions perdues
En intégral sur mon site
depuis 2004
CHAPITRE VII
L'innovation sur les contenus
et les méthodes: l'exemple des mathématiques
@ Sur un prétendu anti-historicime
Revenir au départ du fil :
Guy Morel a demandé le 06
mars 2011 à 15:45 « la spécialité qui est apparue sous ce nom au niveau
universitaire dans les années soixante-dix : à quel besoin, du point de
vue de l’enseignement, cette création répondait ? »
Je me permets de préciser sa
question à laquelle je ne vois pas encore paraître de réponse :
pourquoi est-ce dans les années 70, soit lors de la floraison du
programme de mathématiques modernes, et en français des beautés du
structuralisme, qu’est née la didactique ? Et, quoique ces nouveautés
aient été abandonnées, la didactique (par elles suscitée ?) n’a fait
que croître et embellir, si je vous crois : pourquoi ?
Rédigé par : Isabelle Voltaire
Rédigé par : Guy morel | le
31 mai 2011 à 11:58 | | |
a) Guy Morel titre - et c'est
manifestement en réponse à mon post puisque je suis le premier à
utiliser ici le mot historicisme - : "Sur un prétendu
anti-historicisme".
Veut-il dire par là que
l'anti-historicisme n'était pas un des arguments principaux des
althussériens, qui ont justement eu une influence conséquente sur les
théorisations sur l'école ?
b) Guy Morel repose d’abord
une question "A quel besoin, du point de vue de l’enseignement, cette
création [ de la didactique, MD] - répondait ?"
S’il repose la question,
est-ce qu’il n’est pas satisfait de la réponse que je donne dans les «
Six propositions sur la didactique » et notamment le fait que la
nouvelle didactique tente d’expliquer comment enseigner des programmes
inenseignables.
Or une des raisons du succès
de la nouvelle didactique est que justement les enseignants qui
ne remettent pas en cause les programmes - et c’est 99,99% des
enseignants - pensent le problème comme les didacticiens le posent.
c) Guy Morel reprend – et on
pense donc qu’il la partage - l’argumentation d’Isabelle Voltaire
:
« Pourquoi est-ce dans les années
70, soit lors de la floraison du programme de mathématiques modernes,
et en français des beautés du structuralisme, qu’est née la didactique
? Et, quoique ces nouveautés aient été abandonnées, la didactique (par
elles suscitée ?) n’a fait que croître et embellir, si je vous crois :
pourquoi ? »
Or le problème est que, au
contraire , ces « nouveautés » n’ont disparu qu’en apparence et pour ce
qui était le plus grossier et que ce sont justement les
didacticiens qui font croire qu’ils ont fait une véritable critique des
maths modernes.
En réalité une bonne partie de la problématique et des contenus des
maths modernes ont perduré et pas sur des questions secondaires : je ne
donnerai que l’exemple du poids exorbitant attribué à la commutativité
de la multiplication ou le maintien de la non-écriture des unités dans
les opérations qui a passé de l’interdiction « On n’écrit pas les
unités dans les opérations ») de 1970 en gros à 2000 à l’impossibilité
actuelle pour les élèves de les écrire parce que les instituteurs ne
peuvent l’enseigner car ils n’en connaissent ni les règles ni la
fonction. Et ce dernier point est bien fondamental puisque c’est une
partie de l’articulation des maths et de la physique.
d) Donc, je réponds à la fois
à Guy Morel et à Isabelle Voltaire : il n’y a pas eu de disparition de
la nouvelle didactique car les conditions qui ont poussé à sa naissance
n’ont pas disparu.
MD
Si
je comprends bien le texte de Michel Delord, ce sont les « nouveaux
programmes » (ie les « maths modernes ») qui ont présidé à la naissance
de la didactique. Je pense que c’est plutôt le contraire : ce sont des
didacticiens qui ont concocté ces nouveaux programmes.
[…]
Écrit par : Pedro Cordoba | 01 juin 2011 [ Sur Bonnet d'âne]
Je répondrai plus tard sur ce
que Pedro Cordoba dit de l’antihistoricisme althussérien mais je
voudrais d’abord le remercier d’intervenir sur un sujet qui est
fondamental puisqu’il s’agit effectivement de la place que l’on doit
donner aux contenus enseignés dans l’évolution de l’enseignement,
c'est-à-dire en gros les programmes et progressions.
A mon sens, c’est le
facteur central de l’évolution de l’enseignement depuis la fin des
années soixante, c'est-à-dire depuis que les programmes et progressions
ont été bouleversés de manière négative et cela restera le facteur
central tant que l’on ne sera pas arrivé à établir de nouveaux
programmes et des progressions satisfaisantes.
Or effectivement dire comme
le fait Pedro que « ce sont les didacticiens qui ont contacté ces
nouveaux programmes », outre qu’il s’agit d’une affirmation
absurde va effectivement dans le sens du refus d’accorder une
importance fondamentale aux contenus .
Je rappelle ce que Rudolf a expliqué et que je partage :
«
ce ne sont pas les didacticiens qui ont mis au point les programmes des
mathématiques modernes, c'est la rencontre entre Piaget de des
mathématiciens que l'on peut considérer comme un malentendu autour du
terme structure. Il y a sur ce point un colloque de 1955 bien antérieur
à la naissance de la didactique, colloque qu'on peut considérer comme
fondateur de la réforme.
il est vrai que la didactique
s'est appuyée sur Piaget et elle s'est développé à l'époque des
mathématiques modernes dans les années soixante-dix. Elle s'est
renforcée avec la fin des mathématiques modernes et il est vrai qu'elle
a influencé les programmes de mathématiques qui ont suivi.
Il faut dire que le
désintérêt de la plupart des mathématiciens pour l'enseignement
secondaire a facilité le travail des didacticiens, en particulier ils
se sont emparés des IREM malgré quelques résistances et ils se sont
installés dans les IUFM. En fait ils apportaient une caution
"scientifique" aux théories pédagogistes comme on peut le voir dans
l'ouvrage de Develay : Epistémologie des savoirs scolaires.
rudolf bkouche
Écrit par : rudolf bkouche | 31 mai 2011»
Voici quelques arguments
précis supplémentaires - un peu formels certes mais il n’est pas
inutile d’avoir des arguments formels - non pas essentiellement pour
contrer Pedro Cordoba mais surtout pour donner à ceux qui ne
connaissent pas l’histoire de l’enseignement un certain nombre de
références qui pourront leur servir dans des débats sur ce point
puisque, au vu de son importance, on est sûr qu’il reviendra sur le
tapis.
Donc
- 1)La discussion et la mise
en place des programmes de maths modernes – qui se fait au niveau
international dans le cadre de l’OCDE - ou plus exactement OECE -
commence dès les années 50 et aboutit à l’application de ceux-ci aux
USA dans la fin de cette décennie et au début de la suivante
: la pétition critique des maths modernes signée de
75 mathématiciens présents aux USA « On The Mathematics
Curriculum Of The High School » paraît dans l’édition de mars 62 de «
l’American Mathematical Monthly »[Note 1]. Et les programmes de maths
modernes en France pour le primaire sont publiés début janvier 70, ce
qui signifie bien qu’ils ont été conçus en France dans les années 60.
-2) A l’opposé tous les grands concepts de la nouvelle didactique – situation- problème, situation didactique, contrat didactique, transposition didactique …- sont nettement postérieurs aux années 60 comme le montrent les exemples suivants.
a) L’article de Wikipedia sur la didactique donne la bibliographie suivante
Bachelard G. (1947) La formation de l'esprit scientifique. Paris : Vrin
Brousseau G. (1998) Théorie des situations didactiques. Grenoble : La Pensée Sauvage
Chevallard Y. (1985) La
transposition didactique. Grenoble : La Pensée Sauvage. (nouvelle
édition augmentée de "Un exemple de la transposition didactique" avec
M.-A. Johsua)
Delacôte G. (1996) Savoir apprendre: les nouvelles méthodes. Paris : Odile Jacob
Giordan A. (1999) Une didactique pour les sciences expérimentales. Paris : Belin
Giordan A., Girault Y., Clément P. (1994) Conceptions et connaissances. Bernes : Peter Lang
Glaeser G. (1999) Une introduction à la didactique expérimentale des mathématiques. Grenoble : La Pensée Sauvage
Martinand J.L. (1996)
Enseignement et apprentissage de la modélisation en sciences. Paris :
Institut National de Recherche Pédagogique
Reuter Y. dir. (2007/2010) Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques . Bruxelles : De Boeck
Terrisse A. (2000) Didactique des disciplines. Les références au savoir. De Boeck Université
Verret M. (1975) Le temps des études. Thèse. Université de Lille III
Viennot L. (2003) Raisonner en physique: La part du sens commun. De Boeck Université
Narcy-Combes M.-F. (2005) "Précis de didactique, devenir professeur de langues". Ellipses,
bibliographie dont la totalité des références venant de didacticiens est postérieure à 1970.
b) J’ai aussi fourni le texte intégral de Michèle Artigue de 1992
: il est également clair qu’elle présente les nouveaux concepts de la
didactique comme une réponse à la réforme des maths modernes. Je vais
revenir sur cet article en montrant sur un ou deux exemples
comment les concepts de la nouvelle didactique sont de fausses réponses
à des difficultés réelles produites par l’enseignement des contenus des
maths modernes.
c) Je rappelle au paragraphe D-3 du texte actuel - ce que je depuis de nombreuses années - les positions de Jacques Nimier qui explique - et il considère qu’il s’agissait d’une faiblesse – dans son « Histoire de la didactique des mathématiques » :
«
Vers les années **70, 80** (C’est moi qui souligne, MD) , les congrès
internationaux sur l'enseignement des mathématiques ne parlaient que de
"curriculum " c'est-à-dire, en quelque sorte, de programme; fallait-il
placer telle question de mathématiques avant ou après telle autre ?
Fallait-il enseigner telle partie des mathématiques ou non , ce que
l'on appellerait maintenant le passage du savoir savant au savoir
enseigné. Dans tout cela l'élève n'existait pas. »
Et donc la didactique des maths ne prendra son essor qu’une fois que cette étape sera dépassée.
d) Une autre référence : l’Encyclopedia universalis 2009. L’article « Didactique des disciplines »
«
À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, les systèmes scolaires des
nations occidentales ont connu un profond bouleversement. Il tenait,
d'une part, à la prolongation de la scolarité obligatoire, et donc à
l'accroissement massif de la population des élèves du secondaire, et
découlait, d'autre part, d'une volonté de réformer les programmes en
vigueur, pour les rendre à la fois plus compatibles avec les nouveaux
savoirs scientifiques et plus adaptés aux nouvelles générations
d'élèves.
C'est en appui à ce processus
qu'ont émergé de nouvelles démarches de recherche et d'intervention sur
le terrain scolaire, qui se sont développées en deux phases. Au cours
de la première phase – de 1950 à 1975 environ –, ces démarches visaient
surtout à réformer les programmes et les méthodologies scolaires sur la
base des acquis des sciences ayant trait aux contenus d'enseignement,
et elles se présentaient ce faisant comme des disciplines d'application
de ces mêmes sciences. Au cours de la seconde phase, elles se sont
adressées à un plus large ensemble de problèmes posés par
l'enseignement d'une discipline ; elles ont dès lors manifesté une
indépendance croissante à l'égard des sciences de référence et ont
revendiqué un statut de sciences autonomes, sous l'appellation de
didactiques des disciplines scolaire
[…]
Ces deux échecs relatifs [
maths modernes et influence de la linguistique sur l’enseignement
du français, MD] ont conduit à une remise en cause des démarches dites
applicationnistes et à la création des didactiques des disciplines.
Celles-ci ont pour caractéristiques générales de privilégier d'abord
l'analyse de l'état de l'enseignement d'une matière scolaire, dans ses
dimensions politiques, sociologiques, historiques et structurelles, de
gérer ensuite les processus d'emprunt et d'adaptation de données
scientifiques ayant trait aux contenus d'enseignement ou aux processus
de développement psychologique pour réformer les programmes et les
méthodologies, d'analyser enfin les conditions sous lesquelles les
méthodes et techniques d'enseignement sont susceptibles de favoriser
les apprentissages attendus, dans le contexte concret de la structure
d'une classe et des attentes sociales concernant le système scolaire. »
Jean-Paul Bronckart, Jean-Louis Chiss Article Didactique des disciplines, Encyclopedia Universalis 2009
e)
Enfin, lorsque Guy Brousseau - qui a été au niveau mondial en 2003 la
première « Felix Klein Medal» pour son travail de didacticien
- présente ses textes des années 70 – et même un de 86 – il les présente explicitement comme « Textes de la préhistoire de la didactique des mathématiques ».
Ceci dit, si Pedro Cordoba peut nous donner des éléments pour conforter sa position, qu’il le fasse.
MD
Plusieurs points
A) Je me permets de répondre à la note « La didactique peut-elle casser des briques » sur les commentaires de cette note sur le collège Jean Jaurès
car la longueur des commentaires (plus de 200 aux dernières nouvelles)
fait que les trente ou cinquante derniers commentaires ne s’affichent
qu’une fois sur deux sur mamachine; et même si ma connexion est
particulièrement poussive, la même chose doit se produire chez d’autres.
Quoi qu’il en soit, cela montre que la question de la didactique est une question fondamentale.
B) Je reprends le dernier message de Guy Morel
d)
Donc, je réponds à la fois à Guy Morel et à Isabelle Voltaire : il n’y
a pas eu de disparition de la nouvelle didactique car les conditions
qui ont poussé à sa naissance n’ont pas disparu.
MD
Rédigé par : micheldelord | le 31 mai 2011 à 14:48
C’est beaucoup de choses en une seule phrase.
Reprenons :
1- dans ce fil, Guy Morel et Isabelle Voltaire ont mis dès le début l’accent sur l’histoire de la nouvelle didactique.
2- Isabelle Voltaire parle de l’abandon des « beautés du structuralisme » et s’étonne de la survie de la nouvelle didactique.
3- Et cet étonnement concerne notamment la survie de l’interdiction d’écrire les unités dans les opérations.
Où est la pomme de discorde ?
Rédigé par : guy morel | le 31 mai 2011 à 16:12
Réponse très brève : si j’ai écrit ces six propositions sur la
didactique, c’est, comme je l’indique dans la présentation, pour
clarifier le débat : les positions exprimées y étaient souvent floues
dans l’absolu et aussi parce que des gens qui viennent de traditions
différentes - c’est le cas sur ce blog - ont du mal à se comprendre
puisque, par définition, ils n’ont pas la même problématique et que de
plus, souvent, ils ne mettent pas la même chose sous les mêmes
mots. Mes explications visent donc essentiellement à clarifier le débat
sous trois aspects : donner une vision globale, être le plus exhaustif
possible (c'est-à-dire jusqu’au point où quelqu’un qui ne partage pas
ma problématique ne se trompe pas sur le sens de ce que j’avance) et
éviter au maximum l’allusion, car, pour ce dernier point, les
principales erreurs de raisonnement, y compris pour des personnes qui
partagent la même problématique, ont pour origine des affirmations non
explicites.
Or si je reprends les positions de Guy Morel et Isabelle Voltaire, je peux constater que
- lorsqu’ils ne parlent nulle part de «
l’interdiction d’écrire les unités dans les opérations », il faut en
lire que « leur étonnement concerne notamment la survie de
l’interdiction d’écrire les unités dans les opérations »
- que lorsque Isabelle Voltaire écrit « quoique ces
nouveautés aient été abandonnées » et que je dis que, au contraire - il
s’agit d’UN si ce n’est DU point fondamental pour comprendre
l’évolution de l’enseignement depuis quarante ans - ces nouveautés
n’ont pas été abandonnées, Guy Morel ne voit pas de « discorde » que ce
soit sous forme de « pomme » ou pas .
Ce qui veut donc dire que je trouve ces positions au moins particulièrement confuses.
C) J’ai justement, lorsque j’ai écrit en conclusion des Six propositions pour la didactique « On apprendra donc la notion de couleur avant de savoir ce que sont le rouge, le vert, le bleu… »
fait l’erreur d’imprécision dont je signale le danger. Bien sûr, cette
phrase figure dans une dénonciation explicite de « l’enseignement
conceptuel », mais je n’ai pas suffisamment fait attention
au fait que je risquais d’être mal compris ( en particulier je n’avais
pas remarqué que je ne donnais comme exemples que des couleurs
fondamentale). Ce que j’ai voulu dire est infiniment plus proche
de la deuxième interprétation de Jean-Yves Degos ; j’y reviendrai et
j’essaierai de donner une formulation moins équivoque.
MD