A propos du manifeste Neoprofs / Jean-Paul Brighelli / François Bayrou
quelques remarques sur l'enseignement de l'éciture-lecture
Maintenant qu’au
moins une petite partie des questions théoriques sur la lecture est
posée de manière explicite, il est possible de faire une critique plus
complète des positions sur l'enseignement de l'écriture/lecture qui ont
été présentées sur Bonnet d’âne dans le fil « Demandez le programme » et complétée par « Ecole : les propositions se précisent ».
I) Jean-Paul Brighelli présente ainsi sa première contribution le 20 janvier dans « Demandez le programme » :
« Il m’a paru
temps, à moins de trois mois du premier tour, de prendre vraiment le
pouls de la profession, sans attendre des candidats des illuminations
sur un métier - le nôtre - dont ils ignorent à peu près tout, sauf ce
qui s’en dit au café du Commerce.
J’ai donc lancé sur [le] forum Neoprofs
fréquenté par de très nombreux enseignants, de la Maternelle à
l’Université, une enquête sur les propositions que nous attendrions de
politiques intelligents et audacieux — exemple-type de double oxymore.
[…] Les voici — cum commento, comme on disait jadis, […] Que ce soit
bien clair : même si j'approuve l'essentiel de ce qui suit, je ne le
contresignerais pas sans examen. Je me fais juste le petit rapporteur
des désirs. Une remarque enfin en passant. Pour l’essentiel, ces
propositions recoupent le programme de Bayrou. […] »
La partie qui nous intéresse est la suivante
1. Consacrer au
moins 50% du temps, en Primaire, à l’apprentissage du Français — ce qui
suppose une réécriture complète des programmes. Et à ce titre,
privilégier les méthodes d’apprentissage alpha-syllabiques. À ceux qui
se demanderaient encore pourquoi, une seule réflexion de bon sens :
outre le fait que c’est le mouvement naturel de la langue, qui va du
simple au composé, nous passons de plus en plus de temps sur des
claviers, où l’on ne tape pas des mots, mais des lettres et des suites
de syllabes — étonnant, non ? Une expérimentation comme celle du SLECC
(2) a si bien prouvé son efficacité que le ministère, jamais à court
d’erreurs, vient de sucrer la maigre subvention qui permettait de
diffuser les très efficaces méthodes mises en place dans ce cadre.
François Bayrou a
énoncé, samedi 4 février, à la Maison de la Chimie à Paris où étaient
organisées des tables rondes sur l’Education, trente propositions (1)
pour l’Ecole de demain — entendons : au lendemain de son élection
triomphale à la Présidence… Loin de moi d’opiner du chef — ni même de
le branler, me souffle, mutine, ma souris. Mais nous ne risquons rien à
les examiner dans le détail, à les disséquer, à les enrichir — ou à les
répudier.
[…]voici donc Trente propositions cum commento
et la partie sur la lecture est la suivante :
Proposition 12 de François Bayrou
- La question des méthodes pédagogiques doit être tranchée non pas par
l’idéologie, mais par l’évaluation des résultats. Ne croyez pas que
comme tous les parents et tous les enseignants, je n’ai pas une opinion
que je crois solide et nourrie par l’expérience. Par exemple, je pense
que la question des méthodes de lecture devrait être tranchée depuis
longtemps : en effet le clavier, avec lequel désormais toute personne
vit, le clavier ce n’est pas global, c’est lettre par lettre. Et donc
du son à la lettre, de la lettre à la syllabe, de la syllabe au mot,
cela me paraît devoir être la démarche désormais indiscutable. C’est
une opinion personnelle, je la trouve pertinente. Mais ce n’est ni au
gouvernement ni au président de la République de trancher des méthodes
d’apprentissage. C’est à la classe, aux résultats effectifs, à
condition qu’aucune méthode ne se voie exclue pour raisons idéologiques.
Commentaire de Jean-Paul Brighelli -
C’est l’une des grandes trouvailles de Bayrou, cette histoire de
claviers, et il n’en est pas peu fier. Ma foi, je le suivrais presque.
Et inutile d’opposer la méthode syllabique à une méthode globale qui,
stricto sensu, n’est pas utilisée. En revanche, la méthode (le mot me
pèse) idéo-visuelle de Foucambert and co. est utilisée, elle, et à fond.
Peu importent au fond les méthodes. Je qualifierais de bonne celle qui
fera des lecteurs et des scripteurs courants fin CP. Voilà, c’est cela
la barre. Les « bonnes » méthodes, ce sont celles qui parviennent à cet
objectif. Les « bons » instits, ce sont ceux qui savent y parvenir.
Point barre. Le GRIP a la solution clés en main. Maintenant, si vous
préférez installer une imprimerie dans votre classe, ça ne me dérange
pas.
III) Quelques remarques
A) Utilitarisme et pilotage par les résultats
François Bayrou nous dit:
La question des méthodes pédagogiques
doit être tranchée non pas par l’idéologie, mais par l’évaluation des
résultats. Ne croyez pas que comme tous les parents et tous les
enseignants, je n’ai pas une opinion que je crois solide et nourrie par
l’expérience. […] C’est une opinion personnelle, je la trouve
pertinente. Mais ce n’est ni au gouvernement ni au président de la
République de trancher des méthodes d’apprentissage. C’est à la classe,
aux résultats effectifs, à condition qu’aucune méthode ne se voie
exclue pour raisons idéologiques.
et Jean-Paul Brighelli approuve et en rajoute :
Peu importent au fond les méthodes. Je
qualifierais de bonne celle qui fera des lecteurs et des scripteurs
courants fin CP. Voilà, c’est cela la barre. Les « bonnes » méthodes,
ce sont celles qui parviennent à cet objectif. Les « bons » instits, ce
sont ceux qui savent y parvenir. Point barre. Le GRIP a la solution
clés en main.
C’est une position à la fois profondément utilitariste et
particulièrement conformiste par rapport à l’état des appareils
scolaire et politique comme je l’ai déjà indiqué précédemment dans le
chapitre « Le système conceptuel de l’utilitarisme : le pilotage par
les résultats » de la critique de la lettre ouverte du GRIP au ministre du 1er janvier 2012 :
L’approbation des évaluations n’est pas
une question secondaire et isolée mais - entre autres - la conséquence
de l’approbation d’un système conceptuel assez complet. On l’oublie
souvent, mais approuver l’évaluation, prôner la culture de l’évaluation
et lui donner une place centrale est une tendance bien antérieure à la
présidence de Nicolas Sarkozy ou au ministère de Xavier Darcos[1]
Cependant, celui-ci nous a offert une belle démonstration du type de
raisonnement et de conduite que ce système de pensée conduit à rendre
légitime et normal. Alors fraîchement nommé à la rue de Grenelle, il
fut interviewé par Fabrice Madouas pour la revue Valeurs actuelles du
22 juin 2007, afin de présenter en quelque sorte son « agenda » de ministre de l’éducation, et voici ce qu’il répondit à l’une des questions les plus sensibles :
Valeurs actuelles : Dans la controverse sur la méthode syllabique, de quel côté êtes-vous ?
Xavier Darcos
: Du côté de la méthode syllabique, sans hésitation. Mais je n’entrerai
pas dans une querelle de méthodes car je préfère, comme le dit le
président de la République, évaluer le résultat plutôt qu’inspecter les
méthodes. Nous laisserons davantage d’autonomie aux professeurs. Ce
sera à eux de nous dire quelles méthodes ils utilisent, à eux de les
choisir, à condition que les résultats soient là. Donc, nous évaluerons
les résultats.
Comme le disait Deng Xiaoping et comme se plait à le répéter régulièrement Jean-Paul Brighelli : « Qu'importe qu'un chat soit blanc ou noir, pourvu qu'il attrape des souris. »
C’est le résultat obtenu aux tests qui permet de reconnaître une valeur
à ce qui est testé : un mélange d’utilitarisme et de pragmatisme qui a
l’avantage d’afficher directement son mépris des questions théoriques.
Il s’agit très clairement de la conception néolibérale du test-based
accountability ou pilotage par les résultats prôné par Georges Bush.
Défendu d’abord par la vice-ministre de l’éducation Diane Ravitch, ses
conséquences furent telles qu’elle en a fait une sévère critique dans
son livre de 2010 « The Death and Life of the Great American School System: How Testing and Choice Are Undermining Education ». On peut trouver un écho de ces questions dans Diane Ravitch, Volte-face d’une ministre américaine, Le monde diplomatique, octobre 2010.
En considérant les oppositions sur l’enseignement de l’écriture-lecture
comme portant sur des questions de méthode et non de contenus - ce qui
est faux -, on en diminuait l’importance conceptuelle. Cette position
défendue par une majorité d’antipédagogistes permettait de plus à
Xavier Darcos de ne pas avoir à prendre position en tant que ministre [2]
sur l’enseignement de l’écriture-lecture et donc de ne pas s’opposer
frontalement à ses anciens collègues de l’inspection générale du
primaire. Pas de vague.
[1] Je
reviendrai sur cette question puisqu’il y a de fortes raisons qu’on
l’oublie : ni les antipédagogistes ni les pédagogistes ne veulent
présenter la position de Xavier Darcos fondamentalement comme une
continuation de celles des Jack Lang, Philippe Joutard ou Claude Thélot.
[2]
Et c’est ce qui est important car on n’a en fait pas grand-chose à faire de son avis personnel. Jaurès parlant d’Aristide Briant écrivait:
Se
dépouiller de sa qualité de ministre pour exposer ses idées, c’est dire
non seulement qu’on n’est pas admis comme ministre à les réaliser
pleinement, mais qu’on ne peut même pas donner en ce sens une impulsion
vigoureuse et saisissable.
in Après le congrès d’Angers, L’Humanité du 7 août 1906.
Texte cité dans Jean Jaurès, De l’éducation [Anthologie], Syllepse, Paris, 2005, Paris, page 263.
Une conclusion rapide : François Bayrou, avec l’accord de Jean-Paul
Brighelli se prépare à ne pas prendre de position de soutien aux
méthodes alphabétiques de lecture et à reproduire la manœuvre qui avait
si bien réussi sous Xavier Darcos, grâce aux conseils éclairés de
Jean-Paul Brighelli et Marc le Bris.
B) Impasse sur le contenu :
1) Ce qui est explicitement revendiqué est la mise en place d’une méthode « alpha-syllabique ».
Autant dire que après avoir garanti par la position précédente que le
pouvoir ne soutiendrait pas une méthode même si elle permettait
d’apprendre à lire, on met en place une deuxième sécurité - qui a déjà
fait sous Darcos la preuve de son role négatif - en rendant le plus
flou possible le nom de ce qui doit être défendu.
2)
Jean-Paul Brighelli : « À
ceux qui se demanderaient encore pourquoi, une seule réflexion de bon
sens : outre le fait que c’est le mouvement naturel de la langue, qui
va du simple au composé, nous passons de plus en plus de temps sur des
claviers, où l’on ne tape pas des mots, mais des lettres et des suites
de syllabes — étonnant, non ? »
François Bayrou : « Par
exemple, je pense que la question des méthodes de lecture devrait être
tranchée depuis longtemps : en effet le clavier, avec lequel désormais
toute personne vit, le clavier ce n’est pas global, c’est lettre par
lettre. Et donc du son à la lettre, de la lettre à la syllabe, de la
syllabe au mot, cela me paraît devoir être la démarche désormais
indiscutable. »
Il est effectivement plus facile de trouver des raccourcis aventureux
et modernistes pour justifier l’emploi de méthodes alphabétiques que de
donner les vraies raisons de ce choix.
Mais cet argument est au moins doublement faux :
- Si l’on parle d'apprentissage de
l'écriture-lecture et
de clavier - je ne parle pas de l’ordinateur - , on induit ou au moins
l’on ne repousse pas l’idée que l'utilisation du clavier ne présente
aucun danger pour l'apprentissage de l'écriture-lecture. Or,
l’enseignement de l’écriture à la main est liée à la
maîtrise corporelle et physique - et pas seulement visuelle - des
directions droite/gauche et haut/bas, ce qui n’est pas le cas d’un
apprentissage de l’écriture au clavier.
- D’autre part, cette justification de
l’apprentissage de l’écriture lecture par méthode alphabétique par
l’usage du clavier n’a pas grand avenir car il est fort possible
que l’utilisation du clavier comme interface n’ait pas
un grand avenir.
3) De toutes les façons,
défendre une méthode de lecture dont on ne précise pas le concept en
donnant des arguments invalides n'est rien à coté du "Peu importent au fond les méthodes"
de Jean-Paul Brighelli. On ne sait si le pire est qu'elle est une
des principales positions des défenseurs honteux des méthodes
naturelles - l'important est l'enseignant et non le contenu
enseigné - ou qu'elle va justifier les promotions au mieux des "enseignants les plus expérimentés"* en considérant cette qualité tout aussi indépendamment du
contenu enseigné.
Larche, le 06/05/2012 - 18 h
Michel Delord
* Je me suis opposé à l'utilisation de cette notion dans l'Appel pour la refondation de l'école (Marc le Bris, Michel Delord, Jean-Pierre Demailly, Jean-Pierre Guillaud, Laurent Lafforgue) - (Cabanac, le 07/05/2012)