Lire et écrire en maternelle: aprés la grade section, la petite section

Original : http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/devanne_ms2.aspx [30 mars 2007]

Voici tout d'abord une brève synthèse des quatre réponses que j'ai obtenues des chercheurs suite à mon courrier de juin ; aucun des quatre ne fait référence au "Journal d'une grande section en ZEP", auquel j'invitais bien sûr chaque destinataire à se reporter.

C'est pourquoi il m'a semblé important de saisir la nouvelle opportunité qui m'était offerte d'accompagner, cette fois-ci, un groupe d'enfants du début de la moyenne section jusqu'à la fin de la grande section, en juin 2008. Les interrogations de nombreux lecteurs devant les productions écrites reproduites dans le "Journal d'une grande section en ZEP", comme devant les compétences évaluées au mois de juin dernier, devraient ainsi trouver quelques éléments de réponse... Cette "chronique" sera trimestrielle, ce qui me permettra de mieux faire apparaître les continuités pédagogiques et les progrès et/ou les difficultés de chacun des enfants (surtout en ce début de MS où les progrès s'avèrent très lents pour quelques-uns d'entre eux).


La classe regroupe, comme l'an dernier, une vingtaine d'enfants de moyenne et grande sections. Je m'intéresserai donc aux seuls moyens, que je présente brièvement : initiale(s) des prénoms, sexe, mois de naissance (tous sont nés en 2002), origine géographique :


A.

F

mai

Sri Lanka / Fr

 

L.

F

janvier

Fr

Ad.

G

août

Fr

 

M.

G

mai

Fr

Ah.

G

juin

Turquie (arrivée : sept. 06)

 

N.

G

mars

Turquie

B.

F

juillet

Fr

 

Ni.

F

novembre

Laos

D.

F

juin

Turquie

 

S.

F

février

Fr

K.

F

mai

Fr

 

 

 

 

 



Les premières semaines de la moyenne section

Selon mon point de vue et celui de l'enseignante, l'intérêt majeur de cette chronique sera de montrer ce que peuvent construire sur deux années des enfants qui, à la différence des précédents, arrivent en moyenne section manifestement "démunis" : 
- ils n'ont pas l'habitude d'écouter des histoires, se dispersent très vite ; corrélativement, ils n'ont aucune culture des albums ; 
- ils n'ont pas conscience de la diversité des livres et des fonctions qu'ils remplissent - n'ont par exemple aucune idée de ce qu'est un documentaire, de ce qu'on peut y trouver, de l'organisation interne à laquelle il peut obéir ; 
- ils ne donnent aucun sens aux situations proposées, ne se posent pas de question sur l'activité attendue à partir de tel support, oublient rapidement le but d'une recherche - par exemple, dans les premières situations d'écriture de septembre, quand ils ont repéré le nom d'une couleur, ils ne savent déjà plus à quelle fin ils l'ont recherché ; 
- ils n'ont aucune pratique de l'écriture en capitales, ils n'ont pas été entraînés à écrire leur prénom.


Ecouter, lire, graphier, copier

Pour l'enseignante, l'une des priorités est que chaque enfant, dès les jours qui suivent la rentrée, commence à s'approprier les gestes graphiques de l'écriture en majuscules "bâton" : pour cela, chacun apprend les gestes graphiques de l'écriture de son prénom. Par ailleurs, dès le mois de septembre, les enfants choisissent chaque semaine un album qu'ils emportent à la maison : ils doivent en écrire le titre - qui est, sur une feuille libre, "rétabli" en lettres capitales en début d'année quand il ne figure pas sous cette forme sur la couverture. Les progrès de l'écriture sont d'ailleurs assez rapides pour plusieurs des enfants, ce qui montre qu'ils auraient pu être placés dans ces situations d'apprentissage dès la petite section (je rappelle que dans certains contextes familiaux, les enfants n'attendent pas d'avoir 4 ans pour construire ces compétences élémentaires).

Il faut également apprendre à écouter des histoires, avec pour objectif d'augmenter aussi rapidement que possible le temps de concentration. Voici les lectures d'albums de la première semaine (il faut y ajouter notamment des comptines) - lecture d'albums répétitifs, les plus favorables pour concentrer et prolonger l'attention des moyens, lecture d'autres ouvrages qui vont appuyer les activités d'écriture des grands dans cette première période :Pipiou dans son oeuf, Une amoureuse, c'est bien et la série "Les zigotos" de Benoît Charlat ; Même pas peur et La semaine d'Uki, de Claudia Bielinsky ; Paulette petite coquette de 100drine ; Bébécédaire de Bénédicte Guettier ; Hop! et Dans la maison du petit ver de Jean Maubille ; Mon doudou de Dominique Peysson ; Tous les loups de Bisinski et Sanders ;Papa dort et Papa se rase d'Alain Le Saux ; Papa trop de Michel Gay ; Papa ! de Philippe Corentin et une dizaine d'albums d'Edouard Manceau, Toc la poule, Tic-Tic la girafe, Poum la baleine, etc. (E. Manceau étant intervenu dans l'école au printemps dernier, beaucoup de ses albums ont été "fréquentés" par les enfants de PS à cette occasion).

Différentes situations de lecture sont proposées sur un rythme soutenu, la plupart d'inspiration tout à fait classique mais rarement mises en oeuvre dès les premiers jours de la moyenne section. En voici quelques exemples : 
- repérer "PAPA" dans les textes répétitifs des deux albums d'Alain Le Saux ; 
- dans le texte dactylographié de Dans la maison du petit ver, surligner la couleur qui se répète ; 
- surligner d'une couleur différente les prénoms de quelques enfants de la classe (chaque prénom est répété plusieurs fois, de façon aléatoire, sur la feuille A4) ; 
- associer des noms d'animaux aux vignettes "images + mots" distribuées séparément ; 
- en s'aidant des titres des livres d'Edouard Manceau, compléter la liste des noms des animaux - ex : POUM ........ [LA BALEINE].


Lire-écrire... Ecrire-lire

Par "activités d'écriture", j'entendrai constamment des activités qui ne consistent pas en "copie", même problématique et "active" au plan cognitif (par exemple, retrouver et replacer les "bons mots" aux "bons endroits", comme dans l'exemple précédent), mais qui impliquent des prises d'initiative de chacun, un projet personnel : en activité d'écriture, il y a donc autant de productions qu'il y a d'enfants. Durant ces deux mois, les productions sont toutes réalisées en majuscules "bâton", seule forme graphique à laquelle les enfants peuvent accéder pour l'instant (et pour quelques-uns, ce n'est pas sans difficulté). Voici quelques exemples des situations proposées.


Image1  Image2
DOC 1 DOC 2
Image3 
DOC 3



Les mois de novembre et décembre

Dès la rentrée de novembre est lancé un projet de production d'albums à compter, qui prend des formes plus ou moins complexes selon qu'il concerne les moyens ou les grands. Les albums, qui seront réalisés par petits groupes, seront tous construits sur une structure répétitive : pour les moyens, ce sera "comptine numérique + nom d'un unique animal + couleur" (pour les grands, "comptine numérique + nom d'un animal chaque fois différent + localisation géographique"). L'implication des enfants de grande section dans ce projet "contamine" rapidement les moyens qui attribuent dès ce moment, et de façon visible, du sens aux situations qui leur sont proposées : par exemple, plusieurs se souviennent d'un jour sur l'autre de l'animal qu'ils ont choisi - cette mémoire leur était, je le rappelle, parfaitement étrangère jusqu'en octobre. (Je signale, sans développer ce point, que les productions des grands dépassent pour certaines d'entre elles, dès le mois de novembre, le nombre 10 : [...] "10 harpies féroces en Argentine / 11 tamarins au Pérou / 12 pumas au Brésil" - pour cette production, l'enfant s'est appuyé exclusivement sur une faune d'Amérique du Sud.)




Ecouter, lire, graphier, copier

L'habitude de l'écoute progresse : prenant le relais des grands, certains moyens (D. notamment) commencent à repérer les rimes lors de lectures de comptines. Ils participent aux recherches de rimes orales sur le modèle de "dans mon corbillon" (les grands prolongent ces recherches par des essais d'écriture au tableau).

Les situations de lecture gagnent en complexité (de façon très progressive), en ménageant toujours la possibilité de plusieurs "niveaux de réussite" : 
- découper et regrouper en 2 séries les extraits mélangés de C'est méchant ! et C'est dangereux ! , deux albums de Pittau et Gervais (ex. : "Faire pipi sur les fleurs... c'est méchant !" / "Grimper sur les étagères... c'est dangereux !") ; 
- retrouver les noms de couleur dans des titres de contes ou d'albums reproduits en capitales (sur A4) : Chien bleu, Tout vert, tout rouge, etc. ; 
- associer des titres d'albums aux reproductions de couvertures (les typographies proposées sont différentes) ; 
- compléter une information tronquée - la salamandre de ........ - en retrouvant dans un "texte long" l'énoncé original (la série "[animal] de + [prénom]" est la compilation de productions écrites individuelles précédentes).

A la différence de l'écriture en majuscules "bâton", l'écriture cursive implique la maîtrise de tracés complexes et une réelle fluidité gestuelle : c'est pourquoi dès cette période les enfants pratiquent, dans le cadre de l'éducation esthétique, des activités plus spécifiquement graphiques - calligraphies abstraites aux mouvements complexes, inspirées de reproductions affichées dans la classe, et réalisées avec des "traceurs" variés.



Lire-écrire... Ecrire-lire

L'écriture de l'album est quotidiennement reprise pendant plusieurs jours pour que chacun puisse parvenir à la comptine numérique la plus ample possible - par exemple : 1 éléphant bleu / 2 éléphants roses /...". Ces productions impliquent des recherches dans des documentaires afin que chaque enfant puisse déterminer l'animal de son choix. Pour les enfants à qui l'écriture oppose le plus de résistance, l'enseignante reproduit sur feuille libre les noms choisis en capitales : c'est le cas pour N. [DOC 4]. Certains cependant commencent à écrire en cursive : ils ont dès ce moment à leur disposition des alphabets présentant en parallèle les différents "systèmes graphiques" d'usage quotidien (majuscules et minuscules d'imprimerie, majuscules et minuscules cursives). S. commence à s'en servir de façon efficace [DOC 5].


Image4  Image5
DOC 4 DOC 5

Le 14 décembre, une situation enregistrée en video permet d'observer plus précisément les stratégies d'écriture de chacun de ces enfants en cette fin de premier trimestre. L'activité proposée est inspirée de l'album Même pas peur, lu dès la première semaine (voir plus haut) et souvent repris avec plaisir. Le document remis à chaque enfant est :

Image1 DOC 6
Image7 DOC 7
Image8 DOC 8

Des albums et des documentaires ont été réunis dans un bac à proximité des moyens ; ceux-ci vont choisir et rapporter à leurs tables, entre autres : 
- les albums Victor et la sorcière d'Olga Lecaye, Une histoire à faire peur de M.G. Jullien et F. Muller, Bouh la petite bête d'Antonin Louchard, Squelette hoquette de M. Cuyler et S. D. Schindler ; 
- les documentaires Insectes araignées serpents (Ed. Seine), Animaux qui piquent(Hachette jeunesse), Dans la nuit (Mango), Les quatre saisons du renard roux de H. Imazu et T. Kanzawa, etc.



Bref bilan de ce premier trimestre

Des comportements en évolution, des compétences encore fragiles


Des difficultés manifestes pour plusieurs d'entre eux

D'une façon plus générale, beaucoup de ces enfants ont, dès ce premier trimestre de moyenne section, établi un rapport "naturel" à la chose écrite, qu'il s'agisse de la fréquentation des albums, des premiers repérages qu'ils y opèrent, de la pratique d'activités d'écriture qui ne provoque aucun découragement de leur part ou même qui, pour quelques-uns d'entre eux, est déjà l'occasion d'implications attentives entre écrits à produire et supports de référence. Nous suivrons tout particulièrement au deuxième trimestre les progrès des quatre enfants qui manifestent pour l'instant les plus lisibles "difficultés d'apprentissage".



Bernard Devanne,
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie



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Lire et écrire en maternelle : après la grade section, la moyenne section 

Original : http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/devanne_ms1.aspx


Pour lire le début de ce dossier

Lire et écrire en maternelle, après la grande section, la moyenne section (2006-2007) : Janvier 2007 : bilan du 1ertrimestre

La suite : 

Bilan du 3ème trimestre

 

Dans l’académie de Caen, ce deuxième trimestre est relativement court : 5 semaines du 8 janvier au 9 février, 5 semaines à nouveau du 26 février au 30 mars.

C’est pourquoi je ne distinguerai pas ces deux périodes : les progrès des enfants, sensibles pour la plupart d’entre eux, ne sont lisibles qu’à l’échelle du trimestre (certains enfants de grande section, au contraire, franchissent sur de brèves périodes des caps importants dans la maîtrise du lire-écrire).

 

 

Des pratiques culturelles dans « l’espace-livres »

L’habitude d’écouter chaque matin des histoires longues s’installe progressivement : l’enseignante donne beaucoup d’importance à cette capacité de concentration, en progrès – très relatif pour certains – à la fin du premier trimestre. Pour alimenter par ailleurs l’élaboration de références culturelles de qualité, elle propose de nombreux contes traditionnels, ainsi que des "classiques" de Grimm ou de Perrault.

Ces lectures marquent les enfants au point qu’elles déterminent le fil conducteur de l’un des albums à compter des GS,Compte les animaux des contes : « 1 chauve-souris chez le Petit Chaperon Rouge, 2 méduses chez la Princesse au Petit Pois, 3 citrons [= papillons] chez le Bonhomme de Pain d’Épices, 4 tamarins chez la Barbe-Bleue, 5 paresseux chez Hansel et Gretel, 6 tamanoirs chez Boucle d’Or, 7 oryctéropes chez le Petit Poucet, 8 tatous chez les Sept Chevreaux… »

On n’oubliera pas que lire, lorsqu’il s’agit d’un album, ce peut être d’abord faire du sens avec les illustrations des ouvrages présentés pour la première fois. Ainsi, la découverte de quelques illustrations (jugées "problématiques" par l’enseignante, qui neutralisent de plus la chronologie) de la version d’Anthony Browne d’Hansel et Gretel conduit-elle à identifier – plus rapidement qu’attendu ! – le conte de référence, les enfants confirmant ensuite leur première intuition par le rappel du récit au fil du feuilletage linéaire de l’album. Et si l’essentiel des prises de parole est bien sûr dû aux enfants de grande section, le silence relatif des moyens est pour eux l’occasion d’apprécier la nature de l’"activité langagière" attendue lors d’une telle présentation.

À l’image des grands, qui commencent à relire des albums assez consistants devant les autres, les moyens prennent plus d’initiatives en ce sens : ils y sont encouragés par l’enseignante, qui recadre les choix lorsque les albums choisis ne sont pas suffisamment répétitifs. Ceux qui "osent" pour la première fois restent souvent muets, ce sont les autres qui rappellent le texte à leur place quand ils tournent les pages : pour eux, une étape importante est néanmoins franchie.

 

 

La réalisation individuelle d’un album à compter

Le projet d’écriture d’albums à compter se termine : les enfants y ont maintenu une réelle implication de bout en bout, malgré l’étirement dans le temps qui l’a caractérisé (une dizaine de semaines effectives). Je rappelle qu’il s’agit, pour les moyens, d’une production individuelle (les grands élaborant des albums plus complexes par petits groupes) : chacun doit donc, après la création du texte, procéder à la mise au propre et réaliser la composition plastique de chaque double page.

Au fil des semaines, de nouvelles lectures d’albums à compter, comme Dix grenouilles de Quentin Blake (Gallimard Junior),1,2,3 dans l’arbre d’Anushka Ravishangar (Actes Sud Junior), Un pour l’escargot, dix pour le crabe (Kaléidoscope), permettent à chaque fois d’établir des comparaisons avec ceux qui ont été précédemment lus :

- comparaisons sur les différentes présentations des chaînes numériques, les mises en texte ;

- comparaisons sur la mise en page de chaque album, la composition de la double page, la typographie, les techniques plastiques utilisées.

 

Le temps consacré à l’élaboration de ces albums s’explique parce qu’il s’est agi, pour les moyens comme pour les grands, de reprendre des écrits de façon différée, de les évaluer, donc de procéder à des essais successifs : dans la phase d’élaboration finale, chacun recommence jusqu’à ce que les énoncés soient reproduits sans erreur. Ces nombreux moments où les enfants doivent "graphier" et "copier" prolongent les activités présentées sous le titre "graphier, copier" au premier trimestre ; ce ne sont évidemment pas les seuls, des activités calligraphiques poursuivant l’entraînement à la maîtrise des tracés de l’écriture cursive.

Il faut également imaginer la couverture, les pages de garde, les écrits spécifiques à reporter sur la couverture et la page intérieure de titre ; or, comprendre la "fonctionnalité" du titre puis en imaginer un, expliciter la notion d’auteur, sont des élaborations cognitives qui, pour des moyens, présentent de réelles difficultés.

 

Des activités variées de lecture-écriture

Très "naturellement", la production des albums rend possible, à diverses reprises, la mise en œuvre d’activités de relecture autonomes :

- chaque enfant peut retrouver son propre texte ou celui d’un autre, puisqu’il est capable d’y repérer le prénom ; en principe, il peut aussi en retrouver le sens et même la littéralité du texte (chaîne numérique + répétition du nom de l’animal choisi + couleur) sans l’intervention de l’enseignant ;

- à d’autres moments, les enfants ont à compléter un texte communiqué sous forme tronquée (celui d’un autre) ; après avoir rétabli la ligne manquante (par exemple, "3 salamandres vertes"), ils poursuivent l’énumération là où leur camarade l’a interrompue (par exemple, "6 salamandres roses") : ils rencontrent ainsi différents animaux, dont la reprise de l’écriture du nom constitue un bon entraînement graphique en situation.

 

D’autres d’activités articulant de façon étroite, comme au premier trimestre, la lecture et l’écriture, sont proposées sur un rythme régulier en alternance avec les séances consacrées à l’élaboration des albums à compter. En voici quelques exemples (certaines de ces activités sont spécifiques aux moyens, d’autres, avec certains aménagements, sont également proposées aux grands).

À partir des albums de Tony Ross Je veux un chat (Mijade) et Je veux une petite soeur (Gallimard, Folio benjamin), plusieurs situations sont proposées sur 2 semaines, un jour sur deux, en alternance avec d’autres activités d’écriture :

- trouver les moyens d’écrire la séquence répétitive je veux + nom d’un animal ;

- à partir des textes recopiés, reconnaître qui en sont les auteurs, puis poursuivre l’énumération commencée par un autre (second exemple d’une production "interactive") ;

- élaborer un énoncé plus complexe, incluant des adjectifs - par exemple, "je veux un petit ouistiti vert" - en s’appuyant sur la forme répétitive de l’album Un petit quoi ? d’Isabelle Carrier (Casterman) ;

- reconnaître les textes maintenant typographiés, retrouver les couleurs, localiser par surlignage les reprises de la formule "je veux".

 

Lecture de menus et prise de repères

- transcrire un menu en cursive ; cette activité sera reprise car elle présente de réelles difficultés : organisation de l’espace, disposition du menu et de la date ;

- inventer un menu (la contrainte de la composition du menu - entrée, plat, dessert - ne leur est pas imposée, à la différence des grands ; néanmoins, l’activité ne prend vraiment sens que pour ceux qui fréquentent le restaurant scolaire, les autres mangeant parfois un plat unique) ;

 

Imaginer, à partir d’imagiers ou de photocopies, un texte répétitif sur la structure "Prénom d’enfant (de l’école, ou frère ou sœur) + AIME + aliment : dans cette situation, les enfants recherchent réellement des aliments qui peuvent convenir, ne serait-ce que parce qu’ils correspondent à leurs propres goûts : chocolat, frites... (cette situation est proposée fin janvier).

doc 1

 

doc 2 

Parmi les cinq enfants qui pratiquent maintenant l’écriture cursive, D. (doc.1) et L. (doc.2) ont écrit les textes les plus longs :

- les tracés cursifs de D. sont encore très approximatifs et sa copie est mal assurée (voir la "décomposition" de aime au fil des lignes) ; D. ne réussit pas encore à "convertir" les caractères imprimés de son imagier en alphabet cursif (seuls les prénoms sont écrits en cursive) ou, plus vraisemblablement, elle ne prend pas le temps de consulter sa fiche de correspondance (cf. premier trimestre) pour être celle qui aura écrit "le plus"... ;

- L. maîtrise beaucoup mieux l’écriture cursive à la fois dans la réalisation purement graphique et dans sa capacité à assurer la conversion avec adresse (le lait, le yaourt), dès ce moment sans se référer à sa fiche de correspondance (elle n’y aura donc eu recours que pendant quelques semaines).

 

 doc 3

Ceux qui écrivent encore en majuscules bâton disposent d’une feuille assurant un plus fort guidage. Ici, Ah. (doc.3), après avoir écrit les prénoms en majuscules, reproduit comme D. les caractères imprimés ; s’il écrit deux fois la pomme en cursive, c’est parce que l’imagier qu’il a alors dans les mains se présente ainsi (on le voit néanmoins, cette première tentative est assez réussie).

Il faut souligner que, si les activités articulant lecture et écriture constituent le cœur de la démarche, elles sont renforcées par d’autres situations visant à exercer, plus spécifiquement, les compétences de lecture - par exemple au mois de mars :

- repérer des mots semblables dans des titres d’albums lus : Loup y-es-tu ?, Docteur loup, Arc-en-chat, Le chat botté,etc.;

- repérer dans une liste et classer ensuite dans un tableau : des prénoms, des couleurs, les jours de la semaine ;

- dans des recettes, après s’être familiarisé avec l’organisation textuelle, repérer les ingrédients de la liste dans le texte lui-même ;

- classer par ordre alphabétique des mots donnés, puis des mots trouvés en autonomie, etc.

 

Pendant ces mêmes semaines, les situations de lecture-écriture s’inspirent de différents albums répétitifs, entre autres :

- à partir de l’album de Bénédicte Guettier Je m’habille et je te croque (variation sur Loup y-es-tu ? L’école des loisirs), continuer à apprêter le personnage - par exemple, "je mets mes boucles d’oreilles rouges" ;

- à partir de l’album d’Anne Gutman Los colores (Juventud, collection Mira mira) - "J’ai un papa bleu... Je suis une baleine." -, imaginer des énoncés du même type avec le support d’images d’animaux suffisamment caractéristiques ;

- à partir de l’album d’Alain Le Saux La maîtresse n’aime pas (Rivages), lister les "interdits" de la classe : ainsi, l’interdit imaginaire "la maîtresse n’aime pas qu’on mange des hamburgers" peut-il être écrit en autonomie, alors que l’interdit bien réel "la maîtresse n’aime pas qu’on jette les livres" suppose l’intervention de l’adulte.

 

 

Une séance filmée et analysée

Le 22 mars, une situation enregistrée en vidéo permet d’observer plus précisément les progrès dans l’organisation et la gestion des va-et-vient lecture / écriture de chacun de ces enfants en cette fin de deuxième trimestre. L’activité proposée est inspirée de l’album Pourquoi les zèbres sont-ils en pyjama ?, de Lila Prap (Circonflexe), dont la lecture prolonge celle d’Il ne faut pas habiller les animaux, de J. et R. Barrett (L’école des loisirs). Il s’agit d’écrire un texte répétitif sur la structure "pourquoi + animal + a + vêtement + couleur ?" (Pour les GS, la construction interrogative a-t-il est attendue, et elle devient même rapidement d’un usage spontané à l’oral, dans le contexte spécifique de cette activité d’écriture).

 

Dans cette situation, chacun doit s’organiser pour choisir dans des livres :

- d’une part, un animal - des documentaires de complexité diverse sont à disposition sur les tables : l’album le Zoo des z’enfants de Tana Hoban (Kaléidoscope), la collection "Les animinis" (Milan), - Sur la banquise, Dans la nuit... -, des encyclopédies comme Tous les mammifères du monde (Milan), etc.

- d’autre part, un vêtement - des imagiers sont également disponibles : Mon premier imagier du corps et des vêtements(Maxi-livres), Des mots en images (Nathan), Le grand imagier Mes premières découvertes (Gallimard), etc.

 

doc 4 

Les enfants sont sensibles à la dimension humoristique des énoncés produits. L’écrit de N. (doc.4) mérite d’être commenté sur plusieurs plans :

- il fait apparaître la difficulté des enfants de cet âge à dépasser une représentation "dessinée" de l’écriture - voir le point sur le i de hibou, la boucle du second r de marron -, comme celle de ne rien oublier au moment de la copie - voir pourqu ;

- il montre également la complexité du problème à résoudre dans la production de l’énoncé imaginé, "pourquoi la chauve-souris l a une les bottes bleu" : choisir l’animal dans un livre et le recopier, poursuivre l’énoncé en n’oubliant pas de s’"arrêter" avant le déterminant, choisir un vêtement (avec son déterminant) sur un autre support, enfin choisir une couleur toujours différente... ; une telle stratégie complexe d’écriture suppose, pour être maîtrisée, la répétition suffisamment fréquente de situations analogues ;

- le détour par la structure orale "pourquoi la chauve souris elle a..." conduit N. à résoudre le problème posé en recourant à la lettre "l", prononcée bien sûr [El] ; voilà qui en dit long sur la connaissance de la langue écrite que certains ont déjà construite, et sur leur capacité naissante à inventer des solutions à leurs problèmes d’écriture.

 

doc 5

 

 doc 6

Parmi les cinq enfants qui écrivent encore en majuscules bâton, les écrits de Ni. (doc.5) et d’Ad. (doc.6) traduisent deux "profils d’apprentissage" différents :

- Ni. progresse régulièrement, mais ses absences répétées du premier trimestre ont retardé ses apprentissages ; dans les phrases "pourquoi le pingouin a une culotte rose" et "pourquoi le panda a un pyjama violet", on peut noter que les difficultés principales se concentrent sur les termes désignant les vêtements, imprimés en minuscules dans l’imagier qu’elle utilise ;

- Ad., qui fréquente l’école avec assiduité, a encore besoin d’un accompagnement soutenu pendant sa recherche ; ses difficultés d’écriture - largement dues à sa nervosité - ne se résorbent pas encore : si l’on peut lire "pourquoi le panda a un short vert", il est difficile de lire "pourquoi moustiques a une robe bleu le" (la présence de "le" en fin de phrase s’explique par l’intervention de la maîtresse "tu as oublié le, le moustique"...) ;

- Ni. et Ad. ne disposent pas encore d’une fiche de correspondance, qu’ils ne sauraient pour l’instant utiliser ; l’enseignante est de ce fait régulièrement conduite à faire elle-même la "conversion" des minuscules d’imprimerie en majuscules bâton, que l’enfant n’a plus qu’à reproduire : faut-il se résoudre, pour eux et pendant la période la plus brève possible, à limiter leur recherche dans les imagiers composés en majuscules ?

De façon plus générale, le visionnement de cette séance fait apparaître des acquis importants pour la totalité des moyens :

- ils maîtrisent l’identification et le surlignage d’énoncés répétitifs, qu’il s’agisse de mots seuls ou de groupes de mots ;

- ils se souviennent du mot qu’ils sont en train d’écrire ; s’ils s’arrêtent (s’intéressent à autre chose), ils le retrouvent et en reprennent la copie "au bon endroit" ;

- ils demeurent de façon visible "dans l’activité" et savent quoi chercher, même ceux qui ont encore besoin d’un accompagnement pour organiser leur recherche ; les autres font preuve d’autonomie, notamment lorsqu’il s’agit de chercher dans les imagiers maintenant familiers.

 

 

Quel bilan au terme de ce deuxième trimestre ?

Des progrès appréciables

- Grâce, notamment, à l’écriture des albums à compter qui, mettant en scène des animaux, impliquent des recherches dans des documentaires, les enfants ont intégré la fonction de ce types d’ouvrages, ont appris à les ranger dans des bacs spécifiques, ainsi d’ailleurs que les imagiers ; en revanche, le rangement des recueils de contes n’est pas encore clairement identifié par plusieurs des enfants de la moyenne section.

- Le matin à l’accueil, ils sont plus nombreux à aller spontanément vers les tables sur lesquelles sont déposées des feuilles : ils recopient des énoncés affichés (les jours de la semaine, "je veux un singe"...) ou même reprennent de leur propre initiative telle idée d’écriture précédemment proposée (par exemple, "pourquoi... ?").

- Certains d’entre eux, qui écrivaient en janvier en capitales, sont passés à l’écriture cursive avec feuille de correspondance, et n’en ont déjà plus besoin ; en fin de trimestre, L., D., N., B., S. maîtrisent donc la transposition en cursive de façon "automatisée" ;

- Tous entrent maintenant en activité, selon des rythmes évidemment différents : ils savent ce qu’ils doivent faire dans la situation proposée, et ont appris à s’y tenir. Certains anticipent maintenant les consignes implicites des documents distribués et peuvent se mettre spontanément au travail (L.), voire même "se dépasser" au contact des grands lorsque la situation d’écriture proposée est identique (D., B.).

- Ils peuvent tous reproduire une phrase en autonomie, ce que M. et A. ne parvenaient pas à faire précédemment : ils "perdaient le fil" de leur copie si on ne leur resituait pas précisément, dans le mot, l’endroit précis où ils se trouvaient.

- Même si des difficultés proprement graphiques persistent chez certains, la notion de mot (séparer par exemple les mots en recopiant un titre) est acquise, ainsi que celle de la permanence de l’écrit (par exemple, revenir à la ligne quand on n’a plus de place, alors que l’original n’occupe qu’une ligne).

- La capacité de concentration, en situation d’écoute dans l’espace-livres comme pendant les activités aux tables, augmente de façon régulière.

 

Pour quelques-uns, des progrès... et des difficultés persistantes

J’indiquais en janvier mon intention de suivre plus précisément les progrès des quatre enfants qui manifestaient alors les plus lisibles "difficultés d’apprentissage".

- K., qui a appris à se concentrer dans ses recherches, commence à repérer les mots dont elle a besoin ; ses tracés graphiques sont encore approximatifs ; elle a adopté un comportement très volontariste : elle "lit" tous les matins un livre au groupe, et elle sait choisir des albums suffisamment répétitifs pour y parvenir.

- A. a accompli des progrès appréciables, remarqués notamment en fin de trimestre : elle réussit à s’impliquer dans les activités, elle est plus à l’aise tant dans la recherche des mots que dans la production graphique.

- Ad., dont les difficultés tenaient aussi à des problèmes de prononciation et à un déficit langagier (syntaxe et vocabulaire), progresse de façon notable sur ces plans-là : il lit maintenant des livres devant les autres de façon à peu près compréhensible et comprend mieux les énoncés complexes des albums présentés ; cependant, ses difficultés de concentration persistent en situation de lecture-écriture, il a toujours du mal à se repérer sur sa feuille et ne progresse pas dans la maîtrise des tracés (en capitales).

- M., qui au début de l’année présentait un profil comparable à celui d’Ad., a lui gagné en autonomie : une fois la situation bien cadrée, il réussit à prendre des initiatives d’écriture ; il a également réalisé des progrès dans les tracés, mais n’est pas pour autant prêt à passer à l’écriture cursive.

 

Les apprentissages de deux autres enfants sont pour l’instant "retardés", bien qu’ils progressent de façon régulière à l’écrit :

- pour Ni., son immaturité - elle est, nous l’avons dit, du mois de novembre - fait qu’elle demeure en retrait, participant très peu à la communication, même en petit groupe ; elle sait néanmoins se montrer très concentrée en situation de lecture-écriture ;

- pour Ah., arrivé en France en septembre 2006, son peu de maîtrise de la langue française est encore un lourd handicap lors de la lecture magistrale d’albums (et plus encore de contes) : il n’accroche pour l’instant qu’aux constructions fortement répétitives ; il va sans dire qu’il n’est pas encore capable de participer aux échanges oraux.

Je publierai le compte-rendu du troisième trimestre à la rentrée de septembre, ce qui sera l’occasion, toutes énergies retrouvées, de relancer la réflexion sur les enjeux d’apprentissage de l’école maternelle dans le sens de la réussite de tous... en pensant à tous ces enfants de CP auxquels on imposera, dès la même période, une longue expérience de l’insignifiance, l’enseignement préalable et systématique de la combinatoire.

 

Bernard DEVANNE,

Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie