I) A propos du  manifeste des instituteurs syndicalistes de 1905


Depuis que Luc Cédelle en a parlé dans une note «  Phrase du jour / 11 : Enseigner « au nom de la vérité »  en commettant quelques erreurs, je voulais revenir sur le sujet mais je n’en avais pas eu le temps.
Pour faciliter la compréhension de la suite, je reproduis ici le manifeste en l’accompagnant ce coup-ci  du nom des signataires.

         
Le Manifeste des instituteurs syndicalistes – 26 Novembre 1905

    Considérant qu'il est établi qu'aucun texte de loi ne dénie formellement aux instituteurs le droit de former des syndicats ;
Que d'autre part, il n'est pas exact d'affirmer qu'il y ait une jurisprudence contre les Syndicats d'instituteurs ;
    Attendu qu'il s'est constitué, aussitôt après la promulgation de la loi de 1884, un Syndicat des Membres de l'Enseignement, et, plus récemment, plusieurs syndicats d'instituteurs, sans que l'autorité judiciaire s'en soit émue, et que les poursuites contre les associations syndicales d'instituteurs n'ont commencé que sur l'injonction du pouvoir exécutif ;
    Considérant cependant que si ni la loi ni la jurisprudence n'interdisent aux associations d'instituteurs la forme syndicale, elles ne la leur reconnaissent pas formellement non plus ;
Et qu'il appartient dès lors au pouvoir législatif d'en décider ;
    Considérant qu'un projet de loi ayant cet objet est en instance devant le Parlement et doit venir prochainement en discussion ;
Les instituteurs syndicalistes croient devoir, dans le but d'éclairer l'opinion publique et le pouvoir législatif sur ce qu'ils se proposent en recherchant la forme syndicale, faire la déclaration suivante :
– Si l'on admet qu'il soit dans la nature des choses et de l'intérêt supérieur de l'Etat que la capacité syndicale soit refusée aux agents qui détiennent une portion de la puissance publique, on ne saurait s'en prévaloir pour dénier aux instituteurs le droit de se constituer en syndicats, Notre enseignement n'est pas un enseignement d'autorité, Ce n'est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du Peuple français que l'instituteur confère son enseignement : c'est au nom de la vérité. Les rapports mathématiques, les règles de grammaire, non plus que les faits d'ordre scientifique, historique, moral, qui le constituent, ne sauraient dès lors être soumis aux fluctuations d'une majorité.
– Il découle de ces principes que le corps des instituteurs a besoin de toute son autonomie, et les instituteurs eux-mêmes de la plus large indépendance. Or, cette autonomie du corps enseignant primaire et cette indépendance de ses membres ne peuvent être pleinement réalisées que par la constitution en Syndicats des Associations professionnelles d'instituteurs.
– Les instituteurs syndicalistes croient, d'autre part, être dans le sens de l'évolution républicaine en réclamant pour leurs groupements corporatifs la forme syndicale, comme étant la seule qui convienne à l'organisation démocratique de l'enseignement primaire, qu'ils sont résolus à poursuivre.
– Les instituteurs sont, en effet, décidés à substituer à l'autorité administrative, qui avoue son impuissance devant les ingérences politiques et aux influences politiques auxquelles ils ont été jusqu'ici obligés d'avoir recours pour corriger les injustices administratives, la force syndicale.
– Les instituteurs réclament la capacité syndicale pleine et entière. Toutefois, il est profondément injuste d'affirmer que leur préoccupation soit de conquérir le droit de grève. C'est, ils y insistent, dans une pensée d'organisation républicaine qu'ils demandent au Pouvoir législatif de leur reconnaître la capacité syndicale.
– C'est, enfin, pour des raisons morales de l'ordre le plus élevé, que les instituteurs réclament le droit de se constituer en Syndicats. Ils veulent entrer dans les Bourses du Travail, Ils veulent appartenir à la Confédération Générale du Travail.
– Par leurs origines, par la simplicité de leur vie, les instituteurs appartiennent au peuple. Ils lui appartiennent aussi parce que c'est aux fils du peuple qu'ils sont chargés d'enseigner.
– Nous instruisons les enfants du peuple, le jour. Quoi de plus naturel que nous songions à nous retrouver avec les hommes du peuple, le soir ? C'est au milieu des Syndicats ouvriers que nous prendrons connaissance des besoins intellectuels et moraux du peuple. C'est à leur contact et avec leur collaboration que nous établirons nos programmes et nos méthodes,
– Nous voulons entrer dans les Bourses du Travail pour y prendre de belles leçons de vertus corporatives, et y donner l'exemple de notre conscience professionnelle.
– Nous avons, de la forme syndicale, la plus haute conception. Le Syndicat ne nous apparaît point créé uniquement pour défendre les intérêts immédiats de ses membres, mais il nous semble qu'il doit se soucier autant de rendre plus profitable à la collectivité la fonction sociale que ses membres remplissent.
– Les Syndicats doivent se préparer à constituer les cadres des futures organisations autonomes auxquelles l'État remettra le soin d'assurer sous son contrôle et sous leur contrôle réciproque, les services progressivement socialisés.
– Telle est la conception syndicale que nous voulons porter dans les Bourses du Travail. Et telles sont les raisons, d'ordre théorique et d'ordre pratique, pour lesquelles nous demandons au Pouvoir législatif de reconnaître aux associations professionnelles d'instituteurs la capacité syndicale.
– Et en attendant, nous engageons tous les instituteurs syndicalistes à adhérer aux Syndicats déjà existants.  

Ont signé à titre personnel :


"L. Roussel, président des Normaliens de la Seine ; Courrèges, Cottet, Dufrenne, " Gibouleau, Glay, Goyard, conseillers départementaux de la Seine ; Bazenant, président du " congrès de Bordeaux : Guihard, c. d. , président du congrès de Lille ; Mme Boniface, c. d. " Seine-et-Oise ; Mme Deghilage, c. d. Nord ; Mme Mauger, Cher ; Murgier, membre du Con" seil Supérieur de l'Instruction Publique, président de l'Entente des Conseillers départemen" taux, directeur d'école à Versailles ; Bain, secrétaire du S. du Var ; Becquerelle, Somme ; " Nègre, secrétaire du S. de la Seine ; Boscher, Côtes-du-Nord ; Pastre, ancien secrétaire " du S. Pyrénées-Orientales ; Borit, secrétaire du S. Deux-Sèvres ; Maury, c. d. Deux-Sè" ores ; Feutren, S. des Côtes-du-Nord ; Lyons, c. d. Var ; Gambier, c. d, Seine-et-Marne ; " Ferrier, président de l'A, des Bouches-du-Rhône Dolo, c.d. Vendée ; Carayon, président " de l'A.du Gard, membre de la Commission permanente ; Vogt, Seine-et-Oise ; Cuminal, pré" sident de l'Union pédagogique du Rhône ; Pothée, c.d. Loir-et-Cher ; Faure, c.d. Dordogne ; " Grenier, Seine-et-Oise ; Boidot, c.d. Nièvre ; Mutin, Haute-Marne ; Cazet, c. d. Côte-d'Or ; " Gaude, Isère ; Gervaise, Aveyron ; Rousseau, c. d. Yonne ; Potiron, c. d. Loire-Inférieure ; " Roux-Costadau, c. d. Drôme ; Vincenot, Alpes-Maritimes ; Fareyre, Lot-et-Garonne ; Jar" rige, c. d. Côte-d'Or ; Alexandre Blanc, c. d. Vaucluse ; Dartus, c. d. Nord ; Jacquet, c. d. " Isère, trésorier de l'Entente des c.d. ; Chezlemas, c. d. Marne ; Guérin, vice-président " du congrès de Lille ; Roméis, c. d. Doubs et Mme Roméis ; Camboups, c, d. Gers ; Decain" dry, c. d. Calvados ; Imbourght, Deux-Sèvres ; Caille, c. d. Eure-et-Loir ; Laplacette, c, d. " Basses-.Pyrénées ; Vincent, Ardèche ; Milon, c. d. Loiret ; Catois, c. d. Mayenne ; Tro" chet c. d. Sarthe ; Rebeyrol, c. d. Gironde ; Jeantet, président de l'A, Ain ; Nazon, prési" dent de l'A, Hérault ; Cazaux, secrétaire de l'A, Hautes-Pyrénées ; Renaudie, Avril, Ro" nard, Loiret ; Terrier, secrétaire de l'A. Haute-Vienne ; Allègre, Vaucluse ; Goll, Doubs ; " Vialle, trésorier du congrès de Lille ; Vesselin, c. d. Cher ; Silvestre, Vaucluse ; Viens, " Vaucluse ; Léotard; président de l'A, Basses-Alpes ; Fonsagrives, secrétaire de l'A, Hé" rault ; Miard, c. d. Orne ; Locq, président de l'A. Oise ; Mme Lallement, Lallement, Mlle " Risn, Lebas, Paris, Doyen, Rebau, Lelarge, Neveu, Liégeois, de l'A, des Ardennes ; Bac" que, Gers ; Doublet, c. d. Calvados ; Gremont, c. d. Seine-Inférieure ; Lebaillez, c. d. Nord: " Laudet et Mme Laudet, Nièvre ; Magnin, c. d. Manche ; Chaudry, secrétaire de l'A, Cha" rente-Inférieure ; Antonin Franchet et Joly, du S. de la Seine ; Montillet, c. d. Ain ; Collet, " Sarthe ; Lemoine, c. d. Meuse ; Bouët et Mme Bouët, Maine-et-Loire ; Montreuille, c. d. " Pas-de-Calais ; Bourion, Meurthe-et-Moselle ; Simon, c. d. Indre-et-Loire ; Clément, Doubs; " Lemayre, c. d. Mayenne ; Foucher, Eure ; Vidal, c. d. Pyrénées-Orientales ; Galy, c. c1. " Ariège ; Falgas, Aude ; Prudhomme, ancien président de l'A. Loir-et-Cher ; Dayre, Ar" dèche ; Lafon, secrétaire général du congrès de Bordeaux ; Arnaud, c. d. Hérault ; Deghilaged " Nord ; Andrevon, c. d. Isère ; Brouzet, Aude ; Bordier, Maine-et-Loire ; Allamercery, Lei" re ; Vadez, c. d. rapporteur général du congrès de Lille ; Davesne, c. d. Marne ; Mmes Ber" nard et Fouriaux, c. d, Marne ; Labadie, c, cl, Oran ; Reille, c, d. Var ; Levasseur, Eure ; " Barrier et Turr, c. d. Aude ; Deleuze, c. d. Lozère ; Mile Pelcot, c. d. Yonne ; Bonnefemme " et Montauzie, c. d. Landes ; Gauchey, c. d. Oran".
         

Aujourd’hui – au 15 décembre 2010 - il n’existe, à part le mien, que trois sites sur Internet qui ont publié ce manifeste  intégralement, mais bien après que je l’ai moi-même fait. Il s’agit des sites suivants :
- le site de PRSI : Pour la Reconquête d’un Syndicalisme Indépendant  
le site du cercle des « Jeunes Laïques pour la défense de l’École laïque »  
- le site du forum des amis de Lutte ouvrière   

D’autres sites en reproduisent des parties mais il est un peu faux de dire comme le dit Luc Cédelle dans la note citée plus haut :
« Ce court extrait est issu d’un texte que l’on trouve sur des sites aussi divers que ceux de l’INRP, des organisations laïques, de plusieurs syndicats d’enseignants et tendances syndicales, de Michel Delord ou de Philippe Meirieu. »

Or par exemple il n’est
- ni sur le site de Philippe Meirieu, puisqu’on n’y trouve, cité en exergue d’un texte de Sylvain Grandserre, que l’extrait  hyper connu
"Ce n'est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du Peuple français que l'instituteur confère son enseignement : c'est au nom de la vérité"  
- ni sur le site de l’INRP où l’on ne trouve que le Dictionnaire pédagogique – Édition 1911 - qui le mentionne simplement dans l’article Syndicats d’instituteurs sous la forme suivante, forme qui est intéressante puisqu’elle le présente écrit notamment par Roussel et Glay et sans critique ce qui est bien une signature politique disons radicale et « non syndicale » :
« La Fédération des Amicales, sous l'inspiration d'un ancien instituteur, député de Marseille, M. Carnaud, resta en dehors du mouvement ; mais, en décembre 1905, sur l'initiative de MM. Dufrenne, Glay, conseillers départementaux de la Seine, et Roussel, président de l'Association des anciens élèves de l'Ecole normale d'Auteuil, un Manifeste des instituteurs syndicalistes, précisant la revendication syndicale, fut approuvé par 133 présidents d'Amicales, conseillers départementaux, anciens présidents ou rapporteurs des congrès, et par les secrétaires des syndicats déjà fondés. »  

Luc Cédelle rajoute, et c’est une erreur qui montre simplement qu’il n’est pas le seul à mal connaître cette époque puisque Claude Lelièvre qui commente la note ne réagit pas, que ce texte a été écrit par Marius Nègre alors qu’il a donc été écrit notamment par Glay et Roussel. Et ceci n’est pas une erreur de détail car la  différence politique entre un Nègre etun  Glay est nettement supérieure à celle existant entre DSK et Besancenot.   

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Suite : II) A propos du manifeste de 1905 : F. Bernard, L. Bouët, M. Dommanget, G. Serret – 1938