Petites bribes d’histoire du syndicalisme enseignant :
Autour de la Fédération de l’enseignement et de l’École Émancipée.

Michel Delord
Textes choisis dont certains commentés
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En guise d’introduction : Charles-Ange Laisant : Miettes pédagogiques, 1914
Petite introduction (Déc. 2010)
I) A propos du « Manifeste des instituteurs syndicalistes » (Déc. 2010)
II) A propos du manifeste de 1905 : F. Bernard, L. Bouët, M. Dommanget, G. Serret – 1938
III) L’enseignement de l’histoire 1914,  Camille Lhuissier  (Avril 2011)
III bis) Le GRIP et le manifeste de 1905 (Avril 2011)

A venir
L'Ecole Syndicale - 1911 – G. Yvetot
Le Patois à l'Ecole - 1911 – E. Albert
L'Enseignement et le Cinématographe – 1914 - A. Chalopin
Les Droits de la Femme - 1911 – M. Guillot
Simplifications orthographiques – 1911 - J. Barès
Lettre de James Guillaume – 1914
Lettre de Pierre Kropotkine - 1913
Lettre de Célestin Freinet – 1924
Veillons autour de l'Ecole Laïque - 1910 – Jehan Prolo
La Fédération nationale des syndicats d’instituteurs – 1909
A propos de la revue "L’Ecole rénovée" – 1908 –  J.-F. Elslander, F. Ferrer
Statuts de l'Ecole Emancipée – 1912
Manifeste des Instituteurs syndiqués - 1912
Les Instituteurs dans les Bourses du Travail – 1911 - M.-T. Laurin
Les instituteurs et la classe ouvrière – 1911- A. Salabelle
Le Syndicalisme Ouvrier - 1910 – E. Mancipé, A. Salabelle
Sur l'Affaire Dreyfus - 1911 – M.-T. Laurin

Et à venir, bien sûr, les huit cent pages des trois tomes de « Le syndicalisme dans l’enseignement : Histoire de la fédération de l’enseignement des origines à l’unification de 1935 », 1938, Éditions de l’École Émancipée.
Cabanac, décembre 2010
Michel Delord



En guise d’introduction :
Charles-Ange Laisant : Miettes pédagogiques

L'un de mes amis causant un jour pédagogie avec un directeur d'école d'une très grande ville, put entendre cette déclaration : « Je ne tiens pas à ce que mes élèves comprennent : je veux qu'ils sachent. »
Moi-même, de la bouche d'un haut fonctionnaire de l'enseignement, il me fut donné d'entendre ceci : « Il n'y a qu'une manière d'acquérir la pratique de la table de multiplication ; c'est de l'apprendre comme un perroquet. »
Ce directeur d'école et ce haut fonctionnaire n'étaient pas des imbéciles. C'étaient des sauvages, serviteurs fidèles d'une organisation sauvage, elle aussi, et criminelle. On étouffe chez l'enfant toute faculté cérébrale, parce qu'on ne veut pas que les hommes puissent penser, parce que l'inconscience des esclaves est la seule garantie du maintien de l'esclavage.
Notre premier enseignement de l'enfance est un enseignement de servitude et d'abrutissement.
Quelques esprits généreux, mais aveuglés par les préjugés d'une éducation mauvaise, ne se rendent pas compte de ces incontestables vérités, et se font parfois artisans de routine et de réaction, tout en croyant servir le progrès. Méfions-nous de leurs funestes conseils ; et qu'ils se méfient d'eux-mêmes, s'ils le peuvent.
En particulier, pour revenir à l'éducation de l'enfance : NE FAISONS JAMAIS RIEN APPRENDRE PAR CŒUR ! Il y a certaines choses, certainement, qu'il faut savoir « par cœur » pour employer le langage courant, c'est-à-dire sans hésitation. Mais la seule manière raisonnable d'arriver à ce résultat est de répudier absolument la récitation abrutissante, et de réitérer sans jamais se lasser l'expérience, faite par l'enfant lui-même, et qui lui fera retrouver le résultat oublié.
Autre précepte, non moins essentiel : N'IMPOSONS JAMAIS AU CERVEAU DE L'ENFANT AUCUNE FATIGUE. A cet âge, l'effort doit être libre, et il reste léger. La puissance cérébrale, dans la première partie de la vie, est formidable, nous pourrions dire effrayante. Quand on songe à tout ce qu'a pu acquérir un être humain, depuis sa naissance jusqu'au jour où il est envoyé pour la première fois à l'école primaire, l'esprit reste confondu, et l'on se dit qu'en comparaison, ce qu'il apprendra ensuite comptera pour bien peu de chose. Mais il faut se dire aussi que dans cette période, on n'agit que sous l'incitation de la curiosité instinctive et naturelle. Autrement dit : on ne s'instruit qu'en s'amusant.
C'est un pitoyable paradoxe que de dire que l'enfant devant plus tard éprouver des fatigues, il faut, pour l'y habituer, lui imposer de la fatigue dès le début. Autant vaudrait affirmer qu'il faut artificiellement rendre un enfant malade, pour l'habituer aux maladies qui ne manqueront pas de l'atteindre.
Les éducateurs qui de bonne foi tiennent un tel langage sans s'apercevoir qu'ils font le jeu de nos pires ennemis, des mangeurs d'hommes, obéissent aux préjugés dont on a empoisonné leur enfance. Ils oublient du même coup les conditions fondamentales de l'évolution de tout être organisé. A chaque période correspondent certaines fonctions, et les aptitudes correspondantes. En voulant imposer à l'enfant des efforts que l'adulte seul peut supporter, on détruit de l'énergie, on prépare des adultes faibles, et on impose des souffrances inutiles, pour donner satisfaction à des théories paradoxales, ou à des doctrines comparables au catéchisme. Je le répète : pour être un bon éducateur de l'enfance, il faut aimer l'enfance. Mais il faut l'aimer intelligemment.
 E.E., n° 21 - 14 Février 1914.
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Petite introduction

Durant quarante ans d’expérience de lutte contre la dégénérescence de l’école, j’ai pu constater que toute la « défense de l’école laïque », la défense de l’école de la république, de la fonction publique, du statut, de l’Etat-providence, c'est-à-dire de tout ce qui fait la charpente de la problématique du PC et du gaullisme de l’état-providence, était justement porté depuis l’après guerre par l’acteur principal et la colonne vertébrale de cette évolution néfaste du système scolaire, c'est-à-dire l’alliance républicaine du gaullisme et du PCF. C’est une position « un peu incomprise » notamment en milieu antipédagogiste républicain qui présente au contraire, à des degrés divers,  le gaullisme, le PC ou le « chevènementisme » comme des « forces résistantes »[Note01], ce qui est une vaste blague comme le montre une étude un peu attentive de leurs positions[ Cf Michel Delord, Charles de Gaulle et le gaullisme, Jean-Pierre Chevènement  et le chevènementisme, les républicains acteurs fondamentaux de la dégradation de l'enseignement, mars 2011.]

Ceci est vrai sur le plan politique et un exemple en est la suppression de la réforme de l’égalité scientifique par Pétain, suppression qui signe la fin de tout enseignement secondaire humaniste, suppression qui a été reconduite sans solution de continuité après guerre par l’alliance PC/Gaullisme. Or ceci ne peut être un accident. Et si ce n’est pas un accident, cela signe, à un certain degré, une parenté théorique entre la position de la gauche post Front populaire, celle du gaullisme  et celle du pétainisme, parenté théorique que l’on a tout intérêt à décortiquer pour ne pas la reproduire. 

Sur le plan théorique, il faut donc revenir à avant 1936 et avant le Front populaire pour avoir quelques positions sociales saines sur l’école, les positions gaullisto-communistes jouant essentiellement un rôle d’écran théorique empêchant même de se poser la question de la possibilité d’une autre problématique que celle dominante encore actuellement. C’est exactement de la même manière que les théorisations pédagogiques du dernier demi-siècle ont essentiellement pour fonction d’empêcher même de comprendre que Ferdinand Buisson puisse avoir un quelconque intérêt.

C’est en ce sens, et en pensant à l’importance de la compréhension historique pour saisir les tendances fondamentales du présent, que j’avais publié dès 1999 des textes de référence  du mouvement ouvrier entretenant des liens plus ou moins directs avec la question scolaire. Ils montraient tous une rupture complète entre ce qui constitue aujourd’hui une position de gauche – y compris au PCF, à la LCR, etc .–  et toutes les positions non à l’extrême droite du mouvement ouvrier d’avant 1936’ qu’elles soient socialistes, anarcho-syndicalistes ou communistes.

J’ai ensuite publié en septembre 2004 [Note02] le fameux « Manifeste des instituteurs syndicalistes » de 1905  sur lequel, au vu des informations soit parcellaires soit fausses qui circulent à son sujet, il est utile de revenir en premier lieu. 



[Note01]D’ailleurs lorsqu’on fait ce type remarques, les militants ex-gaullistes ou ex-PCF – ou chevènementistes - le prennent très mal puisque, dans leur milieu, ils ont l’habitude de faire de leur passé militant une référence alors qu’à mon sens cela prouve deux choses dont ils n’ont pas à être particulièrement fiers : d’une part ils se sont fait manipuler – ce qui est d’autant plus ridicule qu’ils se présentent comme des hérauts de la critique sociale -  et d’autre part ils ont eu effectivement un rôle social centralement négatif.
 
 [Note02] Publication sans commentaires, ce qui était peut-être un tort quoi que j’en ai  donné en 2008 un commentaire dans la motion “Adhésion au GRIP “ (Voir partie III)
 


I) A propos du  manifeste des instituteurs syndicalistes de 1905

Depuis que Luc Cédelle en a parlé dans une note «  Phrase du jour / 11 : Enseigner « au nom de la vérité » en commettant quelques erreurs, je voulais revenir sur le sujet mais je n’en avais pas eu le temps.

Pour faciliter la compréhension de la suite, je reproduis ici le manifeste en l’accompagnant ce coup-ci  du nom des signataires.

Le Manifeste des instituteurs syndicalistes – 26 Novembre 1905

    Considérant qu'il est établi qu'aucun texte de loi ne dénie formellement aux instituteurs le droit de former des syndicats ;
Que d'autre part, il n'est pas exact d'affirmer qu'il y ait une jurisprudence contre les Syndicats d'instituteurs ;
    Attendu qu'il s'est constitué, aussitôt après la promulgation de la loi de 1884, un Syndicat des Membres de l'Enseignement, et, plus récemment, plusieurs syndicats d'instituteurs, sans que l'autorité judiciaire s'en soit émue, et que les poursuites contre les associations syndicales d'instituteurs n'ont commencé que sur l'injonction du pouvoir exécutif ;
    Considérant cependant que si ni la loi ni la jurisprudence n'interdisent aux associations d'instituteurs la forme syndicale, elles ne la leur reconnaissent pas formellement non plus ;
Et qu'il appartient dès lors au pouvoir législatif d'en décider ;
    Considérant qu'un projet de loi ayant cet objet est en instance devant le Parlement et doit venir prochainement en discussion ;

Les instituteurs syndicalistes croient devoir, dans le but d'éclairer l'opinion publique et le pouvoir législatif sur ce qu'ils se proposent en recherchant la forme syndicale, faire la déclaration suivante :

– Si l'on admet qu'il soit dans la nature des choses et de l'intérêt supérieur de l'Etat que la capacité syndicale soit refusée aux agents qui détiennent une portion de la puissance publique, on ne saurait s'en prévaloir pour dénier aux instituteurs le droit de se constituer en syndicats, Notre enseignement n'est pas un enseignement d'autorité, Ce n'est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du Peuple français que l'instituteur confère son enseignement : c'est au nom de la vérité. Les rapports mathématiques, les règles de grammaire, non plus que les faits d'ordre scientifique, historique, moral, qui le constituent, ne sauraient dès lors être soumis aux fluctuations d'une majorité.
– Il découle de ces principes que le corps des instituteurs a besoin de toute son autonomie, et les instituteurs eux-mêmes de la plus large indépendance. Or, cette autonomie du corps enseignant primaire et cette indépendance de ses membres ne peuvent être pleinement réalisées que par la constitution en Syndicats des Associations professionnelles d'instituteurs.
– Les instituteurs syndicalistes croient, d'autre part, être dans le sens de l'évolution républicaine en réclamant pour leurs groupements corporatifs la forme syndicale, comme étant la seule qui convienne à l'organisation démocratique de l'enseignement primaire, qu'ils sont résolus à poursuivre.
– Les instituteurs sont, en effet, décidés à substituer à l'autorité administrative, qui avoue son impuissance devant les ingérences politiques et aux influences politiques auxquelles ils ont été jusqu'ici obligés d'avoir recours pour corriger les injustices administratives, la force syndicale.
– Les instituteurs réclament la capacité syndicale pleine et entière. Toutefois, il est profondément injuste d'affirmer que leur préoccupation soit de conquérir le droit de grève. C'est, ils y insistent, dans une pensée d'organisation républicaine qu'ils demandent au Pouvoir législatif de leur reconnaître la capacité syndicale.
– C'est, enfin, pour des raisons morales de l'ordre le plus élevé, que les instituteurs réclament le droit de se constituer en Syndicats. Ils veulent entrer dans les Bourses du Travail, Ils veulent appartenir à la Confédération Générale du Travail.
– Par leurs origines, par la simplicité de leur vie, les instituteurs appartiennent au peuple. Ils lui appartiennent aussi parce que c'est aux fils du peuple qu'ils sont chargés d'enseigner.
– Nous instruisons les enfants du peuple, le jour. Quoi de plus naturel que nous songions à nous retrouver avec les hommes du peuple, le soir ? C'est au milieu des Syndicats ouvriers que nous prendrons connaissance des besoins intellectuels et moraux du peuple. C'est à leur contact et avec leur collaboration que nous établirons nos programmes et nos méthodes,
– Nous voulons entrer dans les Bourses du Travail pour y prendre de belles leçons de vertus corporatives, et y donner l'exemple de notre conscience professionnelle.
– Nous avons, de la forme syndicale, la plus haute conception. Le Syndicat ne nous apparaît point créé uniquement pour défendre les intérêts immédiats de ses membres, mais il nous semble qu'il doit se soucier autant de rendre plus profitable à la collectivité la fonction sociale que ses membres remplissent.
– Les Syndicats doivent se préparer à constituer les cadres des futures organisations autonomes auxquelles l'État remettra le soin d'assurer sous son contrôle et sous leur contrôle réciproque, les services progressivement socialisés.
– Telle est la conception syndicale que nous voulons porter dans les Bourses du Travail. Et telles sont les raisons, d'ordre théorique et d'ordre pratique, pour lesquelles nous demandons au Pouvoir législatif de reconnaître aux associations professionnelles d'instituteurs la capacité syndicale.
– Et en attendant, nous engageons tous les instituteurs syndicalistes à adhérer aux Syndicats déjà existants. 

Ont signé à titre personnel :

"L. Roussel, président des Normaliens de la Seine ; Courrèges, Cottet, Dufrenne, " Gibouleau, Glay, Goyard, conseillers départementaux de la Seine ; Bazenant, président du " congrès de Bordeaux : Guihard, c. d. , président du congrès de Lille ; Mme Boniface, c. d. " Seine-et-Oise ; Mme Deghilage, c. d. Nord ; Mme Mauger, Cher ; Murgier, membre du Con" seil Supérieur de l'Instruction Publique, président de l'Entente des Conseillers départemen" taux, directeur d'école à Versailles ; Bain, secrétaire du S. du Var ; Becquerelle, Somme ; " Nègre, secrétaire du S. de la Seine ; Boscher, Côtes-du-Nord ; Pastre, ancien secrétaire " du S. Pyrénées-Orientales ; Borit, secrétaire du S. Deux-Sèvres ; Maury, c. d. Deux-Sè" ores ; Feutren, S. des Côtes-du-Nord ; Lyons, c. d. Var ; Gambier, c. d, Seine-et-Marne ; " Ferrier, président de l'A, des Bouches-du-Rhône Dolo, c.d. Vendée ; Carayon, président " de l'A.du Gard, membre de la Commission permanente ; Vogt, Seine-et-Oise ; Cuminal, pré" sident de l'Union pédagogique du Rhône ; Pothée, c.d. Loir-et-Cher ; Faure, c.d. Dordogne ; " Grenier, Seine-et-Oise ; Boidot, c.d. Nièvre ; Mutin, Haute-Marne ; Cazet, c. d. Côte-d'Or ; " Gaude, Isère ; Gervaise, Aveyron ; Rousseau, c. d. Yonne ; Potiron, c. d. Loire-Inférieure ; " Roux-Costadau, c. d. Drôme ; Vincenot, Alpes-Maritimes ; Fareyre, Lot-et-Garonne ; Jar" rige, c. d. Côte-d'Or ; Alexandre Blanc, c. d. Vaucluse ; Dartus, c. d. Nord ; Jacquet, c. d. " Isère, trésorier de l'Entente des c.d. ; Chezlemas, c. d. Marne ; Guérin, vice-président " du congrès de Lille ; Roméis, c. d. Doubs et Mme Roméis ; Camboups, c, d. Gers ; Decain" dry, c. d. Calvados ; Imbourght, Deux-Sèvres ; Caille, c. d. Eure-et-Loir ; Laplacette, c, d. " Basses-.Pyrénées ; Vincent, Ardèche ; Milon, c. d. Loiret ; Catois, c. d. Mayenne ; Tro" chet c. d. Sarthe ; Rebeyrol, c. d. Gironde ; Jeantet, président de l'A, Ain ; Nazon, prési" dent de l'A, Hérault ; Cazaux, secrétaire de l'A, Hautes-Pyrénées ; Renaudie, Avril, Ro" nard, Loiret ; Terrier, secrétaire de l'A. Haute-Vienne ; Allègre, Vaucluse ; Goll, Doubs ; " Vialle, trésorier du congrès de Lille ; Vesselin, c. d. Cher ; Silvestre, Vaucluse ; Viens, " Vaucluse ; Léotard; président de l'A, Basses-Alpes ; Fonsagrives, secrétaire de l'A, Hé" rault ; Miard, c. d. Orne ; Locq, président de l'A. Oise ; Mme Lallement, Lallement, Mlle " Risn, Lebas, Paris, Doyen, Rebau, Lelarge, Neveu, Liégeois, de l'A, des Ardennes ; Bac" que, Gers ; Doublet, c. d. Calvados ; Gremont, c. d. Seine-Inférieure ; Lebaillez, c. d. Nord: " Laudet et Mme Laudet, Nièvre ; Magnin, c. d. Manche ; Chaudry, secrétaire de l'A, Cha" rente-Inférieure ; Antonin Franchet et Joly, du S. de la Seine ; Montillet, c. d. Ain ; Collet, " Sarthe ; Lemoine, c. d. Meuse ; Bouët et Mme Bouët, Maine-et-Loire ; Montreuille, c. d. " Pas-de-Calais ; Bourion, Meurthe-et-Moselle ; Simon, c. d. Indre-et-Loire ; Clément, Doubs; " Lemayre, c. d. Mayenne ; Foucher, Eure ; Vidal, c. d. Pyrénées-Orientales ; Galy, c. c1. " Ariège ; Falgas, Aude ; Prudhomme, ancien président de l'A. Loir-et-Cher ; Dayre, Ar" dèche ; Lafon, secrétaire général du congrès de Bordeaux ; Arnaud, c. d. Hérault ; Deghilaged " Nord ; Andrevon, c. d. Isère ; Brouzet, Aude ; Bordier, Maine-et-Loire ; Allamercery, Lei" re ; Vadez, c. d. rapporteur général du congrès de Lille ; Davesne, c. d. Marne ; Mmes Ber" nard et Fouriaux, c. d, Marne ; Labadie, c, cl, Oran ; Reille, c, d. Var ; Levasseur, Eure ; " Barrier et Turr, c. d. Aude ; Deleuze, c. d. Lozère ; Mile Pelcot, c. d. Yonne ; Bonnefemme " et Montauzie, c. d. Landes ; Gauchey, c. d. Oran".


Source : François Bernard, Louis Bouët, Maurice Dommanget, Gilbert Serret, Le syndicalisme dans l’enseignement : Histoire de la fédération de l’enseignement des origines à l’unification de 1935, 3 tomes, Editions de l’Ecole émancipée, 1938. Tome I: Des origines à la première guerre mondiale, Chapitre IV : Premiers pas, Premières conquêtes, Sous-chapitre 2 : Le manifeste des instituteurs syndicalistes (26 novembre 1905), pages 70-71.

 
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Aujourd’hui – au 15 décembre 2010 - il n’existe, à part le mien, que trois sites sur Internet qui ont publié ce manifeste  intégralement, mais bien après que je l’ai moi-même mis en ligne. Il s’agit des sites suivants :
- le site de PRSI : Pour la Reconquête d’un Syndicalisme Indépendant
– le site du cercle des « Jeunes Laïques pour la défense de l’École laïque »
- le site du forum des Amis de Lutte ouvrière 

D’autres sites en reproduisent des parties mais il est un peu faux de dire comme le dit Luc Cédelle dans la note citée plus haut :
« Ce court extrait est issu d’un texte que l’on trouve sur des sites aussi divers que ceux de l’INRP, des organisations laïques, de plusieurs syndicats d’enseignants et tendances syndicales, de Michel Delord ou de Philippe Meirieu. »
Or par exemple il n’est
- ni sur le site de Philippe Meirieu, puisqu’on n’y trouve, cité en exergue d’un texte de Sylvain Grandserre, que l’extrait  hyper connu "Ce n'est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du Peuple français que l'instituteur confère son enseignement : c'est au nom de la vérité"
- ni sur le site de l’INRP où l’on ne trouve que la mention qui en est faite dans le Dictionnaire pédagogique – Édition 1911 - dans l’article Syndicats d’instituteurs sous la forme suivante, forme qui est certes intéressante puisqu’elle le présente à juste titre comme écrit notamment par Roussel et Glay et non par des syndicalistes mais sans aucune critique du manifeste ce qui est bien une signature politique radicale ou républicaine opportuniste mais explicitement « non syndicale » :

« La Fédération des Amicales, sous l'inspiration d'un ancien instituteur, député de Marseille, M. Carnaud, resta en dehors du mouvement ; mais, en décembre 1905, sur l'initiative de MM. Dufrenne, Glay, conseillers départementaux de la Seine, et Roussel, président de l'Association des anciens élèves de l'Ecole normale d'Auteuil, un Manifeste des instituteurs syndicalistes, précisant la revendication syndicale, fut approuvé par 133 présidents d'Amicales, conseillers départementaux, anciens présidents ou rapporteurs des congrès, et par les secrétaires des syndicats déjà fondés. »

Luc Cédelle rajoute, et c’est une erreur qui montre simplement qu’il n’est pas le seul à mal connaître cette époque puisque Claude Lelièvre qui commente la note ne réagit pas, que ce texte a été écrit par Marius Nègre alors qu’il a donc été écrit notamment par Glay et Roussel. Et ceci n’est pas une erreur de détail car la différence politique entre Nègre et Glay est nettement supérieure à celle existant entre DSK et Besancenot.  

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II)A propos du manifeste de 1905 :
F. Bernard, L. Bouët, M. Dommanget, G. Serret – 1938

Nous allons commencer par un commentaire autorisé sur le manifeste de 1905 puisqu’il provient de la somme écrite par François Bernard, Louis Bouët, Maurice Dommanget, Gilbert Serret, je veux dire Le syndicalisme dans l’enseignement : Histoire de la fédération de l’enseignement des origines à l’unification de 1935, 3 tomes, Éditions de l’École émancipée, 1938, (noté ensuite HFE).
Publication – comme le DP de F. Buisson - non disponible depuis extrêmement longtemps et que je vais mettre en ligne. Donc voici le document, le commentaire suit.

Il convient de dire quelques mots d'un document qui parut au cours de cette première lutte entre le Gouvernement et la Fédération et qui, reproduit et commenté par la presse, fit grand bruit, aussi bien chez les ennemis que chez les partisans de l'école laïque le Manifeste des Instituteurs syndicalistes.

" C'est, dit J.-B. Séverac dans l'Encyclopédie Socialiste, un document de la plus haute importance, car il exprime avec une netteté parfaite l'orientation des pensées et des sentiments de la fraction la plus active et la plus audacieuse du grand corps des instituteurs". " (Le Mouvement Syndical, p. 40).

Important, ce texte le fut sans aucun doute et par la netteté de ses déclarations et par l'acquiescement d'une notable partie du personnel.
Il réclamait pour les éducateurs une autonomie, une indépendance qui ne pouvaient être assurées que par l'organisation syndicale qui devait "se substituer à l'autorité administrative". Toutefois il proteste contre l'affirmation "injuste" que les instituteurs réclameraient le droit de grève. Il proclamait que l'école ne devait pas donner un enseignement d'autorité et ne devait s'adresser à l'enfant qu'au "nom de la vérité".
Le texte s'achevait par cette phrase : "En attendant, nous engageons tous les instituteurs syndicalistes à adhérer aux syndicats déjà existants". C'était la conclusion logique, l'acte sans lequel les belles déclarations de principes fussent demeurées vaine littérature.
Ce manifeste venait à son heure. Il était clair, il répondait à une nécessité de la lutte : il remua les masses même en dehors de l'enseignement. C'était, toute proportion gardée, comme notre Déclaration des Droits, à graver sur table de marbre ou d'airain, au seuil du syndicalisme universitaire...
Malheureusement, l'étude impartiale des faits nous oblige à quelques restrictions.
Qui était sur la sellette ? Qui comparaissait devant le Tribunal correctionnel ? Qui menaçait-on de dissolution ? Sans nul doute possible, la Fédération des Syndicats. Or, le manifeste n'émanait pas de la Fédération.
Avant les signatures, on lit ces mots : ont signé à titre personnel (souligné dans le texte)...
La Fédération possédait un organe mensuel, l'Emancipation. On peut feuilleter la collection : le Manifeste ne s'y trouve pas. Mieux : c'est dans la presse politique qu'il parait d'abord, avec cette mention : "La Revue de l'Enseignement primaire publie le manifeste suivant", et cela avant même la publication du numéro de la Revue (26 novembre 1905) où il se trouve en effet.
C'était donc un document personnel émanant de Roussel, Glay et Dufrenne, rédacteurs à la Revue. Il fut envoyé à Nègre, secrétaire du Syndicat de la Seine pour lui demander de le signer à "titre personnel". "Or, écrit Nègre,  (ce texte) restait muet sur l'obligation primordiale qui s'impose à tout syndicaliste conscient et qui est d'entrer dans les syndicats ou d'en créer partout où il n'en existe pas". Et tout en approuvant "sauf quelques légères restrictions" les termes et l'esprit de ce manifeste, il fait l'adjonction de cette clause la condition sine qua non de son adhésion.
D'autre part, chacun des militants sollicités, toujours à titre personnel, ignorait le nom de ses co-signataires et surtout celui des syndiqués qui furent "systématiquement écartés". On n'avait même pas consulté Jeannard, ouvrier de la première heure du mouvement syndicaliste, ni Boutet, ni Neau, ni Herbinière, ni la plupart des camarades de l'Emancipation.
Par contre, ajoute Nègre, les noms de tous les "grands manitous" des Amicales s’étalent en bonne place sur le manifeste...
On a mis en vedette - sans doute pour que nul n'en ignore - les noms des organisateurs du "mouvement". C'est ainsi que nous apprenons que M. Roussel, qui est le premier "instituteur syndicaliste" de France, puisqu'il est écrit en tête de la liste des manifestants, "engage tous les instituteurs syndicalistes à adhérer aux syndicats déjà existants", alors " que lui-même n'est pas syndiqué".

D'ailleurs, le cas n'est pas isolé. En consultant la liste des signataires. on a la surprise d'y trouver un certain nombre de non-syndiqués qui, par la suite, se révélèrent ennemis jurés des syndicats existants.
Nègre termine ainsi les "réflexions personnelles" que lui inspire le fameux document :
" Je proteste donc contre l'ensemble des faits que je viens de relever et je déclare que, si je les avais connus en temps opportun, je n'aurais pas signé le manifeste des instituteurs syndicalistes".
Querelles de personnes, pourrait-on croire, mesquines questions de préséance, de rivalités entre organisations parisiennes... Possible. Les faits dénoncés par Nègre n'en demeurent pas moins, et ils sont graves. L'histoire du manifeste de 1905 est un nouveau symptôme de ce mal qui, dès l'origine, s'attaque à la Fédération. Les questions de personnalités naissent le plus souvent de l'opposition des tendances ; elles sont effets et non causes. Il y avait dès ce moment, deux camps, de plus en plus nettement séparés avant de se montrer hostiles : celui des syndiqués intransigeants, avides d'action immédiate et directe, confiants dans le rôle d'entraîneurs de groupements d'avant-garde ; celui des temporisateurs anxieux de ne point effrayer les masses dont ils voulaient devenir ou demeurer les chefs et qui, dans la crainte d'aller trop en avant de leurs troupes et de perdre ainsi le contact se laissaient retenir et immobiliser par elles.

Un très bref résumé du contexte : à partir du début du siècle, et contre les Amicales, se développe un courant d’esprit syndicaliste représenté par exemple par « L'Emancipation de l'instituteur. » Ce mouvement a plusieurs revendications parmi lesquelles on peut remarquer le refus des distinctions honorifiques, le fait que le directeur soit présent apurés de l’inspecteur lors des inspections, que soient supprimés les titres de directeurs, que les directeurs et directrices n’aient plus le droit de faire des rapports sur leurs adjoints et  ne puissent plus demander leurs déplacements d’office… Et surtout  l’Emancipation demande le droit des fonctionnaires à se syndiquer, les syndicats étant alors interdits chez les fonctionnaires, et à se syndiquer à la CGT alors très majoritairement anarcho-syndicaliste.

Les rédacteurs du manifeste, Glay et Roussel, sont au contraire des représentants des bien-pensantes amicales qui défendent dans les faits la fonction publique sous la forme de la défense de l’appareil hiérarchique, c'est-à-dire sous la forme explicite d’une idéologie corporatiste et patronale d’état et non seulement sous des prétextes démocratiques comme le feront ensuite le stalinisme et le Front populaire.

Quant à Marius Nègre, c’est le plus connu des représentants de ceux qui joignent à l’idée de se syndiquer la pratique – risquée à l’époque – de la création de la Fédération des syndicats. Et de plus non seulement Marius  Nègre n’a pas écrit le manifeste mais, qui plus est, il pense qu’il n’aurait pas dû le signer, ce que ne mentionne aucune source disponible sur Internet qui présente donc ainsi positivement la filiation amicale /syndicat.

Que s’est-il passé ? la Fédération des syndicats, combattue par les  Glay et Roussel, avait acquis  une sympathie et une influence certaines dans le corps enseignant, parallèlement à l’évolution du syndicalisme des fonctionnaires (et en particulier celui des postiers et des cheminots) et était de train de gagner la bataille de la reconnaissance du droit syndical. Les amicalistes comprenant qu’ils risquent de perdre leur influence essaient alors de se refaire une virginité et de couper l’herbe sous le pied des syndicalistes en publiant le manifeste de ce que l’on pourrait appeler les résistants de la dernière heure. Sa tonalité est certes syndicaliste mais comme toute manipulation de ce type qui se veut efficace, elle se donne un air offensif en faisant discrètement l’impasse ou en capitulant sur des points importants (comme, en ce cas, le droit de grève).

Le terme résistant de la dernière heure - et même ici d’après la dernière heure - semble  très bien choisi puisque les anciens amicalistes et futurs fondateurs  du SNI ne prennent en fait aucun risque puisqu’ils ne proposent le manifeste « syndicaliste » que lorsqu’il n’y a plus de danger, et que tout est pratiquement acquis comme le montre l’extrait suivant tiré de HFE, Tome I, pages 67/68.

Le 4 novembre 1905, trente-cinq des administrateurs [de la Fédération des syndicats] reçoivent "par voie de citation directe" l'assignation à comparaître devant le tribunal correctionnel le 14 courant. Le " P r o c è s des Quarante" allait commencer.
[…]
[Le 13 novembre 1905], le député Cruppi, au nom de la Commission de réforme judiciaire, dépose son rapport sur la proposition de loi Gautier de Clagny, relative à l'amnistie pour les délits et contraventions à la loi de 1884 sur les syndicats professionnels. Ce rapport était entièrement favorable aux syndicats d'instituteurs. On y lisait notamment :
Aussi, nous ne demandons pas à la Chambre, comme le faisait l'honorable M. Gautier de Clagny, d'user de bienveillance à l'égard des personnes appelées à bénéficier de l'amnistie. Nous semblerions solliciter pour elles des mesures d'indulgence et de grâce, alors que la bonne foi des uns, les encouragements dont peuvent se prévaloir les autres, l'existence non dissimulée de syndicats analogues à ceux qui sont déférés à la justice, justifient l'anéantissement des poursuites et des condamnations. (Revue, 10 déc. 1905).

Cependant, le mardi 14 novembre, à 11 heures 30, les trente-cinq prévenus se présentaient devant la 9e Chambre correctionnelle . Le procès allait commencer ; le réquisitoire et sans doute aussi la condamnation étaient prêts.
Mais voici qu'un garde républicain accourt, au grand galop de sa monture, saute à terre, salue et remet à un huissier un pli ministériel. Quelques instants plus tard, le Président appelle l ' affaire du Syndicat de la Seine. Alors le Substitut du Procureur de la République se lève et dit :

Nous avions l'honneur de poursuivre devant vous le Syndicat des Instituteurs et Institutrices de la Seine pour infraction à la loi de 1884 sur les Syndicats professionnels. Mais il s'est produit hier un événement qui m'oblige à demander le sursis. L'honorable M. Cruppi, au nom de la Commission législative des réformes judiciaires, a déposé un projet d'amnistie visant les délits et infractions commis contre la loi de 1884. Aussi, par déférence pour le Parlement, j'ai l'honneur de vous demander qu'il soit sursis à l'examen de cette affaire.

Ainsi se terminait le premier assaut que la Fédération dut soutenir contre le Gouvernement et l'opinion publique ameutée par la presse : le Syndicat subsistait, intact, et la question du droit syndical des instituteurs semblait, à bref délai, devoir être favorablement résolue.
Source : François Bernard, Louis Bouët, Maurice Dommanget, Gilbert Serret, Le syndicalisme dans l’enseignement : Histoire de la fédération de l’enseignement des origines à l’unification de 1935, 3 tomes, Editions de l’Ecole émancipée, 1938. Tome I : Des origines à la première guerre mondiale, pages 72-74.

Donc la question est quasiment réglée le 14 novembre 1905* et … le manifeste paraît douze jours après, le  26 novembre.

Voilà ce qu’il était possible de dire rapidement sur le contexte politique de la publication du manifeste des instituteurs syndicalistes. Il pose aussi d’autres problèmes dont un pédagogico-politique qui sera en partie abordé dans le point suivant sur l’enseignement de l’histoire.

*Le droit de se syndiquer ne sera en fait reconnu que par une circulaire du gouvernement Herriot du 25 septembre 1924.

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III) L’enseignement de l’histoire

Commençons par un article-programme de l’EE datant de 1914 :

L’enseignement de l’histoire

L'histoire est peut-être de toutes les matières enseignées à l'école primaire celle dont l'enseignement a été le plus critiqué. A tel point que des controverses nombreuses ont eu lieu même sur l'utilité de faire figurer l'histoire au programme des écoles primaires élémentaires.
C'est qu'en effet enseigner l'histoire à l'école primaire, c'est présenter les faits et gestes d'hommes faits à des enfants, c'est vouloir faire comprendre et juger à des cerveaux encore en formation des actes accomplis par des cerveaux mûrs, c'est évoquer des faits qui se sont passés dans des conditions totalement différentes de celles où nous vivons, c'est, en un mot, vouloir faire assimiler l'histoire à des êtres physiquement et intellectuellement différents de ceux qui ont été les artisans de cette histoire.
Voilà, il nous semble, pourquoi l'histoire, telle qu'on l'a enseignée jusqu'alors, a donné de si piètres résultats.
Est-il possible de présenter les faits historiques sous une forme accessible aux enfants sans pour cela les déformer ? Nous le croyons, et c'est dans ce but que nous avons travaillé pour rédiger les leçons qui paraissent cette année dans l'Ecole Emancipée.
D'abord, et nous l'avons déjà dit dans les considérations générales qui ont paru au début du cours d'histoire, les faits historiques sont trop nombreux pour que les enfants de nos écoles puissent les retenir tous. Les mémoires les plus fidèles sont incapables de cataloguer ces faits, et si par hasard un prodige en était arrivé à emmagasiner dans sa tête une grande quantité de faits, quelques années après la scolarité il n'en resterait que peu de choses ou il en résulterait des erreurs énormes, des confusions les plus grossières. Et de quel intérêt serait pour l'écolier l'énumération fastidieuse de dates, de faits qu'on lui ferait apprendre et réciter, tel un perroquet, depuis Clodion le Chevelu jusqu'à l'avènement de Poincaré. Il n'est pas un seul maître qui actuellement voudrait employer un tel procédé.
En second lieu, parmi les faits historiques, tous indistinctement ne peuvent être compris par les enfants. Pour pouvoir juger ces faits nous ne sommes pas sûrs de posséder tous les éléments d'appréciation. Pour porter un jugement exact, il faudrait que nous connaissions toutes les circonstances, même les plus infimes, qui ont entouré l'accomplissement des faits dont nous parlons. Pour nous convaincre de cela, réfléchissons aux jugements contradictoires qui ont été mis sur les mêmes évènements par les historiens les plus en renom. Et alors, là où des hommes éminents, des chercheurs minutieux n'ont pu se mettre d'accord pour discerner les véritables causes ou conséquences des faits, comment des enfants pourront-ils voir quelque chose ? Le maître qui voudrait être tendancieux aurait beau jeu pour, non pas même imposer sa manière de voir, mais la faire prévaloir, ce qui reviendrait à la même chose. Mais dans les causes des plus grands évènements de notre histoire, ce sont souvent de petites intrigues — parfois bien laides, soit dit en passant, — qui ont décidé de la marche des choses, et pour quelques-unes de ces intrigues qui nous sont connues combien sont restées ignorées ! D'ailleurs, même celles que nous croyons connaître sont souvent trop controversées pour que nous en fassions la base d'un enseignement historique.
C'est pourquoi nous pensons que donner la prépondérance à l'histoire politique à l'école primaire est une erreur. Nous nous abusons lorsque nous pensons pouvoir la mettre à la portée des enfants qui sont incapables de se représenter les conditions dans lesquelles ont agi les hommes et de discerner les mobiles qui les ont poussés.
Nous pensons au contraire que l'histoire des hommes, de leur vie matérielle et intellectuelle, de leurs habitudes journalières est beaucoup plus à la portée des enfants et que la lente évolution de la civilisation peut être comprise par tous.
Camille LHUISSIER.
E.E., n° 19 - 31 janvier 1914.

Il n’est pas question de commenter de manière approfondie ce texte fort intéressant mais plutôt de bien préciser un de ses enjeux et  de se placer en son amont notamment dans sa liaison avec le fameux passage du manifeste des instituteurs :

    « Notre enseignement n'est pas un enseignement d'autorité, Ce n'est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du Peuple français que l'instituteur confère son enseignement : c'est au nom de la vérité. Les rapports mathématiques, les règles de grammaire, non plus que les faits d'ordre scientifique, historique, moral, qui le constituent, ne sauraient dès lors être soumis aux fluctuations d'une majorité. »

Camille Lhuissier dit en effet :

« L'histoire est peut-être de toutes les matières enseignées à l'école primaire celle dont l'enseignement a été le plus critiqué. A tel point que des controverses nombreuses ont eu lieu même sur l'utilité de faire figurer l'histoire au programme des écoles primaires élémentaires.
C'est qu'en effet enseigner l'histoire à l'école primaire, c'est présenter les faits et gestes d'hommes faits à des enfants, c'est vouloir faire comprendre et juger à des cerveaux encore en formation des actes accomplis par des cerveaux mûrs, c'est évoquer des faits qui se sont passés dans des conditions totalement différentes de celles où nous vivons, c'est, en un mot, vouloir faire assimiler l'histoire à des êtres physiquement et intellectuellement différents de ceux qui ont été les artisans de cette histoire. »

Il donne  comme raison de la difficulté ou de l’impossibilité d’enseigner l’histoire à l’école primaire une  raison psychologique « faire assimiler l'histoire à des êtres physiquement et intellectuellement différents de ceux qui ont été les artisans de cette histoire. ». Or ce n’est pas que cette raison ne soit pas une raison réelle de la difficulté  d’enseigner l’histoire – et aussi en un certain sens des autres matières - mais même si l’on prend des adultes contemporains et même du même territoire géographique qui sont donc des « êtres physiquement et intellectuellement [non] différents de ceux qui ont été les artisans de cette histoire », ils n’ont pas obligatoirement la même conception de l’histoire et en ont même le plus souvent des conceptions antagoniques. Ceci provient en réalité du fait que l’histoire, comme l’économie par exemple supposent une prise de position  politique ou au sens fort une « prise de parti » souvent d’autant plus forte qu’elle est récente[Note03] .

Or lorsque le manifeste des instituteurs syndicalistes nous dit « Les rapports mathématiques, les règles de grammaire, non plus que les faits d'ordre scientifique, historique, moral, qui le constituent, ne sauraient dès lors être soumis aux fluctuations d'une majorité. », il affirme quelque chose qui est tout à fait vrai, c'est-à-dire  que le contenu des mathématiques ( et des sciences dures ) doit être et peut être indépendant des opinions politiques. Mais lorsqu’il étend cette affirmation d’indépendance « aux faits … d’ordre historique », il va dangereusement, au nom du scientisme, vers l’affirmation qu’il peut exister une conception neutre de l’histoire. 


Pensant que ce problème se poserait à l’avenir puisqu’il s’est posé en permanence dans le passé, j’avais fait quelques remarques sur ce sujet dans les motions que j’ai écrite  pour l’AG du GRIP de 2008 et qui ont été adoptées sans modifications par celui-ci[Note04]. Lorsque j’y cite, à la page 3, le passage incriminé du manifeste de 1905, la note adjointe renvoie explicitement au texte suivant  qui indique des « limites de la laïcité de l’enseignement de la IIIème République » :

« Il est à remarquer que la IIIème République n’a pas fait observer une stricte laïcité/neutralité des contenus d’enseignement puisqu’elle a non seulement toléré mais encouragé et même imposé l’enseignement d’un double nationalisme soit continental ‘anti-boche’ soit colonial (Ferry-Tonkin), avec, dans les deux cas, le soutien massif de l’Église catholique et du mouvement laïque. »

Or si l’on prend un peu de recul, on s’aperçoit que la question de l’enseignement de l’histoire avait déjà été traitée dès 1869 au sein de la première internationale qui comprenait toutes les tendances du mouvement ouvrier des marxistes aux anarchistes  en passant par toutes les variantes du socialisme. Elle avait été traitée dans un texte que j’ai mis en ligne dés 1998 ( Point V des Documents historiques sur l'Ecole , début du XIXème siècle : Karl Marx - Friedrich Engels )  que j’ai signalé de nombreuse fois sur plusieurs forums  mais qui n’a eu aucun succès.

J’en reproduis infra la partie importante, l’intégralité des séances du conseil de la première internationale qui traite des questions scolaires à l’adresse http://michel.delord.free.fr/bibli1998/1ereinternationale1869.pdf  : 

« Dans les écoles élémentaires, et plus encore dans les écoles supérieures, il ne faut pas autoriser de disciplines qui admettent une interprétation de parti ou de classe. Il ne faut enseigner dans les écoles que les matières telles qua la grammaire, les sciences naturelles. Les règles grammaticales ne changent pas, que ce soit un conservateur clérical ou un libre penseur qui les enseigne.
Des matières qui admettent une diversité de conclusion ne doivent pas être enseignées dans les écoles ; les adultes peuvent s'en occuper sous la direction d’une institutrice telle que Mme Law qui fait des conférences sur la religion »

Donc, en gros cent cinquante ans après, le consensus moderne absolu – toutes tendances laïques et religieuses confondues – est au contraire que l’on doit enseigner l’histoire à l’école.

Une question, à laquelle on peut imaginer quelques réponses historiques que je donnerai ultérieurement : comment se fait-il, alors que toutes les tendances du mouvement ouvrier étaient unanimes sur cette conception, que plus aucune ne la défende ? Et si de plus, aucune ne la mentionne est-ce simplement parce qu’elle en ignore l’existence ou pour être bien sûr qu’elle ne sera pas reprise ?
Une autre question, proche : Est-il possible d’avoir un enseignement qui défende une conception neutre de l’histoire? Est-il possible d’avoir un enseignement d’Etat qui défende une conception neutre de l’histoire? Y-en-a-t-il déjà eu un ?

[Note03] :Récente ne veut ici absolument pas dire quelques années puisque par exemple Philippe Nemo dont on peut ne pas partager  les idées mais dont on ne peut nier l’existence représente bien un courant de pensée historique dont les positions sont antagoniques avec celles des différentes gauches au moins sur toute la période de 1789 à nos jours.

[Note04] :Motion « Adhésion au GRIP », page 3,
 http://www.slecc.fr/GRIP/2008-10-04-motions.pdf  ou http://michel.delord.free.fr/2008-10-04-motions.pdf

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III bis) Le GRIP et le manifeste de 1905

Dans un document qui est d’importance puisqu’il est sous-titré «Texte de référence pour l’adhésion au GRIP », le GRIP ne fait référence qu’à un seul texte historique, n’en cite explicitement qu’un seul, le manifeste de 1905, sous la forme suivante :

Eu égard aux principes qui doivent guider l’écriture des programmes, il fait sienne la déclaration des instituteurs syndicalistes de 1905 :
« Notre enseignement n'est pas un enseignement d'autorité. Ce n'est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du Peuple français que l'instituteur confère son enseignement : c'est au nom de la vérité. Les rapports mathématiques, les règles de grammaire, non plus que les faits d'ordre scientifique, historique, moral, qui le constituent, ne sauraient dès lors être soumis aux fluctuations d'une majorité. »
Source : http://www.slecc.fr/GRIP/2011_positions_grip.pdf  ou http://michel.delord.free.fr/2011_positions_grip.pdf
Ceci pose un double problème
– cela atteste l’idée, surtout puisque ce texte est le seul cité et le la seule référence historique dans « LE texte de référence  pour l’adhésion au GRIP » que le manifeste est une référence qui n’est pas critiquable et que le GRIP, de toutes les façons, ne le critique pas. Mais si le GRIP agit ainsi, à moins qu’il soit ignorant de l’histoire, c’est qu’il ne trouve pas gênant  de se réclamer d’une référence politique dont une grande partie est une manipulation des amicalistes, c'est-à-dire des défenseurs historiques de  la bureaucratie d’état.
– ce texte est présenté explicitement comme représentant pour le GRIP les principes qui doivent guider la rédaction des programmes : cela signifie que, sans aucune discussion ni justification, le GRIP reprend les positions du consensus moderne. Va-t-il nous donner les justifications habituelles depuis un siècle en commençant par la première habituellement donnée: en fait on n’enseigne pas l’histoire aux élèves du primaire mais on leur raconte des histoires. Certes, mais cela ne supprime pas le problème car ce terrain n’est pas neutre non plus : on peut conjecturer que ceux qui veulent raconter aux élèves l’histoire édifiante du général de Gaulle, celle de Pie XII, celle de Mussolini, celle de Bakounine ou celle du petit Adolf Hitler ne sont pas obligatoirement d'accord entre eux.


MD
Asuivre ( 11/04/2011)