Jean DESOLI
Extraits du Chapitre:
« La notation : outil tranchant de l’âge de la pierre
»
Page 97-108
La fonction sociale désastreuse de la notation a été
mise à nu par de très nombreuses recherches en sociologie
: la note participe de la sélection. Elle en constitue l’outil et
le justificatif pseudo-scientifique, seul élément pris en
compte lors des diverses « orientations » auxquelles les élève
sont soumis au cours de leurs pérégrinations dans le système
éducatif, faisant ainsi l'aveu qu’ils sont perdus, que ce cheminement,
prétendument fait pour leur bien, est labyrinthique En France -
plus qu’ailleurs, car nous sommes les champions toutes catégories
de la notation -, l'élite est en partie déterminée
à l'aide de ce mode d'évaluation fruste, imprécis
et subjectif. S’y ajoutent, dans sa concrétisation sommative la
plus pure et la plus imbécile que représente l'examen, l'aléatoire
et l'injuste. Partout ailleurs, de tels errements et de telles perversions
seraient considérés comme rédhibitoires, partout,
sauf dans l'éducation de nos enfants ! Au contraire. Loin du discrédit
qui devrait la couvrir d'opprobre, enseignants et parents manifestent un
attachement dont la sainteté résulte plus de l’ignorance
commune que d’une saine réflexion.. Par quoi l'alignement commun,
les alliances parents/enseignants se concatènent misérablement
sur un fonds d'identique pauvreté conceptuelle. D'où il découle
que sont attribuées à la notation des vertus dont elle est
dépourvue. Alors qu'elle est scientifiquement inefficace, inique,
imprécise, on la croit efficace, juste, précise. On la croit,
disons-nous, car les qualités qu'on lui attribue relèvent
de la croyance.
Faute d'une vraie culture de l'évaluation (dont on ne saurait
s'offusquer qu'elle fît défaut aux parents, mais dont on peut,
en revanche, s'offusquer qu'elle ne fasse pas partie du minimum exigible
d'un professeur digne de cette appellation), les enseignants, en persistant
à noter, offrent une imperméabilité d'argile cuite
à toute autre forme supérieure d'appréciation de leurs
élèves. A cette réticence, il y a sans doute des raisons
psychiques fortes. Il n'est pas indifférent que la docimologie soit
une science éminemment française, inventée par Pieron,
qui se donnait initialement pour tâche l'examen des aléas
et variations de la notation, pour en atténuer les errements, en
fortifier la crédibilité. Las, de travaux en recherches,
fut mise au jour, l'indéfectible et définitive carence de
la notation. La conclusion logique eût, en d'autres lieux ou domaines,
abouti à sa suppression, ainsi que le firent d'autres pays dépourvus,
les pauvres ! de ce fétichisme de brousse. A chacun ses amulettes
!
Au moins un ouvrage entier serait nécessaire pour énumérer
les défauts et dérives de la notation, poison instillé
dans la mentalité enseignante….
/…../
Dans l'ordinaire de la classe, la notation fait partie du menu. Elle
est aussi envahissante qu’un chiendent dont l'éradication bienfaisante
est difficile. Elle sert d'odieux marchandages, de menace ou de pression.
Dans la constante nécessité de négociation non avouée,
avec les élèves ou les parents - leur participation ou leur
silence -, la note joue un rôle pivot, cousin du bachotage et qui
consiste, ou aboutit, à ne considérer comme seule tâche
rentable que celle qui donne lieu a notation. Ainsi, tout effort qui ne
se traduirait pas par l'obtention d'une note est considéré
comme sans importance et inutile. La drogue ayant produit ses effets, des
élèves martyrs demandent si leur travail sera noté
avant même de l'avoir accompli, et de la réponse, qui ne fait
pas de doute, dépendront leur motivation, leur intérêt,
leur effort. De l'effet cannabis de la notation. Il s'établit une
hiérarchisation implicite des activités scolaires : ce qui
est important et ce qui ne l'est pas du tout, en référence
explicite avec ce qui est noté et ce qui ne l'est pas. Travailler
pour la note, s'institue comme activité dominante avec pour corollaire
l'instrumentalisation des rapports de l'école aux savoirs. Une autre
conséquence est la dévalorisation des motivations intrinsèques
dont la psychologie montre qu'elles sont les seules à asseoir des
apprentissages durables. L'école s'inscrit dans le temps court,
le temps scolaire et non social ; sa visée est l'examen non la capacité
à vivre dans la société de son temps. Le meilleur
exemple de cet en-soi scolaire, de cette limite des savoirs qu'elle instaure,
ce sont les enseignants : et c'est bien pourquoi il leur est difficile
de quitter ce milieu cotonneux, qui les a biberonnés et aliénés,
qui constitue la justification de leur savoir. Comme si la meilleure réussite
de l'école était d'avoir fabriqué des zombies incapables
et inadaptés, en bref, de n'avoir pour seule fonction que de produire
des sous-produits sociaux qu'on appellerait des enseignants. Les mêmes
se lamentent avec une belle inconscience sur ces élèves qui
ne travaillent que pour la note ! Parbleu ! Inconvenante critique, nul
ne se double jamais d'une autocritique, et qui dédouane les enseignants,
à peu de frais, de certaines interrogations essentielles. Comment
peut-on reprocher aux élèves d'accorder de l'importance à
ce que l'on considère soi-même comme primordial, sans sombrer
dans l'inconséquence ?
Quel intérêt pédagogique ou éducatif existe-t-il
à noter un élève 8 sur 20 ? Quand ce n'est pas, ô
comble de l'absurdité des moyennes, 8,34 sur 20 ? Comme si l'imprécision
de l'instrument pouvait être levée par la multiplication des
mesures ou leur expression raffinée jusqu'au centième, ce
qui aboutit à la multiplication de l'imprécision. Le système
de notation est grotesque, mais son absence paraîtrait suspecte dans
un système qui n'a d'autre référence que cette défroque
scolaire qu’est le bac. On préfère la guillotine sans appel
au contrôle continu des connaissances. Dans une telle organisation,
avec une si minuscule et minable finalité, on conçoit aisément
que règne la démotivation suscitée, notamment pour
ceux et celles qui accumulent les mauvaises notes, comme on accumule de
la mauvaise graisse, et ce, quelque effort fait ou progrès accompli.
La note, se distribuant en « bonne » et « mauvaise
», entre ainsi dans le champ de l'économie morale qui distingue
le bon élève du mauvais. Et pour peu que l'on tombe sous
le charme des courbes de monsieur Gauss, l'antre de l'innéisme,
du don et du déterminisme, absorbe et pollue la pensée. La
note fait partie du barda de la pédagogie bachelière qui
s'inscrit résolument dans l'échec programmé et revendique,
mais qui, au lieu d'être l'échec d'une pédagogie, est
transmué en échec des élèves dont la cause
est externe à l'école ou interne et propre a certains individus.
L'existence d'inadmissibles pressions, d'utilisations externes douteuses,
de punitions parentales ou de récompenses, de vaines glorioles comparatives,
dont le sinistre carnet de notes est le vecteur, comme la puce celui du
bacille de Yersin, devrait conduire à l'éradication de la
notation. Quand on sait que la note n'indique rien, qu'elle éclaire
plus sur la méthode de l'enseignant que sur les acquis des élèves,
que son expression est fantaisiste ou, au mieux, approximative, que son
contenu informatif est quasi nul sur le plan didactique, qu'elle ne montre
que ce que l'on sait déjà sans jamais donner quelque raison
d'amender les erreurs, que sa luminosité est à la pédagogie
ce que la pierre à feu est a la lampe à incandescence, qu'elle
est étrangère aux compétences acquises, essentiel
des préoccupations enseignantes, qu'elle constitue un important
élément de l'arsenal coercitif que l'école laïque
a emprunté aux Jésuites, qu'elle n'a d'autres fonctions
inessentielles dans une école républicaine que de classer
et sélectionner en marquant un écart par rapport à
la norme incarnée par le maître qui « vaut » 20
sur 20 (sauf le jour où il est inspecté car c'est alors l'inspecteur
qui incarne la norme), quand on sait tout cela, distribuer des notes c’est
se rendre coupable d'un acte barbare, inutile et injuste. Mais les enseignants,
le fait est bien connu quand ils ne sont pas des pets-de-loup, sont de
paisibles irresponsables.
Le maintien de la notation perpétue des pratiques routinières
qui dressent d'insurmontables obstacles au changement, rendent caduques
les injonctions innovatrices qui meurent, desséchées entre
les pages des car c’est sustenter un système qui s'épuise
à poursuivre un leurre, celui de l’impossible homogénéité,
c'est nourrir l'illusion d'un suicidaire nivellement, c’est ériger
les programmes en ligne Maginot et en rigides vérités bibliques.
Noter, c’est exercer sur autrui un pouvoir inscrit dans une relation d'absolue
inégalité que nos preux chevaliers de l'égalitarisme
à tout crin ne trouvent pas choquante, car leur souci d'égalité
est de nature corporatiste, il ne concerne qu'eux-mêmes. La note
est entre les mains des enseignants comme la hache ou le fouet entre les
mains du bourreau. Mais il est des professions dont les membres ne connaissent
ni le doute ni la culpabilité, au prix de l'ignorance voulue et
de l'imbécillité revendiquée. Continuer à noter,
c'est dupliquer et promouvoir une école inégalitaire et élitiste.
On ne saurait efficacement maintenir l'objectif de combattre l'échec
scolaire, et manifester un attachement névrotique à la notation
qui n'a d'égal qu'un pathologique rejet de l'évaluation formative.
Noter, c'est reproduire l'excellence scolaire, mais c'est du même
coup empêcher la visée d'acquisition de compétences,
la définition d'objectifs. Auquel cas, comme l'écrit L. Legrand,
« les premiers de la classe deviendront une image nostalgique de
l'ancien temps, de ce temps où l'on mettait des notes, au XX ème
siècle ».
Répétons-le : la notation est la pierres angulaire
de cette pédagogie bachelière qui sévit à tous
les échelons du système. Elle le gangrène et le métastase
: exercices, leçons, cours magistral, rangs d'élèves-légume
plantés au cordeau dans un terrain pourtant stérile : la
classe. C'est un ingrédient indispensable à la sélection
de quelques-uns, mais nuisible à l'instruction de tous. Noter, c'est
obscurcir sa propre action et en occulter l'efficience éventuelle.
Abandonner la notation, c'est affirmer la primauté de l'élève
; c'est passe du concept de l'élève standard moyen à
l'élève réel maître de ses apprentissages. Mais
nous vivons dans un système qui préfère les conséquences
de la guillotine à l'évaluation continue des compétences.
Le système notatoire est à l'évaluation
formative ce que la vessie natatoire est à la lanterne d'Aristote
: une confusion de fonctions. Au motif que la note est utilisée
mêmement pour tous, s'instaure le mythe identitaire qui s'investit
indûment des attributs de la justice et se pare abusivement des atours
de l'équité. Cette croyance pose l'école sous l'empire
fantasmatique des chiffres et s'installe dans la numérologie dont
on sait de quel type de pseudo-science elle relève. La note naquit
un jour de la conjonction d'une erreur et d'une monstruosité : conception
jacobine de la transparence et de l'interchangeabilité ajoutée
à la conception de la justice qui s'oppose à la justesse
d'une conception. Il n'est que dans les casernements où des individus
en rang font tous la même chose, au même commandement d'un
seul. Dans les casernes et à l'école.
Oubliées sont les suggestions et mesures intelligentes d'après
Mai 68, quand furent supprimées les compositions trimestrielles
au profit des contrôles
divers faits en classe, ainsi que la notation chiffrée de 0
à 20, excluant rangs et classements. Alors se dressa, toutes idéologies
confondues en une nébuleuse de récalcitrants, de la carpe
au lapin, du Parti communiste à la Société des agrégés,
une ligue obtuse, revendicative, élitiste et corporatiste. Il advint
alors que l'histoire recula : à la place des compositions trimestrielles,
on instaura une kyrielle d'examens. Examen maniaque, incessant et indécent.
Examen permanent et obsessionnel. Et toujours davantage de notes. Une averse
de chiffres. Un loto permanent. Un élève, en dix ans de scolarité,
passe davantage d'examens et de contrôles qu'une armée de
malades dans un hôpital militaire. Ecole, appareil d'examens, selon
la remarque de Michel Foucault .
A l'indécence des notes s'ajoute l'absurdité des moyennes
dépourvues de toute rigueur mathématique dont se prévaudraient
les enseignants si, par improbable, l'interrogation surgissait en leur
sein. La notion de moyenne confine à l'absurdité. Ainsi,
un 18 en mathématique et un 2 en français équivaudraient
à un 18 en français et un 2 en mathématique ? Comment
un élève qui aurait successivement obtenu 5 au cours du premier
trimestre, 10 le deuxième trimestre et 15 au troisième, pourrait-il
valoir 10 à la fin de l'année scolaire ? Par quelle acrobatie
stupide ? Toutes les opérations sur les notes sont illégitimes,
dépourvues de rigueur scientifique : c'est pourtant sur elles que
se fondent des décisions importantes plus que sur des acquis réels
non évalues objectivement. Ainsi, un jour de froid « noté
» à 2 degrés et une journée de chaleur à
30 degrés seraient l'équivalent d'une journée à
16 degrés? Ainsi, un homme marié à une femme de 40
ans serait arithmétiquement bigame, sa femme équivalant à
deux jeunes filles de 20 ans ! On pourrait multiplier à l'infini
de tels exemples montrant l'imbécillité des notes et des
moyennes. Mais probablement serait-ce insuffisant pour en débarrasser
l'école.
L'inculture de l'évaluation
Engoncés dans des pratiques stériles, englués dans
des habitudes sclérosantes, imperturbablement, avec la régularité
d'un rituel, les enseignants continuent a noter. Ce qu'ayant fait, ils
sont persuadés d'avoir accompli leur devoir à l'égard
des élèves, des familles et de l'institution, mais comme
on remplit son devoir conjugal : sans doute moins par plaisir que par impératif
moral qui découle d'une conception du métier dont l'amour
est absent. La note est comme un fer rouge : c'est un marquage social définitif.
Mais l'école ne doit-elle pas être autre chose qu'un parc
à bœufs étalonnés ou une gare de triage où
s'indiquent autoritairement les voies de garage ou les horizons TGV, selon
l'humeur d'un chef de gare ivre ? On comprendra pourquoi la fameuse «
culture de l'évaluation » dont le ministère veut doter
les enseignants n'est qu'une supercherie issue d'une excellente idée.
La culture de l’évaluation n'a pas plus de chance de prendre que
la culture des betteraves
dans le Kalahari, lieu d excellence, comme l'on sait, pour les prêches.
Evaluer ou noter, c'est se situer dans deux registres distincts, deux
démarches opposées. Noter, ce n'est pas évaluer, c'est
son exact contraire. Evaluer, c'est considérer que chaque élève
peut apprendre selon ses propres modalités, son itinéraire
personnel. Evaluer, c'est abandonner le cours magistral qui se suffit de
la notation et même l'implique ; c'est rejeter le pas cadencé
et l'uniformité, c'est quitter les sentiers battus, la duplication
infinie des méthodes, les balises pour des passages obligés.
Evaluer, c'est abandonner la notion de faute qui doit être punie
parce qu'elle est inadmissible et que quiconque la commet est coupable,
pour lui substituer l'idée d'erreur qui doit être source de
connaissances, c est reconnaître qu’on peut apprendre en se trompant,
c'est donc donner raison , abord à l'apprenant et non à celui
qui enseigne.
Noter, c'est stigmatiser les déviances, l'anormalité.
La note ne relève pas de la pédagogie, mais de la tératologie.
Evaluer, au contraire, c'est tenter, à partir d'un recueil solide
d'informations rationnelles, d'apporter une aide adaptée aux difficultés
des élèves. Noter est un acte de censeur; évaluer,
c'est donner du sens aux actes. Ce n'est pas barbouiller en rouge et en
maugréant, ce n'est pas salir sans respect le travail d'autrui par
un dépôt continu d'immondices, mais c'est repérer des
erreurs et proposer des réponses réfléchies, afin
que, selon le mot de Montaigne, « le gain de nostre étude
» soit « d'en être devenu meilleur et plus sage ».
Ce gain qui dans une école noteuse est perte. Avec la notation,
le jugement scolaire est condamnation d'un individu. Quand donc les enseignants
percevront-ils l'inanité pédagogique et la niaiserie éducative
des livrets de notes obstinément manipulées, insensément
mélangées ? Qui ne voit que la notation conduit à
la passivité car elle ne prend pas en compte les progrès
? Qu'elle inhibe ceux qui ont peur de se tromper quand toute faute doit
être expiée. L'élève préfère se
taire et se terrer plutôt que de donner une réponse qui va
susciter l'ire du père et le rire des pairs. Ce couperet exclut
l'élève de toute action et le rend étranger a ses
propres apprentissages. Apprendre, c'est recevoir : à la ois ouvrir
le bec et le fermer, conçoit-on. La notation qui s'inscrit dans
cette démarche est désinformation : elle démoralise
et démobilise. Il est incongru de noter à tour de stylo et
de gémir sur le désintérêt et la démotivation
des élèves.
La tentative d'instaurer des évaluations nationales à l'entrée de chacun des cycles du système éducatif n'a, hélas, produit que peu d'effets positifs. Conçus comme des actes administratifs ennuyeux dont il convient de se débarrasser, corvées harassantes autant qu'inutiles, les résultats ne donnent que rarement lieu à une modification des pratiques de classe. Le fait de savoir que tel lève a tel type de difficulté n'empêche nullement les
professeurs de conduire leur cours comme si de rien n'était, avec le seul souci d'achever le programme comme on achève les chevaux. Nul souci de ces élèves en perdition ou en retard. On fait comme s'ils n'étaient pas là. Et quand d'aucuns, fatigués de n'être rien, font savoir a leur manière qu'ils sont là, débute un engrenage qui conduit à l'affrontement et à la violence. Faire son travail exigerait que l'on s'occupât aussi des mauvais élèves. Que dirait-on d'un médecin qui refuserait de s'occuper des malades pour ne se consacrer qu'aux bien-portants, à ceux qui n'ont pas besoin de ses services ? Que dirait-on d'un médecin qui ne diagnostiquerait pas le rhume de son patient ou qui n'évaluerait pas correctement les risques d'une maladie connue ? C'est pourtant le cas des enseignants qui, faute de se munir de l'outil adéquat, se prive d'un prélèvement d'informations qui pourrait conduire au bon diagnostic.
Quelle étrangeté y a-t-il à maintenir en l'état cette technique de la notation, sauf à préférer perdre ce temps, pédagogiquement nul et sans effet positif sur les élèves, au moment où l'on réclame son allégement général ? C'est sans doute à la fois que le souci premier des enseignants n'est pas l'utilisation efficace de ce temps hors enseignement qu'ils considèrent comme un surplus pour lequel ils demanderaient volontiers à être rétribués, et que l'acte de noter leur confère un pouvoir sur les élèves qu'ils ne sont pas prêts d'abandonner, voire une menace dont certains abusent.
Il n'est pas innocent de noter que les oppositions à l'entrée de l'évaluation formative sont nourries par ceux qui sont partisans de la sélection, rejoints au club des opposants par ceux qui ni ne voient dans l'école maternelle qu'un appendice de la crèche ou un équivalent de colonies de vacances, en tout cas, un lieu où ne s'accomplissent pas des apprentissages scolaires. Que ce refus soit alimente par les tenants de l'enfant roi, dans une école maternelle reflet de la famille, est en soi assez inquiétant pour le devenir de l'école maternelle qui s'instituerait ainsi autre chose que ce qu'elle doit être, c'est-à-dire une école à part entière. L'argument, qui n'est massue que par sa lourde grossièreté, est que les élèves n'ont pas à être mis en fiche. Mais cette mise en fiche n'a lieu que dans les écoles où l'on se fiche de cette évaluation, parce qu'on la confond avec la nocive notation, ou parce qu'on lui préfère l'approximation, ce qui n'est rendre service a personne et surtout pas aux élèves. D'ailleurs, les réticences les plus affirmées concernant la mise en œuvre de ces évaluations viennent souvent des personnels de l'Adaptation et Intégration Scolaire (AIS), et notamment les psychologues scolaires, eux qui soumettent les élèves à des tests d'une fiabilité contestable, à des mesures de l'« intelligence » jamais clairement définie. Cette manie testatoire et omnipotente serait-elle contrariée l'introduction d'outils plus objectifs qui, du coup , déposséderait les psychologues de leur pou-voir exclusif de préleveurs d'informations ?
Passer de la notation à l'évaluation formative, c'est
abandonner la condamnation scolaire au profit d'une information constructrice,
c'est remiser définitivement la grossièreté d'une
échelle sur laquelle chacun se situe, avec ses hauts et ses bas,
pour lui substituer la notion de parcours ou curricula scolaires. Certes,
l'araire ou le trépan ont fait leurs preuves. Mais à une
autre époque. L'arbalète n'est plus le standard de l'artillerie
moderne. Noter, c'est équarrir. Méditez, enseignants, le
mot de Bachelard : « L'avenir prophétisé est une sanction
qui paraît sans réplique. »