Documents historiques sur l'Ecole , début du XIXème siècle : Karl Marx - Friedrich Engels
* *
Extrait de "La Critique de la philosophie du droit de Hegel" (1844)
La bureaucratie est un cercle, dont nul
ne peut s'extraire. Sa hiérarchie est celle du savoir. La tête confie aux
sphères inférieures le soin de connaître le détail, en échange de quoi, les
sphères inférieures cèdent au sommet l'intelligence du général ‑ et tous deux
se donnent de la sorte mutuellement le change.
La
bureaucratie est l'Etat imaginaire flanquant l'Etat réel, c'est le
spiritualisme de l'Etat. Toute chose obtient de la sorte une double
signification ‑ l'une réelle, l'autre bureaucratique. Il en est ainsi de la
volonté, par exemple.
Ce
qui est réel est en conséquence traité bureaucratiquement c'est‑à‑dire comme
une chose spirituelle, de l'au‑delà. La bureaucratie tient en sa possession
l'Etat, l'être spirituel de la société : c'est sa propriété privée.
L'esprit
universel de la bureaucratie est le secret, le mystère; en tant que corporation
close, elle le conserve pour elle-même face à l'extérieur, grâce à la hiérarchie
qu'elle représente. L'ouverture d'esprit ou des mentalités par rapport à l'Etat
apparaît en conséquence comme une trahison de ce mystère, si bien que
l'autorité devient le principe de son savoir, et l'idolâtrie de l'autorité est
son esprit. En son sein, le spiritualisme devient matérialisme le plus crasse,
le matérialisme de l'obéissance passive, de la foi en l'autorité, du mécanisme
d'une activité rigide et formelle, de principes, de conceptions et de
traditions figées.
Pour
le bureaucrate pris à part le but de l'Etat devient son but privé, et c'est la chasse
au poste supérieur : il s'agit pour lui de faire carrière. Premièrement,
il considère la vie réelle comme matérielle, car l'esprit de cette
vie trouve dans la bureaucratie une existence abstraite de la vie réelle.
Il
faut donc que la bureaucratie tende à rendre la vie aussi matérielle que
possible. Deuxièmement, la vie devient matérielle pour lui dans la mesure où
elle subit un traitement bureaucratique, car son esprit lui est prescrit, son
but se trouvant en dehors de lui et son existence étant celle du bureau. L'Etat
n'existe plus que sous la forme des divers esprits bureaucratiques et fixes,
dont la cohésion est maintenue par la subordination et l'obéissance passive. La
science véritable apparaît comme dénuée de contenu, de même que la vie
authentique apparaît comme morte, puisque c'est cette science imaginaire et
cette vie imaginaire qui passent pour essentielles. Le bureaucrate doit donc
procéder en jésuite avec l'Etat réel, et peu importe que ce jésuitisme soit
conscient ou non. Cependant il doit devenir conscient, dès lors qu'il
s'aperçoit de ce côté antinomique ‑et alors il devient jésuite patent et
voulu...
L'identité
que Hegel a construite entre la société bourgeoise et l'Etat est celle de deux
armées ennemies, dont chaque soldat a la “ possibilité ” de devenir membre
de l'armée “ ennemie ”, en “désertant ” et, de fait, Hegel décrit ainsi exactement les conditions
pratiques d'aujourd'hui.
Il
en est de même de sa construction des “ examens ”. Dans un Etat raisonnable, il
faudrait bien plutôt un examen pour devenir cordonnier que fonctionnaire
d'Etat, car la cordonnerie est un savoir-faire sans lequel on peut être un bon
citoyen et un homme social. Or il se trouve que l'indispensable “ savoir d'Etat
” (nul n'est censé ignorer la loi) est une condition sans laquelle on vit en
dehors de l'Etat, en étant coupé de soi‑même et de tout, comme suspendu dans
les airs. Or donc l'examen n'est qu'une formule de franc-maçon, la
reconnaissance légale du savoir étatique comme privilège.
La “ connexion” de la “
fonction d'Etat et de l' “ individu ”, ce lien objectif entre le savoir
de la société civile et le savoir de l'Etat, l'examen, n'est rien
d'autre que le baptême bureaucratique de la science, la reconnaissance
officielle de la transsubstantiation de la science profane en science sacrée :
chaque examen, implique comme allant, de soi, que l'examinateur sache tout. On
n'a pas connaissance de ce que les citoyens grecs ou romains aient passé des
examens.
*
* *
II) Karl MARX , Le mystère de la construction spéculative
Extrait de 'La Sainte Famille' 1844
Le mystère de l'exposé critique des Mystères de Paris, c'est le mystère de la construction spéculative, la construction hégélienne. Après avoir qualifié de « mystère », c'est-à-dire dissout dans la catégorie du « mystère », la « barbarie au sein de la civilisation » et l'absence de droit dans l'État, M. Szeliga fait enfin commencer au « mystère » sa carrière spéculative. Quelques mots suffiront pour caractériser la construction spéculative en général. Dans sa discussion des Mystères de Paris, M. Szeliga nous en donnera l'application détaillée.
Quand, opérant sur des réalités, pommes, poires, fraises, amandes, je me forme l'idée générale de « fruit »; quand, allant plus loin, je m'imagine que mon idée abstraite « le fruit », déduite des fruits réels, est un être qui existe en dehors de moi et, bien plus, constitue l'essence véritable de la poire, de la pomme, etc., je déclare — en langage spéculatif — que « le fruit » est la « substance » de la poire, de la pomme, de l'amande, etc. Je dis donc que ce qu'il y a d'essentiel dans la poire ou la pomme, ce n'est pas d'être poire ou pomme. Ce qui est essentiel dans ces choses, ce n'est pas leur être réel, perceptible aux sens, mais l'essence que j'en ai abstraite et que je leur ai attribuée, l'essence de ma représentation : « le fruit ». Je déclare alors que la pomme, la poire, l'amande, etc., sont de simples formes d'existence, des modes « du fruit ». Mon entendement fini, appuyé par mes sens, distingue, il est vrai, une pomme d'une poire et une poire d'une amande; mais ma raison spéculative déclare que cette différence sensible est inessentielle et sans intérêt. Elle voit dans la pomme la même chose que dans la poire, et dans la poire la même chose que dans l'amande, c'est-à-dire « le fruit ». Les fruits particuliers réels ne sont plus que des fruits apparents, dont l'essence vraie est « la substance », « le fruit ».
On n'aboutit pas, de cette façon, à une particulière richesse de déterminations. Le minéralogiste, dont toute la science se bornerait à déclarer que tous les minéraux sont en fait le minéral, ne serait minéralogiste... que dans son imagination. Or en présence de tout minéral le minéralogiste spéculatif dit : « le minéral », et sa science se borne à répéter ce mot autant de fois qu'il y a de minéraux réels.
Après avoir, des différents fruits réels, fait un « fruit » de l'abstraction - le « fruit » - la spéculation, pour arriver à l'apparence d'un contenu réel, doit donc essayer, d'une façon ou d'une autre. de revenir du « fruit », de la substance, aux réels fruits profanes de différentes espèces : la poire, la pomme, l'amande, etc. Or, autant il est facile, en partant des fruits réels, d'engendrer la représentation abstraite du « fruit », autant il est difficile, en partant de l'idée abstraite du « fruit », d'engendrer des fruits réels. Il est même impossible, à moins de renoncer à l'abstraction, de passer d'une abstraction au contraire de l'abstraction.
Le philosophe spéculatif va donc renoncer à l'abstraction du « fruit », mais il y renonce de façon spéculative, mystique, en ayant l'air de ne pas y renoncer. Aussi n'est-ce réellement qu'en apparence qu'il dépasse l'abstraction. Voici à peu près comment il raisonne :
Si la pomme, la poire, l'amande, la fraise ne sont, en vérité, que « la substance », « le fruit », comment se fait-il que « le fruit » m'apparaisse tantôt comme pomme, tantôt comme poire, tantôt comme amande ? D'où vient cette apparence de diversité, si manifestement contraire à mon intuition spéculative de l'unité, de « la substance », « du fruit » ?
La raison en est, répond le philosophe spéculatif, que « le fruit » n'est pas un être mort, indifférencié, immobile, mais un être doué de mouvement et qui se différencie en soi. Cette diversité des fruits profanes est importante non seulement pour mon entendement sensible, mais pour « le fruit » lui-même, pour la raison spéculative.
Les divers fruits profanes sont diverses manifestations vivantes du « fruit unique »; ce sont des cristallisations que forme « le fruit » lui-même. C'est ainsi, par exemple, que dans la pomme « le fruit » se donne une existence de pomme, dans la poire une existence de poire. Il ne faut donc plus dire, comme quand on considérait la substance : la poire est « le fruit », la pomme est « le fruit », l'amande est « le fruit »; mais bien : « le fruit » se pose comme poire, «le fruit » se pose comme pomme, « le fruit » se pose comme amande, et les différences qui séparent pommes, poires, amandes, ce sont les autodifférenciations « du fruit », et elles font des fruits particuliers des chaînons différents dans le procès vivant « du fruit ». « Le fruit » n'est donc plus une unité vide, indifférenciée; il est l'unité en tant qu'universalité, en tant que « totalité » des fruits qui forment une « série organiquement articulée ». Dans chaque terme de cette série, « le fruit » se donne une existence plus développée, plus prononcée, pour finir, en tant que « récapitulation » de tous les fruits, par être en même temps l'unité vivante qui tout à la fois contient, dissout en elle-même chacun d'eux et les engendre, de la même façon que toutes les parties du corps se dissolvent sans cesse dans le sang et sont sans cesse engendrées à partir du sang.
On le voit : alors que la religion chrétienne ne connaît qu'une incarnation de Dieu, la philosophie spéculative a autant d'incarnations qu'il y a de choses; c'est ainsi qu'elle possède ici, dans chaque fruit, une incarnation de la substance, du fruit absolu. Pour le philosophe spéculatif, l'intérêt principal consiste donc à engendrer l'existence des fruits réels profanes et à dire d'un air de mystère qu'il y a des pommes, des poires, des amandes et des raisins de Corinthe. Mais les pommes, les poires, les amandes et les raisins de Corinthe que nous retrouvons dans le monde spéculatif, ne sont plus que des apparences de pommes, de poires, d'amandes et de raisins de Corinthe, puisque ce sont des moments de la vie « du fruit », cet être conceptuel abstrait; ce sont donc eux-mêmes des êtres conceptuels abstraits. La joie spéculative consiste donc à retrouver tous les fruits réels, mais en tant que fruits ayant une signification mystique supérieure, sortis de l'éther de votre cerveau et non pas du sol matériel, incarnations « du fruit », du sujet absolu. En revenant donc de l'abstraction, de l'être conceptuel surnaturel, « du fruit », aux fruits naturels réels, vous donnez aussi en compensation aux fruits naturels une signification surnaturelle et vous les métamorphosez en autant d'abstractions. Votre intérêt principal, c'est précisément de démontrer l'unité « du fruit » dans toutes ces manifestations de sa vie, pomme, poire, amande, de démontrer par conséquent l'interdépendance mystique de ces fruits et comment, en chacun d'eux, « le fruit » se réalise graduellement et passe nécessairement, par exemple, de son existence en tant que raisin de Corinthe à son existence en tant qu'amande. La valeur des fruits profanes consiste donc non plus en leurs propriétés naturelles, mais en leur propriété spéculative, qui leur assigne une place déterminée dans le procès vital « du fruit absolu ».
L'homme du commun ne croit rien avancer d'extraordinaire, en disant qu'il existe des pommes et des poires. Mais le philosophe, en exprimant ces existences de façon spéculative, a dit quelque chose d'extraordinaire. Il a accompli un miracle : à partir de l'être conceptuel irréel, « du fruit », il a engendré des êtres naturels réels : la pomme, la poire, etc. En d'autres termes : de son propre entendement abstrait, qu'il se représente comme un sujet absolu en dehors de lui-même, ici comme « le fruit », il a tiré ces fruits, et chaque fois qu'il énonce une existence il accomplit un acte créateur.
Le philosophe spéculatif, cela va de soi, ne peut accomplir cette création permanente qu'en ajoutant furtivement, comme déterminations de sa propre invention, des propriétés de la pomme, de la poire, etc., universellement connues et données dans l'intuition réelle, en attribuant les noms des choses réelles à ce que seul l'entendement abstrait peut créer, c'est-à-dire aux formules abstraites de l'entendement; en déclarant enfin que sa propre activité, par laquelle il passe de l'idée de pomme à l'idée de poire, est l'activité autonome du sujet absolu, du « fruit ».
Cette opération, on l'appelle en langage spéculatif : concevoir la substance en tant que sujet, en tant que procès interne, en tant que personne absolue, et cette façon de concevoir les choses constitue le caractère essentiel de la méthode hégélienne.
Il était nécessaire de faire ces remarques préliminaires pour qu'on pût comprendre M. Szeliga. Jusqu'ici, M. Szeliga a dissout des rapports réels, tels que le droit et la civilisation, dans la catégorie du mystère, et il a, de cette façon, fait « du mystère » la substance; mais c'est maintenant seulement qu'il s'élève à un niveau vraiment spéculatif, au niveau de Hegel, et qu'il métamorphose « le mystère » en un sujet autonome qui s'incarne dans les situations et les personnes réelles, et dont les manifestations vivantes sont des comtesses, des marquises, des grisettes, des concierges, des notaires, des charlatans, ainsi que des intrigues d'amour, des bals, des portes de bois, etc. Après avoir engendré, à partir du monde réel, la catégorie du « mystère », il crée le monde réel à partir de cette catégorie.
Les mystères de la construction spéculative se dévoileront dans l'exposé de M. Szeliga avec d'autant plus d'évidence qu'il a indiscutablement sur Hegel un double avantage. D'une part, Hegel s'entend à exposer, avec une maîtrise de sophiste, comme étant le procès même de l'être conceptuel imaginé, du sujet absolu, le procès par lequel le philosophe passe d'un objet à l'autre par le truchement de l'intuition sensible et de la représentation. Mais ensuite il lui arrive très souvent de donner, à l'intérieur de son exposé spéculatif, un exposé réel qui appréhende la chose même. Ce développement réel à l'intérieur du développement spéculatif entraîne le lecteur à prendre le développement spéculatif pour réel, et le développement réel pour spéculatif .
Chez M. Szeliga, les deux difficultés tombent. Sa dialectique évite toute hypocrisie et toute feinte. Il exécute son tour d'adresse avec une louable honnêteté et la droiture d'un brave cœur. Après quoi, il ne développe nulle part de contenu réel, si bien que, chez lui, la construction spéculative parle aux yeux sans aucune fioriture gênante, sans que rien d'ambigu ne nous en cache la belle nudité. Chez M. Szeliga apparaît de façon tout aussi éclatante comment, d'un côté, la spéculation crée à partir d'elle-même, avec une apparente liberté, son objet a priori; mais d'autre part — et cela en voulant par des sophismes escamoter le lien raisonnable et naturel qui le fait dépendre de l'objet — tombe dans l'asservissement le plus déraisonnable et le moins naturel à cet objet, dont elle se voit obligée de construire, comme absolument nécessaires et universelles, les déterminations les plus fortuites et les plus individuelles.
* *
Une autre réforme très appréciée des bourgeois est l'éducation, et particulièrement "l'éducation professionnelle universelle ".
Nous ne voulons pas relever l'absurde contradiction selon laquelle l'industrie moderne remplace sans cesse davantage le travail complexe par le travail simple pour lequel il n'est besoin d'aucune formation ; nous ne voulons pas non plus relever qu'elle a poussé de plus en plus d'enfants dès la septième année derrière les machines, en en faisant une source de profits aussi bien pour la classe bourgeoise que pour leurs propres parents prolétaires. Le système manufacturier met en échec la législation scolaire - comme la Prusse en témoigne. Nous ne voulons pas relever enfin que la formation intellectuelle, si l'ouvrier la possédait, serait sans influence directe sur son salaire ; que l'instruction en général dépend du niveau des conditions de vie, et que le bourgeois entend par éducation morale le gavage de principes bourgeois, et qu'en fin de compte la classe bourgeoise n'a pas les moyens ni l'envie d'offrir au peuple une éducation véritable.
Nous nous bornerons donc à considérer la question sous l'angle purement économique.
La signification véritable de l'éducation, pour les économistes philanthropes, c'est la formation de chaque ouvrier au plus grand nombre possible d'activités industrielles possibles, de sorte que, s'il est évincé d'une branche par l'emploi d'une nouvelle machine ou par un changement dans la division du travail, il puisse trouver à se caser ailleurs le plus facilement possible.
Admettons que ce soit possible.
La conséquence en serait que, si la main-d'œuvre était en excédent dans une branche d'industrie, cet excédent se déverserait aussitôt dans les autres branches d'industrie, si bien que la baisse de salaire dans une branche entraînerait encore plus sûrement qu'auparavant une réduction générale des salaires.
En dehors de cela, l'industrie moderne - en rendant partout le travail beaucoup plus simple, donc plus facile à apprendre - fait déjà qu'une augmentation des salaires dans une branche d'industrie provoque aussitôt un afflux de travailleurs dans cette branche, si bien que la baisse des salaires devient, de manière plus ou moins directe, générale.
* *
IV) Karl Marx , Ascenseur social ? 1867
in Le Capital, Livre III, Tome II,
Chapitre 36, “ Notes sur la période précapitaliste ”*
“ Même lorsqu'un homme sans fortune obtient du crédit en tant
qu'industriel ou commerçant, c'est qu'on a confiance qu'il va se conduire en
capitaliste, s'approprier à l'aide du capital prêté du travail non payé. On lui
accorde du crédit en tant que capitaliste en puissance. Et même le fait, qui
suscite tant d'admiration de la part des apologistes de l'économie politique,
qu'un homme sans fortune, mais énergique, sérieux, capable et versé dans les
affaires, puisse de cette façon se transformer en capitaliste - et d'ailleurs
en régime capitaliste d'une façon générale, la valeur commerciale de chaque
individu est estimée avec plus ou moins d'exactitude - ce fait, même s'il fait
entrer sans cesse en lice contre eux toute une série de nouveaux chevaliers
d'industrie, dont les capitalistes individuels déjà en place se passeraient
bien, renforce cependant la domination du capital, en élargissant sa base et en
lui permettant de recruter toujours de nouvelles forces dans le soubassement
social sur lequel il repose. Tout comme pour l'Église catholique au Moyen Age,
le fait de recruter sa hiérarchie sans considération de condition sociale, de
naissance, de fortune, parmi les meilleurs cerveaux du peuple, était un des
principaux moyens de renforcer la domination du clergé et d'assurer le maintien
des laïcs sous le boisseau. Plus une classe dominante est capable d'accueillir
dans ses rangs les hommes les plus importants de la classe dominée, plus son
oppression est solide et dangereuse. ”
* Editions Sociales, Paris, 1970, page 260.
* *
[...]
Les congrès de. l'A.I.T.
ont déjà soulevé la question de savoir
si l'enseignement devait être étatique ou privé. Par enseignement étatique, on
entend celui qui s'effectue sous le contrôle de l'Etat; cependant,
l'intervention de l'Etat n’est pas
absolument indispensable. Dans le Massachusetts, chaque municipalité est
obligée d'assurer l'enseignement
élémentaire pour tous les enfants. Dans les villes de plus de 5 000
habitants, il doit y avoir des écoles moyennes pour la formation polytechnique
; dans les villes plus grandes, des écoles supérieures. L’Etat contribue à leur
financement, mais très modestement. Au Massachusetts, un huitième des impôts
locaux est dépensé pour l'enseignement ; à New York, un cinquième. Les comités
d'école qui gèrent les établissements sont des organisations locales ; ils
nomment les maîtres et choisissent les livres scolaires. La faiblesse du
système américain réside dans son caractère local trop marqué, l'enseignement
se trouvant trop étroitement lié au développement culturel de chaque région.
D'où la nécessité de revendiquer un contrôle central. La fiscalité au profit
des écoles est obligatoire, mais il n'y a pas d'obligation scolaire pour les
enfants. La propriété ayant été imposée,
les hommes qui paient ces impôts
souhaitent que l'argent soit employé utilement.
L'enseignement peut être
étatique sans se trouver sous le contrôle du gouvernement. Le gouvernement pourrait nommer des inspecteurs dont le devoir serait de
veiller à ce que la loi soit respectée, sans qu'ils aient le droit de
s'immiscer directement dans l'enseignement. Ce serait comme pour les
inspecteurs de fabrique qui veillent au respect des lois de fabrique.
Le congrès peut décider, sans la
moindre hésitation, que l'enseignement doit être obligatoire. Pour ce qui
concerne le fait que les enfants ne devraient pas être forcés de travailler, ce
qui est sûr, c'est que cela n'entraînerait pas une baisse des salaires, et tout
le monde s'y ferait.
Les proudhoniens affirment que
l'enseignement gratuit est un non-sens, puisque l'Etat doit payer. Il est
évident que l'un ou l'autre doit payer, mais il ne faut pas que ce soit ceux
qui sont le moins en état de le faire. L'enseignement supérieur ne doit pas
être gratuit.
En ce qui concerne le système
d'enseignement prussien, dont on a tant parlé, l'orateur observe, pour finir,
que ce système ne poursuit qu'un seul but : former de bons soldats.
[...]
Le citoyen Marx dit que tout le
monde est d'accord sur certains points déterminés.
La discussion s'est engagée
après que l'on ait proposé de ratifier la résolution du congrès de Genève, qui
réclame que l'on combine l'enseignement intellectuel au travail physique, les
exercices gymnastiques à la formation polytechnique. Nul n'a opposé d'objection
à ce projet.
La formation polytechnique, qui
a été soutenue par des écrivains prolétariens, doit compenser les inconvénients
résultant de la division du travail qui empêche les apprentis de s'assimiler
une connaissance approfondie de leur métier. Sur ce point, on est toujours
parti de ce que la bourgeoisie elle-même entend par formation polytechnique, et
c'est ce qui a provoqué des interprétations erronées. En ce qui concerne la
proposition de Mme Law ** relative au budget de I'Eglise, il serait à souhaiter,
du point de vue politique, qua le congrès fasse sienne cette position qui est
dirigée contre I'Eglise.
La proposition du citoyen
Milner*** ne se prête pas à une discussion qui porte sur la question scolaire.
C'est dans la lutte quotidienne pour la vie qua les jeunes gens devraient
recevoir cette éducation de la part des adultes. L'orateur n'accepte pas Warren
comma parole d'évangile. Au demeurant, c'est là une question qui ne fera que
très difficilement l'unanimité. On peut ajouter qu'une telle formation ne peut
être transmise par l'école ; elle intéresse bien plutôt les adultes.
Dans les écoles élémentaires, et
plus encore dans les écoles supérieures, il ne faut pas autoriser de
disciplines qui admettent une interprétation de parti ou de classe. Il ne faut
enseigner dans les écoles qua les matières telles qua la grammaire, les
sciences naturelles. Les règles grammaticales ne changent pas, que ce soit un
conservateur clérical ou un libre penseur qui les enseigne.
Des matières qui admettent une diversité de conclusion ne doivent pas être enseignées dans les écoles ; les adultes peuvent s'en occuper sous la direction dune institutrice telle que Mme Law qui fait des conférences sur la religion****.
Notes :
*
[Mai 2009] En attendant le texte complet des deux séances en français, une version
anglaise de la partie consacrée à l'enseignement existe à
http://www.marxists.org/archive/marx/iwma/documents/1869/education-speech.htm
** Harriet Law avait proposé à la
séance du 17 août que les biens et les revenus de l'Eglise soient utilisés pour
l'enseignement général.
*** Milner avait proposé que les
écoles publiques enseignent l'économie politique, pour qua chacun soit
familiarisé avec les notions de " valeur ", de "salaire" , etc.
**** Dans Bee‑Hive [autre édition
de ce texte], ce passage est rédigé comme suit :" Pour ce qui concerne l'économie politique,
la religion et d'autres matières, on ne peut les introduire ni dans les écoles
élémentaires ni dans les écoles supérieures. La matière de cet enseignement
intéresse les adultes et doit être professé sous la forme d'exposés par des
maîtres du genre de Madame Law "
* *
Education au peuple, la même pour tous ? Qu'est-ce qu'on entend par ces mots ? Croit-on que, dans la société actuelle. (et l'on n'a à s'occuper que d'elle), l'éducation puisse être la même pour toutes les classes ? Ou bien veut-on réduire par la force les classes supérieures à ne recevoir que cet enseignement restreint de l'école primaire, seul compatible avec la situation économique non seulement des ouvriers salariés, mais encore des paysans ?
« Obligation scolaire pour tous. Instruction gratuite ». La première existe même en Allemagne, la seconde en Suisse et aux Etats-Unis pour les écoles primaires. Si, dans certains Etats de ce dernier pays, des établissements d'enseignement supérieur sont également « gratuits », cela signifie seulement qu'en fait ces Etats imputent sur les chapitres du budget général les dépenses scolaires des classes supérieures. Incidemment, il en va de même de cette « administration gratuite de la justice », réclamée à l'article 5. La justice criminelle est partout gratuite; la justice civile roule presque uniquement sur des litiges de propriété et concerne donc, presque uniquement, les classes possédantes. Vont-elles soutenir leurs procès aux frais du trésor public ?
Le paragraphe relatif aux écoles aurait dû tout au moins exiger l'adjonction à l'école primaire d'écoles techniques (théoriques et pratiques).
Une « éducation du peuple par l'Etat » est chose absolument condamnable. Déterminer par une loi générale les ressources des écoles primaires, les aptitudes exigées du personnel enseignant, les disciplines enseignées, etc., et, comme cela se passe aux Etats-Unis, surveiller, à l'aide d'inspecteurs d'Etat, l'exécution de ces prescriptions légales, c'est absolument autre chose que de faire de l'Etat l'éducateur du peuple ! Bien plus, il faut proscrire de l'école au même titre toute influence du gouvernement et de l'Eglise. Bien mieux, dans l'Empire prusso-allemand (et qu'on ne recoure pas à cette échappatoire fallacieuse de parler d'un certain « Etat de l'avenir » nous avons vu ce qu'il en est), c'est au contraire l'Etat qui a besoin d'être éduqué d'une rude manière par le peuple.
D'ailleurs, tout le programme, en dépit de tout son drelindrelin démocratique, est d'un bout à l'autre infecté par la servile croyance de la secte lassallienne à l'Etat ou, ce qui ne vaut pas mieux, par la croyance au miracle démocratique; ou plutôt c'est un compromis entre ces deux sortes de foi au miracle, également éloignées du socialisme.
« Liberté de la science », dit un paragraphe de la Constitution prussienne. Pourquoi alors ici ?
« Liberté de conscience ! » Si on voulait, par ces temps de Kulturkampf, rappeler au libéralisme ses vieux mots d'ordre, on ne pouvait le faire que sous cette forme : « chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez ». Mais le Parti ouvrier avait là, l'occasion d'exprimer sa conviction que la bourgeoise « liberté de conscience » n'est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que lui s'efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse. Seulement on se complaît à ne pas dépasser le niveau « bourgeois ».
* *