Brève de comptoir du 2 avril 2011
Des gamins de Paris, de la burqa et de la disparition d’Oussama
Version 1.0 du 02/05/2011
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La véritable question n’est
pas l’impact qu’aura la disparition de Ben Laden mais la disparition
des conditions qui avaient rendu Ben Laden nécessaire.
Science poliorcétique
Le 6 février 2011, j’avais la
joie d’annoncer au monde ébahi - ou plus exactement au monde que je
connaissais, c'est-à-dire peu de monde - la naissance d’une nouvelle
science poliorcétique, la rempartologie,
science de la chute des remparts contre le communisme, l’islamisme, …,
digne descendante de la science de Josuah qui fit tomber en son temps
les remparts de Jericho. Pour mémoire un extrait, l'original étant ici :
« Le rempart Ben Ali
La même histoire - jeter le
kleenex lorsqu’il est usé - se répète avec Ben Ali : au moment des
émeutes, le général Rachid Ammar commandant l’armée tunisienne
rencontre l’ambassadeur américain Gordon Gray qui lui dit :
-L’armée ne tire pas sur la foule.
-Vous notifiez aimablement à M.Ben Ali qu’il a intérêt à déguerpir dans les délais les plus brefs.
M. Gray n’est donc pas un
imbécile puisqu’il ne discute ni avec le président, ni avec un
quelconque ministre ou un élu mais avec celui qui représente un vrai
pouvoir, c'est-à-dire le général commandant les forces armées.
[….]
Agissant conformément à
l’importance stratégique qu’ils donnent à la France, les USA
n’avaient prévenu ni le gouvernement français ni M. Sarkozy par
ligne privée. Ils croient donc toujours qu’il faut soutenir Ben Ali
puisqu’il est un « rempart contre l’islamisme ».
[…]
Ben Ali, rempart contre
l’islamisme, se réfugie en Arabie Saoudite, pays non islamiste par
essence (et plus précisément par pétrole en ce cas).
Le petit rempart Alain-Gérard Slama
Chronique d’Alain-Gérard Slama du jeudi 27 janvier sur France-Culture :
«
Deux verrous majeurs du rapprochement Orient Occident, donc de la paix
mondiale sont en train de sauter sous nos yeux, la Tunisie aujourd’hui
l’Égypte demain, avec la bénédiction d’Obama. J’en suis éberlué
[Souligné par moi, MD]. L’impuissance d’Obama devant ces deux
situations est flagrante et dans le cas d’une prise en main islamiste
de ces deux pays, l’Iran en tirera les conséquences. »
Non seulement les USA n’ont
pas prévenu Mme Alliot-Marie qu’il ne fallait plus soutenir Ben Ali
mais, comble de manque de tact par rapport aux intellectuels, ils
n’ont pas prévenu le soldat théorique Slama qu’il fallait pour le moins
relativiser la thèse du rempart contre l’islamisme comme principe
directeur de la politique internationale.
Et il en est tout éberlué, le pauvre.
[…]
Et naît ainsi non pas la
thèse du danger islamiste en général, thèse qui est beaucoup plus
vieille – plus même que celle du « péril jaune » ? - mais celle
l’importance absolue du danger islamiste, qui engendre naturellement
l’impératif moral tout aussi absolu de l’appui aux « remparts contre
l’islamisme ».
Cette thèse, quelle que soit
sa validité, a un grand succès dans le monde libre d’une part parce
qu’elle vient des USA auxquels chacun préfère plaire et d’autre part
parce qu’elle correspond aux intérêts réels de ceux qui la partagent
notamment pour garantir le statu quo au Maghreb et au Proche Orient. Et
aussi parce que les USA ont besoin en permanence d’un ennemi extérieur
à ramifications internes pour réaliser l’union nationale. L’épouvantail
communiste a joué ce rôle pendant soixante-dix ans et son bien
aimé descendant l’épouvantail islamiste a bien pris la succession pour
la période du pouvoir unipolaire des USA.
MAIS JUSTEMENT LES TEMPS
CHANGENT : NOUS SOMMES ENTRAIN DE DÉPASSER CETTE PÉRIODE DU «
POUVOIR UNIPOLAIRE ». SI, POUR LES USA, LE DANGER PRINCIPAL EST
LA CHINE, LA MISE AU PREMIER PLAN DE L’ÉPOUVANTAIL ISLAMISTE ET DE LA
DÉFENSE COROLLAIRE DES REMPARTS CONTRE L’ISLAMISTE PERD, DE TOUTES
FAÇONS ET QUELLE QUE SOIT LA VALEUR RÉELLE DU DANGER ISLAMISTE,
BEAUCOUP D’IMPORTANCE PUISQU’ELLE SE RÉDUIT FONDAMENTALEMENT, COTÉ
AMÉRICAIN, À CE QUI EST NÉCESSAIRE POUR ENCERCLER LA CHINE ET LE
HEARTLAND. ET EN CE CAS, LES SENTIMENTS ANTICHINOIS AUX USA SERONT BIEN
SUFFISANTS POUR Y ASSURER L’UNITÉ NATIONALE.
Élève Slama, on suit ? »
Oussama et le Prix Nobel de la paix
Aujourd’hui, le récent Prix
Nobel de la paix et président des USA nous annonce le succès de
la mission qu’il a confié aux services spéciaux. Il nous le dit : « Il a eu Ben Laden. »
C’est certes secondaire mais
on a bien du mal à savoir si Ben Laden n’était pas déjà mort et s’il
est réellement mort maintenant. On a encore plus de mal à savoir si la
première puissance mondiale a fait exprès de ne le trouver qu’au bout
de presque dix ans de recherche – ce qui ne serait pas la preuve d’une
stratégie performante du big stick – ou si elle avait décidé qu’il ne
fallait pas le trouver jusqu’à aujourd’hui. Nous n’essaierons pas non
plus, bien que ce soit ce coup-ci plus important mais dépasse le stade
d’une brève de comptoir, de peser la nécessité de l’existence et de la
disparition de Ben Laden mesurée à l’aune des intérêts des diverses
puissances et des diverses fractions du pouvoir et de l’opposition au
Pakistan et en Afghanistan.[Note 1]
Mais on est sûr d’une chose,
le président Obama a décidé d’annoncer aujourd’hui son décès comme
résultat d’un acte militaire de la part des USA. Et cela prouve
justement une chose : les temps changent et l’annonce de la disparition
de l’homme Ben Laden signe l’inutilité de la mise au premier plan [Note 2]
du mythe islamiste radical. Cette inutilité répond à une autre
nécessité, celle de la disparition de (ses) image(s) dans le
miroir, c'est-à-dire des remparts contre l’islamisme qui ont pour nom
Ben Ali, Moubarak, Gaddafi, etc.
Et l’on peut être sûr d’une
autre chose que Renaud Girard confiait sur le ton de la
confidence le 2 mai au journal de midi sur i-Tele « Des amis arabes et
islamistes me disent : [ sous l’effet du printemps arabe] c’est la fin
du radicalisme islamiste ». Bien sûr et il n’y a que nos braves Slamas
qui ne l’ont pas compris et qui soutiennent les remparts contre
l’islamisme, ce qui est la meilleure méthode pour renforcer l’islamisme
dont ils prétendent par ailleurs être les meilleurs combattants.
L’explication ne
viendrait-elle pas du fait que ce mouvement du printemps arabe peut
être potentiellement indépendant de tous les pouvoirs en place,
ce qui n’a jamais été le cas de « l’islamisme radical » ni de ses
jumeaux inversés « remparts contre l’islamisme » ?
Donc si l’on résume la situation :
-
Moralement les USA ont créé Ben Laden et ils avaient donc un droit sur
son existence, droit qu’ils ont en quelque sorte exercé. Et ce d’autant
plus qu’en tant que rempart contre le communisme, c’était un produit
très obsolescent de la guerre froide.
-La
véritable question n’est pas l’impact qu’aura la disparition de Ben
Laden mais la disparition des conditions qui l’avait rendu nécessaire.
Contribution des praticiens
On a vu que, lors de
l’affaire tunisienne, les USA non seulement n’avaient pas prévenu le
gouvernement français mais ils n’avaient pas non plus prévenu
tous les Slamas qui croyaient durs comme fer au couple islamisme
radical / rempart contre l’islamisme comme explication fondamentale du
monde – et peut-être de l’Univers.
Et les Slama en étaient donc tout éberlués.
On n’a pas encore de
contributions fondamentales des intellectuels français sur la
disparition de Ben Laden mais la France avait déjà tenté, lors de la
crise tunisienne, de faire ce qu’elle pouvait grâce aux propositions de
contributions pratiques de Mme Alliot-Marie. Celle-ci, craignant à
juste titre que les morts dans les manifestations ne provoquent une
révolte encore plus forte, avait montré son sens de l'ordre et de
la discipline en proposant au dictateur de service le savoir faire
policier français pour une forme de répression plus démocratique. Rien
n’a filtré de ces conversations mais il n’est pas impossible de penser
qu’elle pouvait vanter l’utilisation du taser qui a de nombreux
avantages : bien sûr il peut tuer mais beaucoup moins que les armes à
feu classiques. Or la mort de manifestants dans un pays dans lequel
règne un couvre-feu et l’interdiction de tout regroupement de plus de
trois personnes est une véritable catastrophe pour le pouvoir puisque
les enterrements, comme l’a montré la lutte contre l’apartheid en
Afrique du sud, deviennent la seule forme d’action collective qu’il est
impossible d’interdire. Donc, contrairement à ce qu’a dit le PS, MAM
faisait des « propositions positives ».
Contributions des intellectuels
Un peu éberlués, les
intellectuels n’ont donc pas réagi sur le coup et en sont en général au
moment de l’affaire tunisienne à soutenir la dictature pour éviter
l’islamisme. Mais il serait injuste de ne pas rappeler que certains
d’entre eux avaient déjà apporté leur écot non seulement à toute
dictature qui se présente comme anti-islamique mais aussi à tout
pouvoir légèrement dictatorial.
Ainsi certains avaient lancé en 2009, en collaboration avec Riposte laïque, une pétition contre le port de la burqa.
Cette présentation des choses faisait un peu raciste dans la
formulation, ce qui est très mal porté et le conseil d’état avait donc
précisé le 30 mars 2010:
«
Alors qu’existent d’ores et déjà des dispositions contraignantes mais
partielles, il est apparu au Conseil d’État qu’une interdiction
générale et absolue du port du voile intégral en tant que tel ne
pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable. »
Aussi cette revendication a-t-elle été laïcisée et a finalement donné la Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public qui dit « Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. »
Et il s’agit donc d’une
puissante contribution démocratique au droit international : non
seulement les dictatures anti-islamiques peuvent l’utiliser puisqu’elle
s’applique aussi à la burqa mais cette interdiction est par nature
démocratique puisqu’elle vise tout le monde. Et tout régime peut
l’employer contre tout manifestant, c'est-à-dire en période de
couvre-feu, un membre d’un groupe de plus de trois personnes. Et il
peut même l’employer si l’individu en question est tout seul.
Puisque si on se masque le
visage dans une manifestation et encore plus sans manifestation , c’est
que l’on a quelque chose à se reprocher.
Attention aux œuvres subversives prétendument artistiques et populaires
Un gamin de Paris
Pantalons trop longs pour lui ( N’est-ce pas un signe d’incivilité ?)
Toujours les mains dans les poches ( Et un autre )
On le voit qui déguerpit
Aussitôt qu'il voit un képi (Il a donc quelque chose à se reprocher)
Il est héritier
Lors de sa naissance
De tout un passé
Lourd de conséquence
Et ça, il le sait
Bien qu'il ignore l'histoire de France (Circonstance aggravante)
Rempli d'insouciance
Gouailleur et ravi
De la vie qui danse
S'il faut, [il] peut aussi
Comm' Gavroch' entrer dans la danse. (Mais que fait la police ?)
L’enfant qui vole un oeuf volera plus tard un bœuf ( quand il sera plus grand car c’est plus lourd).
C’est tout pareil pour le
gamin de Paris : s’il a des pantalons trop longs, ses mains dans les
poches et s’il déguerpit aussitôt qu'il voit un képi, c’est un
Ben Laden en puissance. Surtout s’il a sa casquette à l’envers.
En attendant la suite de la série « Remparts contre… »
Cabanac, le 2 mai 2011
Michel Delord
[1] Il serait
tout à fait possible aussi de disserter sur d’autres faits également
intéressants : le lieutenant général Ahmed Shujaa Pasha,
directeur de l’Inter-services Intelligence, ISI, c'est-à-dire des
services secrets pakistanais avait rencontré récemment le
directeur de la CIA Leon Panetta et George Little, un porte-parole de
la CIA, avait déclaré à l'AFP que les discussions étaient productives
et que l'ISI restait un interlocuteur "solide". Le ministre de
l’intérieur pakistanais avait aussi déclaré récemment à des
sénateurs américains que Ben Laden ne se trouvait pas au Pakistan, ce
qui est probablement, à moins que ce soit les deux à la fois,
soit la preuve d’une qualité médiocre de l’ISI comme rempart contre
l’islamisme, soit une preuve de certains accord avec Al Qaïda ou une
partie de celle-ci. De toutes les façons, on ne peut que se poser des
questions sur la rencontre entre un directeur de la CIA et le patron de
l’ISI, considérée d’autre part comme un groupe terroriste (Cf .par
exemple : http://www.guardian.co.uk/world/2011/apr/25/guantanamo-files-isi-inter-services-intelligence ).
[2] La
nécessité pour les grandes puissances de dénoncer l’islamisme ne
disparaît pas car, entre autre, une bonne partie des arabes et
les islamistes ont eu la malchance de naître et de vivre sur un
territoire qui regorge de gaz et de pétrole. Et il est bien utile
d’avoir à sa disposition une théorie qui les diabolise pour pouvoir, à
l’occasion, liquider toute opposition locale à la libre disposition de
l’énergie par les plus forts.