Quatre textes publiés sur le site de l'APED fin 1998
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1)  A propos du Rapport Longuet
2) Mr. Allègre et le mouvement lycéen
3) A propos des ZEP
4) A propos du Rapport Rancurel

Textes publiés soit anonymement soit sous les pseudos de Jean-Christophe ou de UFA (Un Futur Auxilliarisé).
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Pourquoi publier [en 1998 ! ] des textes datant de 20 ans ou plus ?  D'une part parce que  les événements actuels ne peuvent se comprendre qu'en les intégrant dans l'histoire. D'autre part, ceci permet de montrer l'ancienneté de la mise en place de réformes actuelles, ce qui implique que ce n'est pas un changement de ministre, y compris l'annulation de tous ses décrets,  qui suffira pour  annuler des tendances aussi lourdes.
Michel Delord, Extrait de A propos du Rapport Longuet ( 1998)


La publication de ces textes avait pour objectif de faire un peu de désinfection intellectuelle en montrant l'inanité d'un certain nombre de fausses oppositions dont le dépassement était - et est encore -  indispensable pour non seulement  agir sans trop se faire manipuler mais au moins pour garantir une compréhension minimum de la situation.
Par exemple, la phrase citée supra en exergue "ce qui implique que ce n'est pas un changement de ministre, y compris l'annulation de tous ses décrets,  qui suffira pour  annuler des tendances aussi lourdes." visait précisément la tactique du mouvement anti-Allègre qui demandait la démission du ministre.  Démission qui a été 'obtenue' au moment où, si l'on analyse en termes de personnes,  la présence de l'agressif Claude Allègre comme ministre devenait un obstacle - bien perçu par le PS qui a poussé à cette démission - aux réformes Allègre elles-mêmes, réformes qui pouvaient mieux passer avec l'onctueux Jacques Lang. 
Avançant "Allègre Démission" le mouvement républicain a ainsi poussé à la mise en place de la meilleure configuration politique capable de faire passer la réforme.
Il est donc toujours utile de publier à nouveau ces textes d'autant plus que la recherche du meilleur ministre de l'Education Nationale continue à faire des ravages chez les républicains ; pour s'en convaincre il suffit de lire le blog Bonnet d'âne.

D'autres fausses oppositions  mécanistes étaient aussi évoquées
-  l'opposition carte scolaire / pas de carte scolaire ;
-  le rôle de la décentralisation dans la protection de la bureaucratie centrale ;
-  la fausse opposition étatisme / néo-libéralisme représentant en fait  l'alliance, dans le cadre de l'école,  d'une bureaucratie bismarckienne donc souvent athée et de la main invisible chère à Adam Smith.

Michel Delord - 25 décembre 2009
Ces textes et leur publication actuelle n'engagent pas le GRIP.
Voici infra quelques extraits de ces quatre textes :

I)  La situation en 1981 ( Extrait de : Le Rapport Longuet - 1979 -  dans son contexte)
II) Un schéma des réformes de la Fonction publique : l'auxilliarisation des titulaires
III)  La fausse opposition étatisme / néo-libéralisme : De l'ère des gestionnaires à l'ère des troisièmes couteaux

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I)  La situation en 1981 ( Extrait de : Le Rapport Longuet - 1979 -  dans son contexte)

A la fin de la présidence de Valéry Giscard d'Estaing,  un mouvement social encore assez fort persiste, dans la continuité des grèves de 1968, relancé par la vague de restructuration qui a suivi la crise de 75 et par l'attitude provocatrice des néo-libéraux de l'époque qui ne peuvent promettre que plus de marché et plus de concurrence. La situation est globalement la même dans la Fonction Publique et dans l'Education, d'autant que le Premier Ministre de l'époque, Raymond Barre, commence à traiter les fonctionnaires de "nantis", au moment ou le président est accusé de se faire offrir des diamants par son cousin Bokassa.  Le mouvement syndical, habitué à la cogestion, a beaucoup de mal à contrôler le mouvement social et attends avec impatience l'arrivée de la gauche au pouvoir qui sera censée "défendre les travailleurs" sans que ceux-ci bougent. Le Monde, fin observateur de la situation, dira le 26 Mai 1981, soit quinze jours après l'élection de Mitterand :

"Les responsables syndicaux avouent l'avoir échappé belle" en laissant la parole à un dirigeant de la FEN qui déclare :" On était arrivé à la limite. Mitterand, c'était une question de salubrité, pas seulement morale mais aussi sociale. On ne contrôlait plus rien si Giscard était repassé : entre la résignation et la révolte, il n'y avait plus de place pour l'organisation, seulement l'inconnu."

Certes, les cercles dirigeants de l'industrie et de la finance savaient que non seulement ni Mitterand, ni Rocard, ni Chevènement n'étaient de dangereux anarchistes - il suffisait d'avoir vu leur attitude par rapport aux "événements" d'Algérie - mais qu'ils seraient même  meilleurs dans la gestion car ils arriveraient à donner une image progressiste à des mesures réactionnaires: la parution du livre de Jean Matouk "La gauche peut sauver l'entreprise" date de 1977.
Mais toute une fraction des vrais "nantis" craignaient que l'arrivée au pouvoir du P.S. soit "le grand soir" ou que "Mitterand soit Kerenski" et se préparait à passer son argent en Suisse  ou même à "organiser la résistance"( expressions de l'époque).
Ce sera le Figaro-Magazine, hebdomadaire d'extrême droite dont la ligne éditoriale était donnée par des militants de la revue Eléments et du Club de l'Horloge, qui se chargera en 1979-80 de les rassurer et de montrer que non seulement , la gauche n'était pas révolutionnaire, mais qu'elle surpasserait la droite dans son propre domaine. Quitte ensuite, lorsqu'elle serait au pouvoir, à l'accuser d'être d'être trop progressiste pour justifier des mesures encore plus réactionnaires. Dans un certain nombre de cas, ce seront des concepts inventés par les laboratoires d'extrême droite d'Elements et du Club de l'Horloge qui seront appliqués par la gauche.  Par exemple :

- la justification de la suppression du SMIG car il "pénalise l'emploi des jeunes"
- la mise en place du "Hit Parade des Lycées" dont Beullac, ministre de l'Education de VGE, félicitait le Figaro Magazine du 25 Octobre 1980, qui a été repris ensuite par les bien-pensants du Monde l'Education en lui donnant un titre moins ouvertement consumériste en cachant la concurrence sous un vocable académique: il s'agit d'un Palmarès. Cet exemple est intéressant et montre bien les limites de l'opposition droite/gauche: dans l'article cité , Beullac expliquait qu'il s'agissait d'une lutte contre "l'égalitarisme" tandis que la gauche le présente plutôt comme "l'égalité des chances" ( par le biais d'une "bonne information"). Mais là aussi, Beullac vendait déjà la mèche :" L'égalité des chances ne veut pas dire l'égalité des résultats" . Depuis un siècle que l'école républicaine existe en France, on l'avait effectivement remarqué.
Mais pour ce qui nous intéresse, c'est-à-dire les réformes de la Fonction Publique, le Figaro-Magazine publiait le 28 Avril 1979 un article intitulé "La France Fonctionnaire" dans lequel on pouvait lire dans le paragraphe "Réaction contre l'étatisation excessive":
 
Pourquoi aujourd'hui mieux qu'hier? Gérard Longuet, trente deux ans, député UDF de la Meuse et co-organisateur, avec Michel Aurillac du colloque de dimanche dernier[ NDLR : colloque qui a servi de préparatoire au Rapport Longuet sorti 6 mois plus tard], répond:"C'est devenu une nécessité vitale. Tant que nous étions  en période d'expansion, la  croissance des secteurs productifs gommait celle de l'administration. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Ensuite, on sent partout, même à gauche, une réaction contre l'étatisation excessive". Sur ce plan, renchérit un autre jeune député UDF,  Alain Madelin [NDLR: Longuet et Madelin sont des anciens militants d'Occident, ce qui rassure les douairières à bijoux]: "Je me sens plus proche, à certains égards, de certains socialistes comme Jacques Delors ou Michel Rocard , que de certains UDF jacobins." De fait, sur bien des points, les propositions formulées par Gérard Longuet et Michel Aurillac rejoignent celles du Club "Echanges et Projets" [NDLR: c'est tout un programme], créé par le socialiste Jacques Delors. Que proposent donc tous ces adversaires de la bureaucratie?
En priorité, de dégraisser l'Etat [NDLR: Allègre n'a rien inventé]: "Il ne s'agit pas de réduire le nombre des fonctionnaires, précise Jean Yves Le Gallou [ NDLR : que du beau monde, un des dirigeants actuels du Front National], mais de limiter le rôle de l'Etat".
Des exemples : ils concernent tout d'abord, évidemment, la gestion des entreprises : que l'Etat assouplisse la réglementation sur l'embauche et les licenciements. Quant au placement des demandeurs d'emploi, pourquoi en laisser le monopole à l'ANPE ( Agence Nationale Pour l'Emploi)....? De leur côté, François Lagrange et Jean de Rosen, membres du Club Echanges et Projets et auteur d'une passionnante étude "La Démocratie à la portée de la main", suggèrent que l'Etat laisse les collectivités locales et les associations assumer davantage de services collectifs. Mais c'est sur un troisième point, le plus explosif , celui de l'Education Nationale, que les propositions se rejoignent: "Sa gestion centralisée, notent les auteurs de "La Démocratie à la portée de la main", a été conçue à l'époque napoléonienne, avec l'objectif, heureusement dépassé, d'une diffusion autoritaire de la culture officielle. Si le droit à l'initiative jouait davantage, il en résulterait certes des inconvénients pour pour certains établissements, tantôt délaissés, tantôt engorgés, mais très probablement une amélioration du service rendu". En prônant l'abandon de la carte scolaire qui impose aux familles le choix de l'école du district, Gérard Longuet et ses amis ne demandent rien de moins"
Si au niveau des déclarations publiques et à grande diffusion, l'introduction " du droit à l'initiative" est présenté par la gauche positivement, elle n'ignore pas, et ce depuis beaucoup plus que vingt ans, dans ses cercles d'études et petits comités, ce qu'elle peut appeler publiquement ses "effets pervers". Comme la concurrence crée toujours une pyramide à base large et pointe étroite, il est bien évident que "l'amélioration du service rendu" serait réelle pour les établissements d'excellence mais beaucoup moins pour les "établissements délaissés" qui forment la base de la pyramide, base dont l'importance relative croît avec la crise. Mais favoriser  les établissements d'excellence suppose de maintenir juridiquement la carte scolaire car elle seule permet de continuer à parquer la base de la pyramide dans des zones à éduquer prioritairement - c'est à à dire éviter qu'il y ait des établissements "délaissés" - tandis que les "bonnes fréquentations", y compris celles que l'on peut avoir dans le service public, permettent globalement le passage inverse.
Si le rêve libéral combat le rôle les monopoles, la main-mise de l'Etat et prône la déréglementation, la réalité qu'il sert nécessite des crédits publics et un État fort ...mais bon marché pour les missions de service public.

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II) Un schéma des réformes de la Fonction publique : l'auxilliarisation des titulaires (Extrait de : Allègre et le mouvement lycéen)

A partir du début des années 70, le développement de la crise accroît l'insécurité de tous les travailleurs: diminution de la masse salariale, accentuation du chômage (partiel pour les uns, total pour les autres), aggravation de la charge de travail des actifs et, pour tous, accélération de la mobilité sociale forcée:

- mobilité professionnelle (à l'intérieur de l'entreprise :polyvalence; et à l'extérieur: un jour un métier, le lendemain chômage, ensuite un autre métier,…)

- mobilité géographique: l'exemple essentiel en est les travailleurs immigrés expulsés d'un continent à l'autre, mais également tous les travailleurs touchés par le chômage et les restructurations

Dés cette époque, les gouvernements se sont mis à envisager à terme un sort convergent pour la majorité des travailleurs de la Fonction publique et, en particulier, pour les enseignants qui en représentent le plus grand nombre et sur le dos desquels toute économie est significative. Sans entrer dans les détails, le rapport Longuet (1979) en prévoyait les axes: en gardant le statut de la Fonction publique, il vise à n'en fournir les garanties essentielles qu'aux fonctionnaires chargés de "missions d'état" , c'est à dire de conception, de direction et d'autorité qui seuls auraient besoin de "protection" (1/5 des titulaires) tandis que les 4/5 restants effectuant de simples "missions d'exécution" seraient soumis à un "régime de contrat" :

"L'enseignement est à la fois une mission d'État, lorsqu'il s'agit de concevoir les filières, les programmes, bref le cadre général. L'exécution peut parfaitement en être confiée à des agences régionales ou départementales, ouvertes ou non sur les collectivités locales et se comportant en véritables employeurs. Le concours s'efface devant l'examen et l'employeur propose un contrat dans le cadre d'une convention collective spécifique".

Il s'agissait d'axes de réformes dans lesquelles on reconnaît la "déconcentration" actuelle. Il s'agissait de lutter contre les "rigidités" du "droit du travail" et, pour les fonctionnaires en particulier les "rigidités statutaires" qui, pour un titulaire, correspondent à la mise en avant de la flexibilité du fonctionnaire:

- la mobilité géographique contre la fixité géographique du poste

- la mobilité fonctionnelle qui recouvre à la fois dans le cadre de l'enseignement l'intégration d'autres tâches que la fonction d'enseignement et, corrélativement, les emplois du temps souples permettant par exemple le remplacement des collègues absents.

Comme de bien entendu et comme cela se fait pour les autres catégories sociales, ces revendications patronales sont justifiées par une prétendue défense des catégories les plus défavorisées. Ainsi Beullac, ministre de l'éducation de droite déclarait le 15/10/80: "Quand les titulaires accepteront d'être auxiliaires, je titulariserai les auxiliaires".

Un certain nombre de rapports se succèdent sous les gouvernements de droite et de gauche: Rapport Rancurel (1979), Mission Legrand (1982) et maintenant Rapport Meirieu sur les lycées. Ils visent à auxilliariser progressivement les titulaires, ce qui n'empêche pas l'emploi d'un nombre de plus en plus grand de non titulaires. La première étape réussie pour le pouvoir a été sous la gauche en 1982 avec la création du Titulaire Remplaçant , titulaire plus tout à fait titulaire qui joue le rôle jusque là dévolu aux Maîtres Auxiliaires (MA) pour les remplacements de longue durée. Un autre axe des réformes présent dans tous ces rapports est d'augmenter le temps de présence obligatoire en établissement scolaire en y incluant des tâches autres que l'enseignement. Mais les différents gouvernements ,tout en y pensant en permanence, hésitent à l'imposer à l'échelle nationale en modifiant globalement le statut par peur de réactions généralisées. Une des manières de contourner cet obstacle est le "Projet d'établissement": créé pour les collèges en 1982, rendu obligatoire pour tous les établissements par la loi d'orientation de 1989. Il a été inventé sous le prétexte fallacieux que tous les problèmes de chaque école sont particuliers; il permet de contourner les directives nationales tout en obligeant l'enseignant à endosser la responsabilité des contradictions du système en adhérant à une fausse solution vouée d'avance à l'échec et dont il sera tenu pour responsable. Un exemple: malgré le trucage des statistiques du ministère, le niveau des élèves en calcul baisse : il faut alors inscrire dans le projet d'établissement une remise à niveau, alors que la responsabilité essentielle relève du domaine centralisé s'il en est, des théories pédagogiques impulsées par le ministère: programmes officiels centraux où la division figure maintenant comme devant être "en cours d'acquisition" en sixième seulement, mesures d'économies limitant les possibilités de redoublement, au moment où le nombre d'heures de cours de math est diminué d'au moins 25% en sixième. En revanche, les bonnes raisons de créer le projet d'établissement ne manquaient pas: Parmi celles-ci, on peut citer l'intégration de la formation au marché local et l'augmentation du contrôle "de proximité" sur les enseignants et les élèves par la délégation de pouvoir du ministère vers les recteurs, les régions et les chefs d'établissements: cette délégation ne diminue pas la pression mais la rend plus adaptée et sert simultanément de protection-fusible à l'Etat central. Les différents fusibles locaux sont quelque peu inquiets de se voir enfin octroyer des pouvoirs qu'ils avaient réclamés - juste au moment où ils ne servent plus qu'à justifier la gestion de la pénurie; par contre, ils en retirent, comme dans toute DRH du privé et suivant leurs niveaux de responsabilité, les primes et les avantages y afférents.

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III)  La fausse opposition étatisme / néo-libéralisme : De l'ère des gestionnaires à l'ère des troisièmes couteaux (Extrait de : A propos des ZEP)

"Politiquement leurs idéaux sont très ciblés sur deux critères :

entre Mad Max et l'abbé Pierre/..

…./Ils sont là à tous les niveaux. C'est le règne des troisièmes couteaux".

*Bernard Lavilliers*

Nous connaissons donc bien les acrobates de la statistiques qui mesurent l'humanité en unités monétaires (et bientôt en Euros ce qui ne devrait pas donner plus d'épaisseur humaine à la chose). Mais, comme le dit Bernard Lavilliers, philosophe bien supérieur au comité de rédaction des programmes, à l'ère des managers et des gestionnaires succède logiquement , surtout lorsque leurs succès réels de gestionnaires sont des échecs sociaux, l'ère de la trique et des troisièmes couteaux. Après que le comité de rédaction de programmes ait réduit les heures d'enseignements de base et que les corps d'inspection aient vérifié leur application, après que Jospin ait réduit les possibilités de rattrapage des élèves en difficulté, après que ces mêmes élèves aient été parqués dans des délicats ensembles en béton, Bouygues autant que Luc Ferry ( du comité de rédaction des programmes) ont les honneurs en tant que bâtisseurs et philosophes, mais l'Etat envisage cahin-caha de faire ce qu'il sait faire : punir les victimes si elles n'ont pas une attitude strictement expiatoire. L'on voit, aussi bien dans les médias que dans les discours officiels, l'avenir des malappris des Zones qu'il faut Eduquer Prioritairement : l'ordre républicain avec îlotage et quelques coups de trique, sans compter les mesures d'éloignement des "délinquants" que l'on enverrait probablement en internat dans les campagnes.

Lorsque l'on réduit les moyens d'instruction, il reste Prioritairement l'Education, vielle recette du KulturKampf admirée déjà par les théoriciens de la Troisième République: bel avenir cumulant les tares tout à fait compatibles du "public" et du "privé", celles d'une bureaucratie Bismarckienne et de la main invisible chère à Adam Smith.


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